Avec de bons renseignements, une armée moderne peut éliminer à peu près n’importe qui, sans risque et à distance. Telle est la leçon des attaques qui ont tué ces dernières semaines trois djihadistes liés à la cellule terroriste de l’Etat islamique à l’origine de l’attentat sur la plage de Tunisie, selon des sources gouvernementales britanniques. Reyaad Khan et Ruhul Amin de nationalité britannique, ont été tués en Syrie par des drones téléguidés depuis une base RAF au Royaume-Uni – l’un d’eux, selon les autorités, pour être à la tête d’un projet d’attentat destiné à tuer la reine d’Angleterre. Un troisième homme, Junaid Hasseen, a été tué par une attaque de drone américaine lancée grâce à des informations données par les services britanniques. Une liste d’autres hommes à éliminer », ou « kill list », aurait été établie, visant notamment « Djihadi John » qui a participé à des mises en scène de décapitations.
Les opérations posent de multiples questions au Royaume-Uni puisque le gouvernement britannique n’a pas – pour l’heure – autorisé de frappes en Syrie. C’est selon la logique de la légitime défense face à des menaces « imminentes » que le gouvernement britannique a décidé de viser et de tuer directement, « sélectivement » des sujets britanniques sur le sol syrien, alors qu’il mène des frappes en Irak depuis longtemps.
Tuer des terroristes à distance en utilisant des drones : le Royaume-Uni a-t-il une liste de personnes « à éliminer » ?
On peut voir dans les attaques par drone l’annonce d’un changement de politique à cet égard. L’existence d’une liste de personnes à éliminer – on parle de cinq individus – a été vigoureusement démentie la semaine dernière par les services du Premier ministre, David Cameron. Mais Michael Fallon, ministre de la Défense, a publiquement déclaré depuis lors que le Royaume-Uni est prête à agir de nouveau : « Nous n’hésiterions pas à recommencer si nous avions connaissance d’un projet d’attaque armée et que nous connaissions les responsables. »
Michael Fallon assure que des groupes organisent actuellement des attentats contre des cibles et des événements publics majeurs : « Notre travail, que nous menons avec les agences de sécurité, est de sauvegarder notre sécurité, de les identifier, de les traquer et s’il n’y a aucun autre moyen d’empêcher ces attaques, alors oui, nous autoriserons des frappes comme nous l’avons déjà fait. »
Et d’assurer qu’il est « absurde » d’autoriser les forces britanniques à intervenir en Irak contre l’Etat islamique alors le gros de ses forces et ses « têtes pensantes » sont en Syrie. Fallon a annoncé que le gouvernement britannique saisira « probablement » le Parlement d’une demande en vue d’étendre son champ de frappes d’ici à la fin de l’année.
Des drones abattent trois djihadistes britanniques en Syrie : quelle légalité ?
Mais pour ce qui est des attaques par drone, elles sont décidées et menées dans le plus grand secret. S’il faut en croire Michael Fallon, David Cameron a approuvé les frappes sélectives – on pourrait même dire « nominatives » – en mai, peu après les élections, lors d’une réunion du Conseil national de sécurité et sous le contrôle du procureur général.
Le débat fait rage désormais au Royaume-Uni sur le caractère licite, ou non, de ces opérations. Un ancien procureur général a indiqué qu’elles ne pouvaient en aucun cas être utilisées pour « sanctionner » des comportements passés. L’organisation de gauche Human Rights Watch a engagé une procédure en vue d’obtenir des éclaircissements sur les arguments juridiques et les conseils légaux qui ont été invoqués pour mener les frappes. Plus largement, on s’interroge sur le type de danger que ces « assassinats cibles » sont censés devoir écarter : la durée de l’« imminence » par exemple ; ou encore le caractère hypothétique de telles attaques qui peuvent être menées sans mettre aucunement en péril celui qui lâche un missile à distance.
Tout cela montre bien qu’après les Etats-Unis qui opèrent ainsi depuis plus de dix ans, le Royaume-Uni est lui aussi prêt à frapper pour tuer sans le moindre procès. Aux Etats-Unis, les décisions sont prises par le Président : en l’occurrence, Barack Obama « agissant comme juge, jury et bourreau », dénonce Newsweek.
Aujourd’hui, David Cameron demande au peuple britannique de lui faire « confiance », dans donner le moindre détail justifiant concrètement ces éliminations « pour raison d’Etat ».
La raison d’Etat, on le sait bien, a toujours existé, le plus souvent dans la discrétion. A la marge de l’état de droit, et même contre lui. Aujourd’hui, des chefs d’Etat de supposées démocraties assument pleinement la méthode contre le « terrorisme » – qu’ils prennent le risque d’alimenter. Et ils le font avec des moyens sans précédent, quasiment sans risque, et susceptibles d’être utilisés contre n’importe qui.