“L’énigme Jésus” : L’Obs fait la synthèse des sceptiques pour le grand public

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L’Obs a proposé en début d’année un numéro hors-série intitulé l’énigme Jésus. Fort d’une centaine de pages, il est calibré pour donner l’impression d’un minimum de sérieux, mais pas trop important afin de ne pas décourager des intellectuels épisodiques. Il est sorti à dessein juste après Noel, fête chrétienne de la naissance de Jésus-Christ, Dieu incarné sur Terre en l’an 0. Mais, avec L’Obs, on ne pouvait que s’attendre à une présentation fort éloignée du catéchisme catholique.
 

Qu’est “L’Obs” ?

 
L’Obs, anciennement le Nouvel Observateur (de 1964 à 2014), s’inscrit dans la continuité directe des équipes ou de l’idéologie de l’Observateur politique, économique et littéraire, fondé en 1950, juste avant que n’intervienne la fin de la mode des titres longs pour faire sérieux. Il est amusant de remarquer le raccourcissement continu du titre, jusqu’au ridicule, qui n’est pas sans rappeler le raccourcissement des mots et du dictionnaire du décidément prophétique 1984.
 
L’Observateur est devenu rapidement l’hebdomadaire de référence de la gauche française non communiste. Il s’est inscrit dans le sillage de la deuxième gauche, proche du PSA devenu PSU, avant de rallier le PS réunifié, non marxiste, tenant plutôt d’une forme d’approche libertaire, poussant très loin les logiques des libertés de l’individu, y compris contre la Famille ou la Patrie. Ainsi, l’Observateur ne se contente pas d’observer, il entend proposer une reconstruction idéologique ambitieuse de la gauche. Ce quasi-anarchisme philosophique reconnaît pleinement la libre entreprise, au rebours des marxistes, au nom de la liberté absolue, qui n’est effectivement pas reconnue dans l’économie socialiste soviétique stricte, centralisée et planifiée. Mais il se situe en pointe dans les questions dites de société, partisan de la première heure de la contraception, de l’avortement, des droits des homosexuels ou des immigrés. Son plus grand coup médiatique reste le fameux « Manifeste des 343 salopes », 343 femmes déclarant publiquement dans le Nouvel Observateur du 5 avril 1971 avoir avorté, chose alors condamnée par la loi. Il n’est pourtant strictement rien arrivé aux signataires.
 
Aussi l’Observateur est-il couramment décrit comme la « conscience » de la gauche française, concrétisation institutionnalisée de son ambition initiale. Il est donc intéressant à lire, révélateur, même et surtout pour ceux qui ne partagent pas sa philosophie.
 
Connaissant des difficultés, comme toute la presse, il vient d’être racheté par Pierre Bergé, le célèbre homosexuel militant, ancien compagnon de feu Yves Saint-Laurent, antichrétien fanatique proclamé, et quelques amis de sensibilité proche. D’où peut-être des engagements particulièrement virulents et monolithiques de l’Obs en faveur du mariage homosexuel.
 
Aussi y a-t-il lieu de s’inquiéter de la publication par l’Obs d’un numéro hors-série intitulé l’Enigme Jésus.
 

Un numéro spécial sur “L’énigme Jésus”

 
Le titre est très significatif, et manifeste déjà le scepticisme. Jésus ? Que sait-on vraiment à son sujet ? Une interrogation censée donner un aspect de sérieux, d’objectivité, dans une forme de recherche honnête. Le lecteur potentiel échappe à « l’imposture Jésus », qui n’aurait pourtant pas étonné de la part de l’équipe rédactionnelle. Il peut ainsi toucher un public plus large qu’un énième pamphlet antichrétien ouvertement blasphématoire, comme il en paraît hélas régulièrement, et en toute impunité, dans les kiosques.
 
Il faut mentionner aussi le rôle de l’iconographie, souvent belle, avec de très beaux tableaux européens de la Renaissance au XVIIème siècle inspirés par les Evangiles. Elle attire le regard, jouant ainsi un rôle dans l’achat. Elle permet peut-être de faire passer paradoxalement un message iconoclaste, et de façon plus efficace que les caricatures grossières et blasphématoires à la Charlie-Hebdo. Les extravagances laides de l’anti-Art contemporain se font significativement rares. Quel sens y a-t-il, en effet, à plaquer un Christ en croix sur une maquette de chasseur-bombardier F-105 ?
 
