Les alignements de devantures fermées. Ce n’est pas seulement la faute des grandes surfaces situées à la périphérie des villes. Les géants du commerce par internet, Amazon en tête, vampirisent le commerce physique, mettent en péril des millions d’emploi et pratiquent une indécente optimisation fiscale tout en passant d’énormes contrats publics, en particulier en Grande-Bretagne.
Russell Grandinetti, premier vice-président d’Amazon pour le commerce international, affiche son mépris souverain face à l’impact catastrophique des activités du géant mondial sur le commerce de détail et ses emplois, renvoyant la responsabilité de la réponse sociale « aux gouvernements » : « Ce n’est pas à nous d’y répondre, notre rôle c’est de bien faire ce que nous faisons ». Mais pendant ce temps sa société paie une (grosse) partie de ses impôts ailleurs !
Amazon est en passe de contrôler 50 % du commerce par internet aux Etats-Unis
Selon eMarketer, Amazon est en passe de contrôler 50 % du marché du commerce sur internet aux Etats-Unis, approchant les mille milliards de dollars de chiffre d’affaire. Amazon se développe de façon très agressive dans d’autres secteurs, stockage de données sur le « cloud », équipements électroniques et même vidéo en ligne.
Le président américain Donald Trump est l’une des rares dirigeants à exprimer sa préoccupation face à la domination croissante d’Amazon sur le commerce. Il relève en particulier que le géant paie peu d’impôts tout en poussant quantité de détaillants à la faillite. « J’ai exprimé ma préoccupation concernant Amazon bien avant mon élection », a-t-il écrit en mars dernier. « Contrairement à d’autres, (le géant) paie peu voire pas d’impôts à l’Etat et aux autorités locales, se sert de notre service postal comme de son petit livreur (entraînant de considérables pertes pour l’Etat fédéral) et pousse au dépôt de bilan de nombreux détaillants », accusait-il.
Amazon, optimisation fiscale mais des dizaines de millions de livres de contrats publics
Défense de Russell Grandinetti : « Nous avons créé des quantités d’emplois, non seulement dans notre entreprise – 100.000 l’an dernier aux Etats-Unis, 5.000 en Grande-Bretagne – mais aussi chez nos sous-traitants. » Pas un mot sur ceux qu’Amazon a détruits ni sur les conditions de travail effroyables auxquelles sont soumis ses salariés. En Grande-Bretagne, l’Etat paie des dizaines de millions de livres à Amazon pour des contrats publics, alors que le géant mondial pratique l’optimisation fiscale à grande échelle.
Selon des documents officiels britanniques, Amazon a bénéficié de contrats publics à hauteur de 11,8 millions de livres (13,26 millions d’euros) pour le seul premier trimestre 2018. Le Daily Telegraph a révélé que la filiale logistique britannique Amazon UK Services avait diminué le montant de son impôt sur les sociétés à seulement 4,6 millions de livres pour 2017, malgré des bénéfices en hausse, à 79 millions de livres. Amazon se garde de publier le montant de ses impôts sur son commerce de détail, qui forme le plus gros de son revenu au Royaume-Uni, lequel se monte à 9 milliards de livres.
Cette année, les paiements du gouvernement britannique à Amazon ont encore notablement augmenté avec l’utilisation par l’administration de l’Amazon Web service, le « cloud » du géant américain. En 2017, Amazon a bénéficié pour 16,3 milliards de livres en contrats gouvernementaux.
Amazon ne révèle sa fiscalité outre-Manche que pour des secteurs minoritaires
Les fiscalistes dénoncent l’insuffisante exigence de transparence pour les entreprises passant des contrats publics au Royaume-Uni. Pour Richard Murphy, professeur à la City University de Londres, « l’une des principales conditions d’accès aux marchés publics devrait être l’indication du montant des impôts payés par l’entreprise contractante au pays concerné ». Or Amazon ne révèle sa situation fiscale outre-Manche que pour les seuls secteurs de sa logistique et des services internet. Etrangement, le plus gros de son activité, son commerce de détail, est principalement porté par sa branche européenne basée au Luxembourg.
En début d’année, le gouvernement britannique a publié un plan destiné à instaurer des taxes sur le chiffre d’affaires des entreprises technologiques plutôt que sur leurs bénéfices. A gauche, le député travailliste Margaret Hodge prône une taxation « beaucoup plus agressive pour défendre les intérêts du peuple britannique », tout en déplorant que les autorités « restent pusillanimes ». Pour son collègue Darren Jones, « les entreprises globales réussissent à payer leurs impôts dans des pays à fiscalité favorable depuis des années, or l’augmentation du commerce et des achats en ligne en ont fait un très grave problème ». Un rapport du gouvernement publié en mars explique que « l’actuel décalage entre les lieux où le commerce numérique est taxé et ceux où il crée de la valeur menace la sincérité, la soutenabilité et l’acceptation par le peuple de la fiscalité des entreprises ».
Au citoyen d’arbitrer entre le commerce physique et les entrepôts cauchemardesques d’Amazon
Un porte-parole d’Amazon a répliqué que la fiscalité des entreprises est basée, au Royaume-Uni, sur les bénéfices et que ceux-ci sont restés modestes, alors qu’Amazon a investi 9,3 millions de livres au Royaume-Uni depuis 2010. L’administration fiscale britannique « refuse tout commentaire sur des contribuables identifiables » et se dit convaincue que « les grandes entreprises (…) paient tous les impôts prévus par la loi ».
Il reste au citoyen d’arbitrer entre le commerce vivant de son pays et de sa province et la lâche facilité de commander sur internet aux cauchemardesques entrepôts des géants mondiaux. Le commerce numérisé et globalisé enferme l’homme dans la solitude du consommateur anonyme. Les frontières, celles qui protègent les peuples, ne sont plus pour lui que d’insupportables obstacles à sa cupidité.