Au Sommet mondial des médias (WMS), les très grandes agences plaident pour l’intégration mondiale

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Cai Mingzhao, directeur de l’agence d’Etat chinoise Xinhua.

 
Un sommet dont la puissance invitante est Al-Jazeera et dont les participants se nomment Xinhua, CNN, Reuters, l’Associated Press, Rossiya Segodniya, TASS, Kyodo News, The Hindu Group, MIH Group (Afrique du Sud), voilà qui laisse rêveur… Ce Sommet mondial des médias s’est déroulé dimanche à Doha, au Qatar, en présence de quelque 350 délégués d’agences de presse de cent pays avec pour objectif l’échange d’expériences et la mise en commun des réflexions sur les nouvelles technologies. Placé sous la présidence du directeur de l’agence d’Etat chinoise Xinhua, Cai Mingzhao, le Sommet mondial des médias (WMS) entend jouer un rôle de plus en plus important dans la presse mondiale – Cai a fait trois propositions en ce sens – et il réunit les plus grandes agences qui visent ensemble une plus grande « intégration mondiale ».
 
Il s’agit en quelque sorte de la mondialisation des médias, transnationale et globaliste, sur le même modèle que l’intégration de la « gouvernance » et des échanges commerciaux.
 

De l’intégration des médias à la gouvernance globale : le projet de WMS

 
Dans ce contexte, il n’est pas indifférent de noter que le Sommet mondial des médias, créé à l’initiative de Xinhua, a tenu sa première réunion à Pékin en 2009 au Palais de l’Assemblée du Peuple sur la place Tienanmen – haut-lieu du pouvoir et du Parti communiste chinois – et que la seconde rencontre a eu lieu trois ans plus tard à Moscou.
 
A Doha, les représentants des grands médias se sont penchés sur les défis que représentent les nouvelles technologies de l’information alors que les budgets s’amenuisent, que la concurrence se renforce et que le public choisit de plus en plus ses informations. Selon le responsable de l’AP, « la demande d’informations ne pourra que croître, mais l’offre grandira aussi : une grande partie de celle-ci ne sera pas de très grande qualité ».
 
L’Associated Press, a-t-il expliqué, travaille déjà avec des drones pour glaner des informations et l’agence a déjà testé le « journalisme robotique » pour produire des articles sans intervention humaine. C’est donc cela qui assure la qualité de ses informations ? On en tremble…
 
Quoi qu’il en soit, Gary Pruitt de l’AP estime qu’« on ne peut plus y arriver seul ». Il faut plus de « collaboration » – et donc, in fine (mais il ne l’a pas dit), une plus grande unification des médias.
 

Les grandes agences mondiales veulent unifier l’information

 
Bien sûr, les uns et les autres ont vanté le journalisme d’investigation qui peut permettre de faire cesser des situations d’injustice, et plaidé pour les droits des journalistes et de leur liberté de ton. Ce qui reste paradoxal, s’agissant dans la plupart des cas de médias d’Etat originaires de pays où la censure ne fait pas mystère, où l’objectif de propagande est une évidence lorsqu’on lit leurs productions, où les intentions politiques ne se cachent guère. Il y a de l’ironie à peine voilée à tenir un tel sommet au Qatar sous l’égide d’une des plus grosses sources gouvernementales de la Chine !
 
A la veille de la rencontre, Xinhua publiait ainsi un article appelant à une « sage » coopération des médias face aux défis auxquels est confrontée l’humanité : la globalisation, la mise en place d’un monde multipolaire, le changement de l’ordre international, la molle reprise économique (litote en ce qui concerne la Chine…), la menace terroriste croissante et – comment l’oublier – le réchauffement climatique.
 
C’est donc à une « profonde coopération » qu’appelait Xinhua, capable de promouvoir l’innovation et un « développement intégré » pour un résultat « gagnant-gagnant ».
 
Et surtout ceci : « En outre, les médias du monde doivent démontrer leur capacité à servir l’intérêt public en créant un environnement d’opinion publique positif, sain et harmonieux, en même temps qu’ils doivent empêcher l’extrémisme et le terrorisme de se diffuser, spécialement sur les nouvelles plateformes médiatiques. En outre, ils doivent dûment contribuer à promouvoir l’unité et le consensus entre les différents pays pour couvrir les sujets “chauds”, comme le réchauffement climatique, la crise des migrants et la réduction de la pauvreté. »
 

Au Sommet global des médias, l’agence chinoise Xinhua se fait donneur de leçons

 
Oui, vous avez bien lu : il s’agit de l’aveu même d’un média comme Xinhua, qui veut donner le la à tous les grandes agences du monde, d’unifier l’information et d’instituer une censure de fait des opinions qui ne concourent pas à l’intérêt public défini par cette grande presse.
 
Cela se fera, ajoute l’éditorial, en « augmentant la voix des groupes de presse des pays en développement » et en trouvant des terrains communs avec ceux des pays développés pour « améliorer l’ordre global de la communication » au service d’un « ordre de la gouvernance économique » mondiale « plus transparent et plus juste ». Le tout pour aboutir à un « système de gouvernance globale plus raisonnable et plus juste ».
 
On ne peut parler de complot car rien n’est caché, tout se fait en plein jour.
 
Samedi – ce n’est pas sans lien avec ce qui précède – le fondateur et directeur de Facebook, Mark Zuckerberg, était à Pékin pour rencontrer le chef de la propagande du gouvernement de la Chine, Liu Yunshan. Le rendez-vous se tenait sur fond de contrôle accru de l’espace internet par les autorités chinoises.
 
Liu a déclaré au milliardaire américain qu’il espère voir Facebook partager son expérience avec les entreprises chinoises pour que « le développement d’internet profite mieux aux peuples de tous les pays. La Chine veut la mise en place d’un « système de gouvernance » de l’internet global à travers une coopération internationale qui permettra de réguler son usage, avec, bien entendu, des contrôles accrus.
 

L’intégration mondiale des médias, une déclinaison du mondialisme

 
Comme d’autres réseaux sociaux occidentaux, Facebook est interdit en Chine et Zuckerberg cherche en vain de faire lever l’obstruction qui lui barre l’accès à un marché de 668 millions d’internautes.
 
Liu, quant à lui, plaide ouvertement pour une censure qui assure la sauvegarde de la sécurité intérieure que mettrait en cause le droit de critiquer la « gouvernance » du parti communiste chinois.
 
La rencontre entre Liu et Zuckerberg signifie-t-elle que ce dernier est prêt à composer avec le pouvoir chinois ? On peut en tout cas être sûr que côté chinois, on ne lâchera pas de lest.
 

Anne Dolhein