Une énigme indique que seront posées honnêtement les données du problème, qu’aucune solution ne sera proposée, car il ne saurait y en avoir aucune. Ce scepticisme s’oppose bien sûr radicalement à la foi catholique. Le fidèle doit croire au Christ, non seulement personnage réel, repérable dans l’Histoire, mais vraiment homme et vraiment Dieu. Le Christ, et son message transmis dans les quatre Evangiles, constituent les fondements absolus du christianisme. Envisager un Jésus énigmatique, au message original peu clair, c’est bien sûr démolir tout le christianisme.
 

Eviter la malhonnêteté la plus grossière

 
Des athées, penseurs impies niant absolument la possibilité d’existence de toute divinité, et particulièrement de toute divinité révélée, ont tenu à partir du XVIIIème à aller jusqu’à nier l’existence historique de Jésus. En effet, faire du Christ un personnage purement imaginaire, c’est renvoyer le christianisme au niveau de la fable orientale absurde. Telle est encore aujourd’hui en France la position des athées les plus engagés, ceux de la Libre-Pensée en France en particulier, ou du philosophe « athéologue » autoproclamé Michel Onfray. L’absence du personnage, incontournable sur le sujet il y a peu, s’explique sûrement par son refus d’adhérer au gender, une métaphysique délirante et dogmatique selon lui ; sur ce point très précis, il n’a d’ailleurs pas tort.
 
Mais le thème du Jésus personnage imaginaire ne résiste pas à la critique. Le Christ est un des personnages dont l’existence est des plus certaines. Autant nier l’existence de Jules César ou d’Alexandre le Grand ! Aussi l’Obs fait-il appel à un historien sérieux sur le sujet, auteur d’un Jésus remarqué (Fayard 2011), et n’appartenant pas à la mouvance de gauche du magazine, Christian Petitfils, qui dispose de six pages. Petitfils rappelle les épisodes historiques incontestables de la vie de Jésus. Il mentionne même sa résurrection, épisode fondamental, et sa divinité, qui sont des croyances principales pour les chrétiens, puisqu’elles réclament un acte de foi.
 

Synthèse et répétition des thèses libérales et sceptiques

 
Or de multiples contributeurs tiennent pour la réinterprétation libérale, pseudo-scientifique du XIXème siècle. Le Christ, certes, a existé mais le christianisme n’aurait été qu’une construction lente, complexe, élaborée sur plusieurs siècles. Le XIXème siècle, surtout après 1840, tend à exiger pour la construction d’une Histoire « positive » des archives fiables, authentiques. Or du fait des persécutions constamment subies par l’Eglise catholique, du milieu du Ier siècle au début du IVème siècle, les archives ecclésiastiques ont été brûlées par les autorités légales païennes, dans leur ambition vaine d’éliminer jusqu’au souvenir du christianisme. Ces destructions d’archives sont précisément mentionnées lors des persécutions de Dèce (250) et de Dioclétien (303-311). Remarquons encore que cette exigence impossible d’archives est appliquée avec beaucoup plus de compréhension pour l’islam, le judaïsme moderne, le bouddhisme, l’hindouisme, etc., pour lesquels on ne conteste pas formellement l’historicité de bien des légendes manifestes.
 
Le raisonnement est le suivant : nous connaissons par des archives à peu près fiables le christianisme du IVème siècle. Cette connaissance est mêlée à la surreprésentation de toutes les dissidences, y compris et surtout les sectes les plus aberrantes, afin de soutenir l’hypothèse d’un flou doctrinal général du christianisme, et ce vers une date aussi tardive que possible. Ainsi, prenant argument des dissidences ariennes ou monophysites, hérésies trinitaires certes numériquement significatives, il est couramment avancé que le dogme de la Très Sainte Trinité serait le résultat d’une élaboration lente et conflictuelle s’étalant entre 315 et 575… Or il y a tout lieu de croire que, sans atteindre les définitions les plus précises fixées par les conciles du IVème au VIème siècle, et afin précisément de cerner l’orthodoxie contre des hérésies souvent subtiles, la Très Sainte Trinité est évoquée dès le premier siècle. Très exactement dans les Paroles du Christ, se proclamant le Fils du Père, et mentionnant la nécessité du Saint-Esprit, précisée là encore dès saint Paul. « Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fil et du Saint-Esprit. » (Mt 28, 19) Ce mystère trinitaire constitue avec la divinité du Christ une des pierres d’achoppement par excellence de la prédication chrétienne, en particulier pour les judéens, mais aussi dans une certaine mesure les païens.
 
Sur plusieurs pages, supervisées directement par Maurice Sachot, philologue et philosophe peu connu du grand public, sont donc développées ces thèses libérales et sceptiques surannées, avec une insistance particulière sur une mystérieuse communauté religieuse avec le judaïsme jusque l’an 150, voire 200, hypothèse absurde et fermement rejetée d’ailleurs par les rabbins, qui ne manquent pas d’arguments non plus à ce sujet. Maurice Sachot, originalité personnelle, tient pour un Jésus philosophe, un original au sein du cadre juif.
 

