L’Uruguay, vieux pays franc-maçon, adopte une loi d’euthanasie

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L’Uruguay, pays de culture chrétienne mais très fortement colonisé depuis la fin du XVIIIe siècle par la franc-maçonnerie (depuis 1919, l’on y célèbre le 25 décembre comme « jour de la famille » et le 8 décembre comme « la journée des plages », tandis que la Semaine Sainte s’appelle la « Semaine du tourisme ») a adopté mercredi dernier une loi de dépénalisation de l’euthanasie. La loi, préalablement votée par une forte majorité à la Chambre basse, a été votée par les deux tiers du Sénat, en recueillant l’approbation de 20 sénateurs sur 31. L’Uruguay confirme ainsi sa réputation de précurseur pour toutes les mesures sociétales progressistes en Amérique latine : légalisation de la marijuana, « mariage » homosexuel, avortement…

C’est au terme d’un débat de 10 heures que le point final d’une entreprise de légalisation qui a commencé il y a cinq ans a été posé. La BBC assure que si le débat lui-même a été « le plus souvent respectueux », « certains spectateurs qui le suivaient ont crié “assassins” après l’adoption de la loi ». Ce sont donc eux, les méchants.

La proposition de loi était soutenue par le Frente Amplio, majoritaire, dont le président, Yamandu Orsi, y était favorable. Reçu vendredi par le pape Léon XIV, qui espère fait l’an prochain un voyage en Uruguay et en Argentine, Orsi a déclaré que le pape était « très au fait » de l’adoption de la loi sur l’euthanasie, et que le souverain pontife lui avait parlé avec un « regard ouvert » de personnes proches souffrant « d’énormes problèmes de santé », tout en « demeurant ferme dans sa position » contre l’euthanasie.

 

L’Uruguay, pays le plus franc-maçon d’Amérique latine

De fait, c’est l’Eglise catholique qui, quasiment seule, a mené le combat contre sa légalisation, alors que la moitié des Uruguayens ne se revendiquent d’aucune religion et que seuls 33 % se disent catholiques, avec un taux de pratique de 5 %. Raison pour laquelle Miguel Pastorino, professeur de théologie et de philosophie et expert en bioéthique à l’université catholique d’Uruguay, a mené cette bataille sur un plan laïque, affirmant : « L’Uruguay a été un pays laïque depuis plus de 100 ans. Si l’Eglise défend une position, les gens font le contraire pour cette seule raison. »

Les clercs, eux, n’ont pas hésité à s’exprimer : le cardinal-archevêque de Montevideo, Daniel Sturla, a donné de nombreux entretiens, en rappelant sans ambiguïté que les catholiques sont toujours « défenseurs de la vie, de la protection de la vie, depuis le moment de la conception jusqu’à la mort naturelle », qualifiant la loi d’« erreur ».

On dit par ailleurs que 62 % des Uruguayens sont favorables à l’euthanasie. Selon Miguel Pastorino, le débat a été tronqué, notamment à travers des sondages qui posaient le plus souvent cette simple question : « Préféreriez-vous souffrir ou mourir en paix ? »

« Evidemment, personne n’a envie de souffrir. Mais personne ne veut mourir. Si on leur demande : “Préférez-vous qu’on soulage votre douleur ou mourir ?”, la majorité aimerait mieux continuer de vivre », a-t-il noté, ajoutant que « l’ignorance est le plus gros problème ».

Pour ce qui est des soins palliatifs, c’est un groupe catholique qui, il y a déjà bien des années, a créé le premier établissement de ce type dans le pays, l’Hospice San José.

 

Une loi d’euthanasie avec zéro délai de réflexion

La loi d’euthanasie qui vient d’être adoptée en Uruguay est plus libérale que la plupart de celles en vigueur dans une douzaine de pays (dans d’autres, comme en Colombie et en Equateur, l’euthanasie a été imposée par voie judiciaire, par le biais des plus hautes juridictions).

Elle autorise la mise à mort des personnes se trouvant dans les conditions qu’elles auront prévues moyennant des demandes « réitérées » d’euthanasie, par un médecin ou sous ses ordres.

Les demandes doivent être faite par une personne « psychiquement capable » et se trouvant dans l’étape terminale d’une « pathologie incurable ou irréversible » et sous le coup de « souffrances qui se révèlent insupportables », tout en présentant une « détérioration grave et progressif de sa qualité de vie ».

Après la demande présentée personnellement et par écrit à un médecin, en sa présence, ce dernier doit vérifier que les conditions légales sont réunies, l’informer des traitements disponibles, en mentionnant les soins palliatifs, et en vérifiant également que la demande résulte vraiment de la volonté du patient. Après quoi il doit obtenir l’avis d’un deuxième médecin : si ce dernier est négatif, le dossier devra être transmis à un collège médical, sinon, on peut passer aux étapes suivantes.

Après un deuxième entretien de confirmation avec le patient, celui-ci devra confirmer sa demande par écrit devant deux témoins : alors le médecin pourra mettre en œuvre la procédure de mort, au moment et dans le lieu définis par le patient.

Aucun délai de réflexion n’est prévu, même si la demande peut être révoquée sans aucune formalité et à n’importe quel moment.

S’agissant d’une dépénalisation, une fois l’euthanasie exécutée, le médecin doit transmettre le dossier au ministère de la Santé publique qui doit, en cas d’« écart grave » par rapport à la procédure légale, le soumettre au procureur.

 

Une loi d’euthanasie pour se rendre compte que nous sommes mortels…

Si le droit à l’objection de conscience des médecins et des membres de son équipe est reconnu, obligation leur est faite de choisir des praticiens non objecteurs pour que la demande puisse aboutir.

Une tribune publiée par Infocatólica sous la signature « Nestor » fait remarquer qu’au cours des débats ayant mené jusqu’à la légalisation de l’euthanasie, les arguments religieux – ou plutôt expressément anti-religieux – ont été l’apanage des partisans de la mort choisie. Il y voit la preuve de la « théophobie » qui a présidé à la discussion. Ainsi la sénatrice Verónica Miranda a-t-elle commencé avec ces mots : « Dieu est mort, nous autres, nous l’avons tué. »

La laïcité uruguayenne révèle ici sa quintessence, commente « Nestor » : « Ce n’est pas qu’on ne peut pas parler de religion ; on n’a pas le droit de parler en faveur de la religion. » Contre, ça, oui !

Une sénatrice, Graciela Bianchi, a quant à elle fait la révélation du jour ; elle a soutenu que l’euthanasie nous faisait « prendre conscience de notre mortalité ». La mort existe, elle vient de la rencontrer !

 

Jeanne Smits