Lorsque le pape François a déclaré dans une interview au Corriere della Sera publiée le 8 février dernier, qu’Emma Bonino fait partie des « grands aujourd’hui oubliés en Italie », en la comparant à Konrad Adenauer et à Robert Schuman, bien des observateurs catholiques ont minimisé l’information. Etait-elle vraie ? C’est la question qu’on peut toujours se poser à propos du compte-rendu des entretiens informels que le pape accorde à la presse. Un mois plus tard, on ne peut que constater qu’il n’y a pas eu de démenti. Et ce n’est pas la première fois que le pape François salue cette militante féministe, partisane de toutes les transgressions et avorteuse à titre personnel.
Ces mêmes observateurs catholiques soulignaient que le pape François n’avait en aucun cas justifié les combats politiques d’Emma Bonino, ancien commissaire européen, ancien ministre et membre du Parti radical depuis toujours : « Elle ne pense pas comme nous. C’est vrai, mais cela ne fait rien. Nous devons regarder les gens, et ce qu’ils font », disait le pape. En l’occurrence, il s’agissait pour lui de mettre en exergue l’engagement d’Emma Bonino au service de la cause des migrants, et du nouveau « regard » qu’elle faisait porter sur l’Afrique.
Emma Bonino, propagandiste de l’avortement
Laissons de côté le soutien du pape François à l’accueil des migrants : c’est un sujet en soi, et il n’est pas sans lien avec celui de l’avortement de masse que l’Europe connaît depuis des décennies, mais ce n’est pas le sujet. La question est la suivante : est-il juste, est-il prudent, est-il acceptable que le chef de l’Eglise catholique fasse l’éloge d’une personnalité qui systématiquement et tout au long de sa carrière a pris le contre-pied de l’Eglise et de la loi naturelle pour promouvoir la révolution de la culture de mort ? Peut-on seulement excuser ces louanges au nom de l’ignorance supposée du pape à ce sujet ?
La réponse est non, car la controverse n’est justement pas nouvelle : le pape avait déjà été vivement critiqué l’an dernier lorsqu’il avait invité Emma Bonino a participer à un événement organisé avec des enfants au Vatican, « La Fabrique de la Paix », et son évocation des « différences » de vue entre la femme politique et l’Eglise prouvent s’il le fallait qu’il est conscient de son caractère pour le moins controversé.
Jésus-Christ lui-même, proclament ces mêmes catholiques soucieux de justifier le chef de l’Eglise (et c’est un souci que l’on peut comprendre) n’hésitait pas à s’approcher des publicains et des pécheurs, et même de la femme adultère sur le point d’être lapidée. Et ne s’est-il pas invité chez Zachée ? Les Pharisiens le lui reprochaient bien… Ceux qui critiquent le pape dans ces actions sont des Pharisiens : c’est la conclusion implicite.
Mais le parallèle ne tient pas. Jésus-Christ appelait à la repentance et à la conversion. Il louait certes chez Marie-Magdeleine et chez Zachée leur capacité d’amour, mais l’appel à changer de vie ne faisait pas défaut. Et il était au demeurant suivi d’effet. En glorifiant Emma Bonino comme un grand personnage aujourd’hui oublié – ce qui est d’ailleurs faux : elle était nommée ministre des Affaires étrangères en 2013 – sans mettre en garde contre tout ce qu’elle a fait de directement contraire au bien commun, et sa haine des droits de Dieu, il la « confirme dans l’erreur » comme l’écrit John-Henry Westen de LifeSiteNews. « Cela donne l’impression qu’on peut toujours faire partie des “grands” de l’Italie tout en ayant tué des milliers de bébés et tout en ayant fait la promotion d’une foule de maux moraux. Essentiellement, ces faits ne sont pas suffisants pour ternir l’histoire d’une personne », note-t-il.
Le pape François glorifie Emma Bonino pour son rôle en Afrique
La méprise – et parfois l’injustice – des catholiques qui hésitent à admettre une quelconque critique du pape est double. D’un côté ils ne font pas la part des choses entre les déclarations personnelles du souverain pontife, qui peuvent être entachées d’erreurs, et son enseignement sûr en tant que successeur de Pierre, selon des critères très précis. De l’autre, ils empêchent de lever la confusion créée par de tels propos – et celle-ci est fréquente, hélas, sans que cela ne doive en rien diminuer le respect filial dû au Vicaire du Christ.
Il importe donc de rappeler qui est véritablement Emma Bonino. Une note très complète publiée en 1999 par l’organisation provie italienne Famiglia Domani (disponible ici en anglais, avec de nombreuses notes et sources) reste d’actualité, montrant la cohérence des choix de cette militante politique libertaire. Née en 1948, elle revendique avoir subi un avortement clandestin à titre personnel à l’âge de 27 ans.