Jésus, un rabbin original mal compris ?

 
Ce numéro évoque également le point de vue du judaïsme libéral, présenté dans la revue par Thomas Römer, philologue, Raphael Draï, et le célèbre et inévitable Frédéric Lenoir du Monde des religions. Rappelons qu’il s’agit d’un courant, ou d’une somme de courants, très nettement minoritaire dans le judaïsme. Ainsi, les juifs libéraux ne sont-ils pas considérés comme des juifs par les autorités actuelles de Jérusalem, et de ce fait ne peuvent donc pas immigrer en Israël. Au mieux, il leur est demandé de se convertir sur place au judaïsme, au nom du retour à une source juive qui aurait été corrompue entretemps.
 
Ces rabbins formellement aimables, souvent, tiennent à se distinguer des malédictions courantes contre Jésus formulées par leurs coreligionnaires dès l’antiquité, et présentes dans le Talmud. Ils concèdent volontiers qu’un rabbi Yeshua, rejudaïsé dans son nom et orthographe, aurait été au fond un de leurs lointains prédécesseurs parmi d’autres, un juif libéral, ouvert, tolérant, voulant répandre le message fondamental d’amour que serait le judaïsme, selon eux, à l’ensemble de l’humanité.
 
Evidemment, ils nient la divinité du Christ, qu’ils tiennent pour une incompréhension fondamentale du judaïsme par des païens, divinisant, bien à tort, un rabbi charismatique. Même aimablement formulé, sans la moindre haine, cela n’en reste pas moins pour les chrétiens de grossiers blasphèmes qui tiennent aussi de la mythologie historique. En effet, le Christ n’est pas comparable à des rabbis libéraux et « miraculeux » du XIXème siècle européen ou postérieurs.
 
La seule légère originalité de la revue réside dans la thèse encore peu diffusée de Raphael Draï, soutenant, sans apporter la moindre preuve, qu’en fait le Sanhédrin aurait tout fait pour sauver Jésus, par solidarité nationale et religieuse, et ce contrairement aux « mensonges » formulés dans les Evangiles. Il va de soi qui si les Evangiles mentaient, la foi chrétienne ne reposerait sur rien.
 

De grossières provocations

 
Cette « modération » relative, si l’on ose dire, ne peut toutefois faire l’économie des pires blasphèmes véhiculés notamment par la psychanalyse, qui a contribué au nom d’un supposé progrès à la destruction de la Religion, de la Morale, de la Famille. Avec cette question faussement audacieuse, formulée il y a plus d’un siècle : quelle est la sexualité de Jésus ?
 
La chasteté est incompréhensible pour la psychanalyse, et n’empêcherait pas des tendances profondes vers tel ou tel type de sexualité, quitte à avoir été « sublimé », c’est-à-dire dépourvue de toute consommation concrète. On y retrouve la foule habituelle des blasphèmes sur le sujet, dont un des plus fameux serait celui d’un « mariage » avec Marie-Madeleine, fable courante du Da Vinci Code ou de la Dernière Tentation du Christ de Scorsese (1988). Les péroraisons absurdes, obscènes, involontairement ridicules, de messieurs Giol et Dauzat, illustres inconnus, invoquant moult fantasmes et la PMA-GPA, lourd rattachement à l’actualité militante, tiennent du blasphème certainement, mais ne sont cependant pas des plus redoutables et invitent plutôt à rire.
 

Chacun se forgerait son Jésus…

 
Dans l’atmosphère sceptique suggérée par le titre, il n’y aurait surtout pas de solution à la supposée Enigme Jésus, et tout s’équivaudrait dans l’absolu entre la foi catholique et l’athéisme radical, avec une infinité de variations possibles. Nombre de points de vue se succèdent au fil des pages, mélangeant délibérément celui de gnostiques, de cinéastes, de musulmans et d’hindous, de philosophes, faisant référence aux textes célèbres de Rousseau ou de Renan, sur fond d’images de Japonais facétieux ravis de porter des bonnets de Père Noël.
 
Ainsi, le lecteur est-il invité à construire lui-même « son » Jésus, suivant une projection postkantienne absurde selon laquelle chaque esprit humain édifierait sa propre réalité, distincte de celle des autres.
 
S’il n’y a plus de réalité, il n’y a plus de message chrétien compréhensible, réalité indispensable au salut offert à tous les hommes. Or les vérités de foi existent, proposées à tous les hommes, qui sont libres d’y adhérer ou non, avec les plus grandes conséquences pour ce monde et surtout l’autre.
 
Olivier Thibaut