Les Chinois soignent le “quotient émotionnel” (QE) de leurs enfants

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Vous connaissez le quotient intellectuel, ou QI. Mais saviez-vous que le QE est aujourd’hui bien plus à la mode ? Le « quotient émotionnel » donne une indication sur les « compétences sociales » et le fonctionnement de l’émotivité, et il est en train de grimper parmi les outils d’évaluation des êtres humains. En Chine, pays des enfants uniques et des familles très peu nombreuses, c’est la grande mode : on inscrit sa progéniture dans des cours qui promettent d’augmenter sensiblement le QE. La presse chinoise donne l’exemple de Hou Jinyan, une maman de 44 ans à Pékin, inquiète devant les difficultés de « socialisation » de sa fille de 11 ans. Elle l’a inscrite dans un programme spécialisé de 20 cours, pour la somme de 5.000 yuans (environ 630 euros – en Chine, c’est beaucoup !) pour aider cette petite jeune fille par ailleurs excellente sur le plan scolaire.
 
Les cours de QE visent à augmenter la confiance, la gestion des émotions, l’autodiscipline, l’esprit d’initiative, la « résistance à la compression », la résolution des problèmes, l’empathie, l’interaction sociale et la capacité de diriger une équipe. La petite fille évoquée plus haut a été tout de suite diagnostiquée comme manquant peut-être d’« empathie » : la capacité de se mettre à la place d’autrui.
 

Le quotient émotionnel au plus bas en Chine

 
Sa maman est d’accord. La petite n’écoute pas les opinions des autres, elle est égocentrique. Elle entre volontiers en conflit avec ses camarades dans le cadre du travail d’équipe. Mme Hou rappelle un incident caractéristique : la petite famille partait en week-end dans son appartement de banlieue lorsque « Xiaoning » s’aperçut qu’elle avait oublié son travail de classe. Son père retourna en ville chercher les devoirs, ce qui représentait trois heures de route supplémentaires. « J’ai été déçue de voir que ma fille ne regrettait pas son étourderie, et qu’elle n’était même pas reconnaissante pour ce que son père avait fait. Elle était au contraire impatiente et en colère parce qu’il n’allait pas assez vite », raconte la maman.
 
« Xiaoning » est visiblement une petite tête à claques, très mal élevée. Sa mère en convient d’ailleurs : son désastreux QE est le résultat d’une éducation d’enfant gâtée à laquelle ont contribué aussi bien ses parents que ses grands-parents. Liu Yang, enseignante au centre de cours d’empathie, confirme : « L’une des raisons, c’est que les parents gâtent leurs enfants et leur montrent trop d’amour au lieu de les discipliner. Une autre, c’est que les parents se focalisent trop sur la réussite scolaire plutôt que sur la formation du QE. » Comme si l’amour était contraire à la discipline…
 

Pour le QE des petits Chinois, des écoles spécialisées

 
On peut aussi imaginer le rôle néfaste joué par la politique de l’enfant unique en Chine. Centre de toutes les attentions parentales et grand-parentales, l’enfant devient vite le centre d’un monde où tout lui est dû. La Chine compte certainement de nombreux enfants et jeunes dans ce cas, et ce n’est pas rassurant.
 
Aussi Liu encourage-t-elle les parents à compléter à la maison ce que l’institution commence à mettre en place. Mais c’est le monde à l’envers, puisque c’est normalement dans la famille que l’on apprend à vivre, et même à se sacrifier pour ceux qu’on aime.
 
Les classes de QE consistent à proposer des jeux de rôles et de situations aux jeunes qui sont ensuite invités à expliquer leur rôle et à le comparer à leurs propres expériences afin d’identifier la manière de réagir dans la vraie vie. Elles visent ouvertement à modifier « le mode de pensée » ; les jeunes doivent y apprendre à identifier leurs émotions et à les exprimer par le chant, l’écriture ou la parole.
 

Des enfants gâtés pris en mains par des institutions

 
Bref, c’est un atelier de réparation. Mais il ne faut pas perdre de vue que dans le monde actuel, dominé par les pédagogies globales qui court-circuitent la parole et l’analyse en privilégiant l’analogie et l’émotion, le mouvement de fond dans le monde éducatif consiste à minimiser l’importance du QI, en donnant de plus en plus de place au QE, plus utile pour le travail collectif et d’application, au détriment de la pensée indépendante, analytique et critique. C’est là un modèle social dans lequel s’inscrit parfaitement l’idée de remodeler la pensée – et combien plus en Chine, pays des idéogrammes et de la conscience collective !
 
Il est certainement inquiétant que ce ne soient plus parents qui forment et canalisent l’émotivité de l’enfant conformément à des valeurs transcendantes et au bien moral, mais des institutions professionnelles qui peuvent si facilement les manipuler.
 

Anne Dolhein