L’économie est de taille. Pour les chrétiens allemands qui sont automatiquement soumis au prélèvement d’un impôt spécifique, le Kirchensteuer, du seul fait de leur baptême, se soustraire au système par une déclaration officielle – et assortie elle-même d’une taxe d’enregistrement – auprès d’un tribunal permet d’économiser 8 à 9 % de leur impôt sur le revenu. Avec 24 millions de catholiques (toujours) comptabilisés, l’Eglise d’Allemagne fait partie des Eglises les plus riches, pays par pays ; elle est aussi le deuxième employeur du pays, faisant fonctionner des hôpitaux, des écoles, des crèches, des institutions caritatives connues pour leur générosité à travers le monde. En 2014, le nombre de contribuables catholiques a connu une chute spectaculaire : avec 39.000 catholiques qui ont déclaré forfait au moment de remplir leur déclaration l’an dernier, on note une augmentation de quelque 20 % de ceux qui renoncent.
C’est beaucoup, malgré les 11 milliards d’euros qu’a rapportés l’impôt sur l’Eglise en 2014, et la Conférence épiscopale allemande a avancé les mauvais chiffres en faisant part de son « profond regret » par rapport à ce qui apparaît comme une désaffection à la foi. C’est en tout cas ce qu’a déclaré le cardinal Reinhard Marx – prélat progressiste s’il en est – qui n’a pas su expliquer le nombre spectaculaire de départs. Ou qui a préféré laisser ce soin à d’autres, pour des raisons tactiques…
Les raisons de la désaffection des catholiques d’Allemagne en 2014 : les prêtres pédophiles ne suffisent plus
Le mouvement avait été important en 2010. Avec 181.193 départs, il avait été facile d’accuser les affaires de « prêtres pédophiles » qui auraient éloigné de l’Eglise les moins convaincus, dans un pays où la pratique religieuse des catholiques avoisine les 12 %. L’immense majorité des catholiques allemands, note The Catholic Herald, ne pratique pas, et cette attitude va de pair avec une mauvaise connaissance de ses enseignements. Mais la tendance s’est réaffirmée : en 2013, 179.000 catholiques allemands ont fait le pas, et en 2014, on a connu comme un record avec 217.716 départs. Seuls 6.314 ont été « réadmis » et les nouvelles entrées dans l’Eglise ne représentent que 2.809 personnes.
Il est vrai que près de la moitié des prêtres allemands, selon une étude récente, ne se confessent plus et omettent de prier chaque jour. Vrai aussi que l’Eglise catholique allemande est perçue historiquement comme une institution étrangère – même si Marx et quelques autres ne se privent pas de la prétendre « autonome » par rapport à l’autorité pontificale.
La sortie des catholiques des registres : on pointe l’enseignement de l’Eglise
Mais pour une certaine frange de l’Eglise catholique, l’hémorragie s’explique par le manque de compréhension de l’institution : « Celui qui ne trouve plus de refuge dans l’Eglise est plus facilement tenté, lors d’une épreuve, de rendre officiel son départ », estime Dominik Meiering, vicaire général du diocèse de Cologne. Et Wir sind Kirche (« Nous sommes l’Eglise »), le mouvement progressiste laïc bien en cour, regrette que le « réformisme » du pape François soit insuffisant, ou insuffisamment perçu en Allemagne : « Il faut rompre avec la doctrine plus conservatrice du pape précédent, Benoît XVI », assure le porte-parole de ce mouvement, Christian Weisner.
A croire qu’une Eglise fidèle à ses enseignements ne saurait plus que chasser ses ouailles les plus éloignées : toute cette foule de gens qui continuent de se sentir sociologiquement catholiques sans pratiquer, qui continuent d’apprécier le rôle caritatif et social de l’Eglise, mais qui au moindre accroc personnel, choisissent de marquer leur distance.