C’est à peu près à ce moment qu’elle a cofondé – en 1975, alors que l’« IVG » vient d’être légalisée en France – avec Adele Faccion le Centre d’information pour la stérilisation en l’avortement (CISA) et revendique, dans le cadre de cette action, avoir personnellement contribué à procurer « 10.000 avortements clandestins ». Son action conduira à son arrestation pour « association de malfaiteurs » qui marque son entrée, médiatiquement très réussie, en politique. Emma Bonino s’enfuit à l’étranger, pour revenir quatre mois plus tard. En se rendant à la police, elle se voit condamner à dix jours de prison ; un an plus tard, elle fait son entrée au Parlement sous l’étiquette du Parti radical, d’inspiration maçonnique, jamais reniée – la publicité lui aura été bénéfique.
L’image d’Emma Bonino est alors mondialement connue et entretenue : d’arrestations en interrogatoires, elle est perçue comme une activiste de toutes les causes de la culture de mort, avorteuse à titre personnel : une photo circule de Bonino au moment de pratiquer personnellement un avortement clandestin, sans que l’on puisse savoir s’il s’agit d’une mise en scène ou d’un fait réel, mais la revendication du fait est évidente.
Les grands oubliés de l’Italie ne le sont pas tant que cela
Emma Bonino, très logiquement, a toujours milité contre la famille et pour la révolution sexuelle, s’associant aussi bien avec les propagandistes des « droits gay » (FUORI en Italie). Elle revendique encore et toujours sa proximité avec le fondateur du Parti radical italien, Marco Pannella : socialisme, non-violence, laïcisme, anticléricalisme en sont les moteurs et ses combats tous azimuts sont à l’avenant. De la légalisation du divorce à celle de l’avortement en passant par le « droit au blasphème » revendiqué et exercé sur Radio Radicale, la radio du parti, les acquis sont nombreux. Au fil des ans, Pannella a mobilisé son parti au service du nudisme, du « mariage » homosexuel, des droits transgenre, de l’amour libre, de la légalisation des stupéfiants, du démantèlement de l’OTAN et de l’éducation sexuelle obligatoire. C’est lui encore qui a fait élire une actrice de films pornographique au Parlement – « la Cicciolina », la Hongroise Ilona Staller.
Emma Bonino revendique sa communauté de vues avec toutes ces causes et, une fois nommée commissaire européen en 1995 par Silvio Berlusconi, puis élue au Parlement européen en 1999, elle a ouvertement œuvré pour la légalisation du cannabis et autres drogues. Vivement critiquée, elle déclarait en 1998 à propos d’elle-même : « Bonino, même s’ils sont nombreux à l’oublier, est et demeure avant tout une radicale. Et sa proposition reste identique à celle de Pannella : légalisez. » La presse suédoise la désignait alors comme « l’atout » du lobby de la drogue.
Pour la petite histoire, lors de son entrée au Parlement européen, Emma Bonino avait tenté de constituer avec le Front national de Jean-Marie Le Pen un « groupe technique », finalement récusé par le Parlement au motif des profondes différences politiques entre leurs deux formations. Chez Bonino, le but, à l’évidence, a toujours justifié tous les moyens.
Emma Bonino justifiée par le pape François ?
On l’a vu donc multiplier les amitiés les plus improbables. En 2001, elle s’est installée au Caire où elle a soutenu la « Démocratie arabe » (l’un des motifs des éloges pontificaux dans doute), participant par ailleurs à la création de la Cour pénale internationale, institution du mondialisme. Elle a également signé un appel de George Soros à davantage d’intégration européenne.
Adulée par la presse de gauche, en France notamment, Emma Bonino s’est largement retirée de la vie publique en 2015 lorsqu’elle a été atteinte d’un cancer du poumon. Le Parti radical périclite aujourd’hui, faute de grandes figures. Mais en faisant ses adieux pour aller se faire soigner, elle a réitéré ses engagements immuables : « Nos luttes qui paraissaient marginales sont aujourd’hui fondamentales pour la vie de tous, en particulier dans ces moments aussi difficiles pour la démocratie et pour le monde. »
Ce sont toutes ces luttes que, nolens volens, le pape François a « couvert » de son approbation. Car en les balayant comme de simples « différences », il a occulté leur opposition… radicale à l’ordre naturel et au bien commun.
Faut-il aimer nos ennemis ? Sans doute. Mais la vraie bienveillance consiste à souhaiter leur rédemption. A quoi s’ajoute, pour le pape et les évêques, le devoir impérieux d’instruire les fidèles et les mettre en garde contre l’erreur. Et de cela, le pape s’est abstenu.