En décembre, on qualifiait la mer Méditerrannée de « route la plus mortelle du monde », 3 419 migrants, au moins, y ayant perdu la vie – et l’année 2014 a battu tous les records. Mais bientôt, il n’y aura pas seulement des migrants à y trouver la mort, dans leur tentative désespérée de fuir des contrées dévastées, mais aussi des forces de sécurité, des pêcheurs, des plaisanciers… en bref, des « occidentaux ». L’État Islamique veut y jeter ses colonnes djihadistes désormais pirates – et ce ne sera pas pour jouer.
Telle n’a pas été la réflexion officielle du sommet franco-italien qui s’est tenu à Caen, le 21 mars, en présence de Laurent Fabius, Jean-Yves Le Drian et de leurs homologues italiens. Parmi leurs dossiers d’actualité internationale, la lutte contre le terrorisme y avait bien sa place. Mais sur cet épineux sujet du potentiel explosif de la Méditerranée, ils ont pris soin de ne pas trop communiquer.
« Nous jurons de remplir [la Méditerranée] avec votre sang »
Pourtant le chef des bourreaux des 21 coptes égyptiens massacrés à la mi-février en Lybie, les avait avertis avec ses mots à lui : « Cette mer dans laquelle vous avez jeté le corps de cheikh Oussama ben Laden, nous jurons de la remplir avec votre sang ». Et plus loin : « Nous allons conquérir Rome par la volonté d’Allah ». A ce même moment, le quotidien Il Messagero avait évoqué des conversations interceptées par les service de sécurité italien dans lesquelles les djihadistes envisageaient de se servir de 500.000 migrants comme une « arme psychologique » contre l’Europe en cas d’intervention militaire en Libye…
Volonté d’expansion, menace accrue de terrorisme. Et pas un un mot de ces deux pays clairement désignés comme cibles. Pourtant, la Méditerranée est réellement en passe de devenir le théâtre d’actions terroristes nouvelles et plurielles, contre le trafic maritime mais aussi, potentiellement contre des îles et des côtes. Une nouvelle piraterie au goût de djihad, avec des hommes équipés, armés, entraînés et mus par un autre idéal que celui de l’argent. Et aussi, d’autres égards, un retour deux siècles en arrière.
Les nouveaux pirates de l’État Islamique
L’ancien Commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR), l’amiral américain James Stavridis, a, lui, osé le dire tout haut : « Les côtes italiennes, les rivages européens les plus proches de la Libye, vont devenir des endroits à haut risque ». Et le contre-amiral britannique Chris Parry ne l’a pas démenti : « Si j’avais un yacht et l’intention de naviguer cet été en Méditerranée, je serais inquiet pour ma sécurité »…
Le coordinateur de l’UE pour la lutte contre le terrorisme, Gilles de Kerchove, a confirmé ces craintes en appelant, vendredi, l’agence européenne de contrôle des frontières Frontex, à la vigilance face au risque d’infiltration en Europe de djihadistes se faisant passer pour des réfugiés. Mais son manque de moyens est cruel. L’opération Triton qu’elle dirige et qui a pris la suite de l’opération Mare Nostrum menée par l’Italie pendant plus d’un an, n’a qu’un budget de 18 millions d’euros, avec seulement 2 avions, 1 hélicoptère et 9 navires, dont 2 patrouilleurs de haute mer.
Et qui peut « repérer » des djihadistes potentiels dans cette marée humaine miséreuse qui franchit mécaniquement les portes de l’Europe ?!
Les incidents en mer ont, en tous les cas, déjà commencé – la marine égyptienne a perdu un navire en novembre dernier. Et plus l’État Islamique emportera de villes portuaires, en particulier en Lybie, plus il pourra envoyer ses « speedboats » sur cette mer qu’il voudrait sienne. De son côté, l’Italie a décidé de renforcer ses moyens militaires en Méditerranée, pour protéger « les lignes de communication, la marine marchande et les plateformes offshore » et exercer une surveillance « accrue de l’activité djihadiste ».
L’Europe aime ses terroristes ?
Reste que la politique européenne est tout à la fois celle de l’autruche et du schizophrène. Et c’est la raison pour laquelle nos politiques ne s’étendent pas sur le sujet. L’Europe fait semblant de se battre contre le fruit de toute sa politique internationale menée jusque-là, par son incitation active à l’immigration. Aidant le bras américain à jeter le feu au Proche-Orient, favorisant des Printemps arabes qui n’en ont que le nom, ils voient nécessairement arriver les fuyards démunis… et leurs frontières restent volontairement ouvertes. L’agence Frontex, que la Ligue belge des droits de l’homme décrit avec un ridicule consommé comme une « véritable armée au service de la politique migratoire d’une Europe forteresse » n’est qu’un miroir aux alouettes qui ne doit tromper personne.