C’est si vrai qu’une partie du débat lancé par le cardinal Kasper et le cardinal Marx s’explique sans doute – outre l’aspect idéologique et la volonté de modifier le message catholique – par des questions on ne peut plus matérielles. Accepter les divorcés « remariés », dire du bien des couples de fait ou des couples homosexuels, c’est se mettre dans l’air du temps. Et s’assurer, en même temps, la continuité de certains revenus…
Mieux vaut être adultère que de refuser de payer l’impôt des catholiques allemands
L’affaire est d’autant plus parlante que ceux qui s’émeuvent de l’impossibilité des divorcés « remariés » d’accéder à la communion (tout comme n’importe quel catholique ayant un péché grave sur la conscience qui n’entend pas s’en confesser et y renoncer) sont ceux qui ont participé à la rédaction du décret privant les catholiques qui se retirent des registres pour ne plus payer l’impôt de toute une série de mesures prenant acte de la non appartenance à l’Eglise, qui ne saurait distinguer entre adhésion spirituelle et appartenance civile.
Le décret a été approuvé par le Saint-Siège en septembre 2012, non sans que les autorités allemandes de l’Eglise aient demandé, en vain, une demande d’excommunication à l’encontre de ces catholiques « déchus ».
En définitive, ils ne peuvent pas recevoir les sacrements tels la pénitence, la communion, la confirmation ou l’onction des malades, à moins qu’ils ne soient en péril de mort. Toute charge ecclésiastique leur est interdite – y compris dans les institutions caritatives, écoles, hôpitaux… nommées plus haut. Ils ne peuvent être parrains, ni membres des conseils diocésains ou paroissiaux, ni membres des associations publiques de l’Eglise, ni même être enterrés en terre bénite sauf à faire connaître leur repentir au moment de la mort. Leurs enfants ne peuvent accéder aux meilleures écoles confessionnelles.
Bref, refuser de payer l’impôt, c’est aussi grave que l’apostasie (alors que l’apostasie immanente ne semble soucier que les catholiques traditionnels, marginaux en Allemagne), et bien plus grave que l’adultère institutionnalisé qui mérite toute compréhension.
En tout cas, le ton adopté par l’Eglise à l’occasion de cette dernière série de départs semble bien pousser dans le sens d’un assouplissement des règles pour que les catholiques « historiques » mais peu convaincus perçoivent l’« ouverture » de l’Eglise à leur égard, tandis que la punition encourue en cas de désinscription se veut dissuasive.
Les protestants partent aussi – parce que l’assiette de l’impôt s’est élargie
Mais il faut préciser que la tendance ne touche pas en aucune manière le seul monde catholique. Les Eglises protestantes ont connu une hémorragie similaire en 2014, perdant quelque 200.000 membres (contre 138.000 en 2012) alors qu’ils représentent une proportion un peu moindre d’Allemands comparée à celle de l’Eglise catholique (un peu plus de 30 %). Il se pourrait bien qu’une nouveauté fiscale ait favorisé les départs, selon le correspondant berlinois du Daily Telegraph : pour la première fois, il n’était plus possible en 2014 de ne pas déclarer les revenus des capitaux pour le paiement du Kirchensteuer.
« C’est la paille qui a brisé le dos du chameau », commente Ruth Levin, de l’Eglise protestante de Dinslaken. Le principe de cet alourdissement de la taxe en faveur des Eglises était acquis depuis plusieurs années, mais 2014 est la première année où il n’était plus possible de s’y soustraire en raison de la levée d’une disposition fiscale qui offrait une échappatoire. Les banques sont désormais chargées de prélever la taxe à la source sur les gains de capitaux bénéficiant aux assujettis.
Si bien que ce ne sont plus tellement des jeunes qui quittent l’Eglise, faute de partager les convictions de leurs parents, mais, de plus en plus, des personnes plus âgées et notamment des retraités craignant de voir leur capital amassé pour améliorer leurs revenus de vieillesse victime d’une nouvelle ponction.
L’explication est plus terre-à-terre que celle des catholiques dépités de voir leur Eglise stagner dans un enseignement trop rigoriste. Mais elle se comprend bien, et le plus étonnant encore est de ne pas voir la hiérarchie catholique l’évoquer.