On les appelle les médecins « SCEN » : aux Pays-Bas, ce sont les médecins formés pour apporter un conseil spécialisé et indépendant à leurs confrères généralistes saisis d’une demande d’euthanasie ou d’aide au suicide. Leurs services sont gracieusement fournis aux médecins qui les demandent, allant du conseil à propos de la loi à la consultation auprès du patient concerné. Aux termes d’une enquête menée l’an dernier par le Vrije Universiteit medisch centrum d’Amsterdam (VUmc) auprès de 547 médecins SCEN – soit 82% du total – dont les résultats viennent d’être publiés, 52% d’entre eux affirment « envisageable » d’approuver personnellement un jour l’euthanasie d’une personne en phase avancée de démence qui aurait laissé des directives anticipées en ce sens.
A ce jour, seuls 4% des médecins-conseil affirment avoir personnellement jugé conforme aux exigences de la loi l’euthanasie d’une personne démente au point de ne plus pouvoir exprimer sa propre volonté. Sans doute parce que les demandes sont (encore) peu nombreuses.
L’euthanasie dans le cadre de directives anticipées de mieux en mieux acceptée aux Pays-Bas
Il faut le souligner : un tel point de vue est conforme à la lettre de la loi d’euthanasie aux Pays-Bas qui dès 2001 prévoyait le respect des directives anticipées, appelées ironiquement « testaments de vie », en cas d’incapacité du patient à exprimer sa volonté. Mais en pratique l’immense majorité des médecins néerlandais, mal à l’aise face à cette disposition, ont refusé de mettre en œuvre de telles euthanasies, préférant même passer à l’acte lorsque la personne en voie de devenir démente a encore assez de lucidité pour exprimer sans conteste son désir de mort. Ces cas sont en augmentation. Cependant quelques cas d’euthanasie sur des personnes souffrant de démence avancée sont désormais répertoriés.
Ce qui se dessine maintenant aux Pays-Bas, c’est une acceptation croissante de l’euthanasie, aussi bien pour les personnes démentes que pour d’autres cas qui rendent compte d’une interprétation de plus en plus large de la loi, dans un contexte où la non-approbation des euthanasies lors du contrôle a posteriori est voisine de zéro.
Les médecins-conseil néerlandais approuvent de plus en plus de cas d’euthanasie sur les personnes démentes ou fatiguées de vivre
Sur les 547 médecins-conseil interrogés, qui assument en moyenne cette fonction depuis 8 ans (certains font partie du réseau SCEN depuis 17 ans, ils y sont entrés avant même l’adoption de la loi !), 49% affirment que les limites de ce qui est jugé « acceptable » du point de vue de la loi d’euthanasie ont été repoussées depuis leur prise de fonctions.
11% des médecins-conseil affirment avoir déjà approuvé l’euthanasie d’une personne simplement « fatiguée de vivre », ne souffrant d’aucune pathologie grave causant des souffrances insupportables. 32% des médecins-conseil envisagent de le faire un jour, alors même que cette situation n’entre pas dans le cadre de la loi.
75% des médecins interrogés estiment qu’il est possible, à l’occasion, d’approuver l’euthanasie d’une personne qui refuse tout traitement. Une petite majorité des interrogés s’affirme prête à juger de la conformité d’une euthanasie demandée au nom d’une personne incapable de communiquer, soit en application de ses directives anticipées, soit à partir d’informations fournies par des tiers…
Outrepassant leurs compétences normales – ils sont là pour donner des conseils sur l’euthanasie ! – 70% des médecins-conseil affirment avoir un jour ou l’autre donné des conseils en vue d’un traitement qui puisse mieux soulager la douleur d’un patient, et 62% ont suggéré le recours aux soins palliatifs plutôt que l’euthanasie. Que de tels conseils puissent être jugés ne pas relever de leur mission est proprement ahurissant, puisque c’est à ce moment-là qu’ils se comportent véritablement en médecins.
Les réalisateurs de l’enquête constatent enfin avec « satisfaction » que l’expérience et les convictions personnelles des médecins SCEN n’interfèrent pas avec leur jugement en matière de conformité d’une euthanasie à la loi : « A la lumière d’une recherche d’uniformisation de la formation des jugements il s’agit d’un résultat positif », affirment-ils. Une uniformisation qui met en évidence la puissance de la pression sociale qui parvient à modifier les jugements sur tous les sujets, y compris les plus sensibles.
Conscience interdite !