L’assouplissement relatif de la politique de l’enfant unique en Chine ne produit décidément pas les effets escomptés, notamment sur le tragique déficit de femmes dans l’Empire du Milieu. Outre le redressement démographique recherché – la Chine fait face à un vieillissement accéléré de sa population, avec tous les problèmes sociaux que cela implique – la multiplication des « permis de second enfant » visait à prendre à bras-le-corps le problème du déséquilibre hommes-femmes, allant de pair avec des sanctions accrues pour les manœuvres de dépistage et d’élimination des petites filles à naître, dans une société où traditionnellement, les fils sont « l’assurance vieillesse » de leurs parents. La découverte de réseaux d’échographies clandestines a remis ce gigantesque problème sur le devant de la scène.
De la politique de l’enfant unique au génocide des femmes
C’est dans les zones rurales de la province de Shangdong, dans l’est de la Chine que l’on a découvert un trafic d’échographes achetés sous le manteau et cachés dans les habitations villageoises par des médecins qui proposent ensuite de déterminer le sexe de l’enfant à naître pour les parents bien décidés à obtenir un avortement si c’est une fille. Ce véritable génocide des femmes – les anglophones l’ont appelé « gendercide » – inquiète les autorités d’un point de vue social et politique, mais non moral, puisque la politique de l’enfant unique a toujours reposé sur l’élimination des enfants jugés de trop. L’avortement non seulement n’est pas un crime, mais est utilisé depuis des années comme arme contre la population ; les avortements forcés sur des femmes arrivées quasiment au terme de leur grossesse « illégale » ne sont pas rares.
Au Shangdong, plus de 116 hommes pour 100 femmes
L’affaire a été portée à la connaissance des médias par Lian Fang, conseillère politique de la province de Shangdong, qui propose de pénaliser davantage la recherche illégale du sexe des enfants à naître. Chose difficile : l’échographie est une technique lourde et demande des infrastructures qui risquent d’être découvertes ; l’analyse du sang de la mère enceinte permet aujourd’hui de déterminer le sexe de l’enfant et des agences spécialisées ont fleuri qui proposent l’envoi d’échantillons sanguins à l’étranger pour « informer » les futurs parents. Cette activité-là sera également poursuivie, ont promis les autorités.
Ce sont pourtant les règles tyranniques de la politique de l’enfant unique imposées par ces mêmes autorités dans les années 1970 qui ont créé le problème. Les mesures récentes pour réduire le déséquilibre hommes-femmes ont produit quelque effet : dans la province de Shangdong, on ne compte depuis 2013 « que » 116,6 naissances de garçons pour 100 naissances de filles, mais dans certaines zones le ratio dépasse les 120 pour 100.
En Chine, l’enfant unique se doit d’être un garçon
Pour l’ensemble de la Chine, la proportion générale au sein de la population est tombée à 115,88 hommes pour 100 femmes, largement au-dessus de la moyenne mondiale : le déséquilibre hommes-femmes y reste d’ailleurs le plus important du monde. La presse chinoise, sévèrement contrôlée par le pouvoir communiste, reconnaît l’ampleur du problème : les jeunes hommes ont du mal à trouver une épouse, le trafic des femmes s’amplifie, il y a davantage de mariages « déséquilibrés » en termes d’âge, ce qui augmente la fréquence des défauts génétiques.
C’est justement ce que dénonce Lian Fang, qui gynécologue en même temps que conseillère politique : « J’ai traité pour des problèmes d’infertilité beaucoup de femmes qui ont subi des avortements multiples pour parvenir à avoir un garçon. »
Et ainsi l’inhumanité d’un système qui s’arroge un droit d’ingérence dans la vie des familles engendre en Chine ses propres horreurs et un déséquilibre social qui n’a pas fini de produire ses effets.