Le plan de relance d’une zone euro au bord de la récession par la banque centrale européenne n’a pas convaincu les bourses mais surprend les économistes américains par son audace socialiste. Non seulement Mario Draghi a baissé les taux d’intérêt à zéro et lancé un gigantesque programme de rachat de dette, on s’y attendait, mais celui-ci s’étend aux entreprises privées, et les prêts accordés par la BCE aux banques s’accompagnent d’une prime à celles qui empruntent !
Depuis que Ben Bernanke, l’ancien président de la FED, la banque fédérale américaine, a lancé la mode des « quantitative easing », c’est à dire la forme moderne de la planche à billets, il est devenu courant pour une banque centrale de baisser ses taux d’intérêt au maximum et de racheter de grosses masses d’obligations sur le marché : on rend ainsi l’argent moins cher, et l’on injecte des milliards dans le circuit, en espérant ainsi une relance, même passagère, de l’économie. C’est ce que vient de faire Mario Draghi, le président de la BCE, pour la zone euro, qui flirte avec la récession depuis plusieurs mois. Il y a été fort (80 milliards) et a brûlé d’un coup toutes ses cartouches, sans que l’on soit sûr du résultat : les bourses de la zone euro ont d’abord mal réagi, avant de grimper sans conviction.
La relance de la BCE favorable aux entreprises de la zone euro ?
L’innovation de Draghi par rapport à Bernanke (que les New Yorkais surnommaient « helicopter Ben » à cause des milliards qu’il déversait dans chacun des stimuli destinés à remonter l’économie américaine), est d’avoir étendu aux entreprises privées le rachat de dettes traditionnellement cantonné aux obligations d’Etat. La chose inquiète aux Etats-Unis. Jonathan Trugman, éditorialiste du New York Post se demande :
« La BCE rachètera-t-elle des obligations d’Airbus, qui est le concurrent principal de Boeing ? Ce serait apporter une aide déloyale aux compagnies européennes qui cherchent des financements.
Et des constructeurs automobiles allemands comme Mercedes, BMW ou Volkswagen seront-ils vendeurs d’obligations ? Cela réduirait dramatiquement le coût de leur recherche d’argent et leur permettrait de vendre leurs voitures avec plus de profit que les Américains ou les Japonais. »
Cette inquiétude américaine laisse froid un Européen, qui voit au contraire dans ces opérations un avantage, enfin un, à la zone euro.
Draghi, pour une banque toujours plus socialiste
Mais il est rien moins que probable que Mario Draghi ait conçu son plan de relance dans cette intention : il faut plutôt y voir une volonté socialiste. Les opérations d’open market (qui ont été inventées par le banquier américain Benjamin Strong dans les années vingt du vingtième siècle) par lesquelles la BCE procède au rachat de dette sont l’occasion pour la banque centrale de s’aboucher à un consortium de très grandes banques qui profitent directement de l’accès au crédit : après quoi elles organisent le business financier entre elles, d’une manière toujours plus « socialiste », selon l’analyste Charles Scaliger, du New American. Draghi, en rachetant la dette de certaines entreprises privées, leur étend ce privilège – avec une distorsion de concurrence pour celles dont la BCE ne rachète pas les obligations. Et cela risque bien sûr d’inciter celles qui profiteront du système à s’endetter plus qu’elles ne l’auraient fait autrement. Enfin, c’est une manière d’assurer, de fait, l’ascendant financier de l’Union européenne sur le secteur privé.
Enfin, Draghi ajoute un petit bonus socialiste à son plan de relance de la zone euro : toute banque qui empruntera à la BCE recevra une allocation égale à 0,4 % du montant emprunté. Pour un milliard, quatre millions. Cadeau de la maison. La récession de la zone euro est le signe que la gestion socialiste ne marche pas : la relance choisie par Draghi et la BCE incarne l’éternelle réponse : pour éviter d’avouer la faillite du socialisme, il faut se montrer toujours plus socialiste.