L’idée de plusieurs ministres belges de mettre en place des formations universitaires d’imams contrôlées par les pouvoirs publics de Flandres se heurte à l’hostilité d’une partie de musulmans en Belgique, principalement les Turcs qui récusent cette immixtion de l’Etat dans la religion. La communauté turque, nombreuse, est attachée aux imams qui lui sont dépêchés depuis la Turquie. Le refus de voir l’Etat déterminer le contenu de l’enseignement dispensé aux ministres religieux est somme toute naturel. Mais il serait faux de faire un parallèle entre le séminaire catholique, où de fait les autorités séculières n’ont pas à vérifier l’enseignement du dogme, et la formation de dignitaires musulmans dont la religion est aussi une politique, une théocratie qui a vocation de conquête.
Le projet belge ressemble fortement à des initiatives similaires prises notamment en France – n’y a-t-il pas un module de formation d’imams à l’Institut catholique de Paris ? Son objectif est de vérifier que les imams sachent parler le néerlandais et connaissent la culture occidentale, en même temps qu’il vise à combattre contre la radicalisation et à éviter l’« importation » d’imams depuis l’étranger. C’est en tout cas ce qu’ont indiqué le ministre de l’éducation, Mme Hilde Crevits et le ministre de la justice, Koen Geens. Mais on ne les a jamais entendus expliquer le problème exact posé par l’islam.
Des imams compatibles avec la Belgique, ou le rêve de l’Etat
Les pourparlers sont en cours avec les communautés musulmanes et diverses universités depuis l’an dernier, menés par un groupe de travail interministériel : des réunions se sont tenues régulièrement et on pensait même que tout cela serait vite réglé. La résistance turque a eu raison de ces espoirs.
Selon Ahmed Azzouz, le gouvernement a sous-estimé les difficultés. Lui-même inspecteur-conseiller en religion islamique, il indique qu’au sein de l’« l’exécutif musulman », on débat actuellement pour savoir quel doit être le « bagage intellectuel » de l’imam. « Ils sont à la recherche consensus et demandent l’accord du conseil des théologiens et des conseils d’administration de diverses mosquées. Cela conduit à la confrontation de deux visions du monde : celle de la communauté marocaine et celle de la communauté turque. Chez certains, sévit la peur de l’immixtion de l’Etat », observe-t-il.
Quant aux imams envoyés par la Turquie pour répondre aux besoins de la communauté turque, il s’agit le plus souvent de personnes missionnées par des mosquées du réseau Diyanet, directement soumise au ministère turc des affaires religieuses. Observons en passant que l’immixtion de l’Etat turc ne gêne aucunement les musulmans de ce pays – cela ne manque pas de sel.
La communauté turque ne veut pas de formation d’Etat pour ses imams (sauf si elle est turque)
La nervosité serait d’ailleurs en augmentation parmi les Turcs de Belgique depuis le coup d’Etat avorté de juillet : Ankara en a pris prétexte, pense-t-on, pour rejeter d’autant plus les prétentions flamandes d’intervenir dans sa politique religieuse. Et même si le représentant des mosquées turques dans les pourparlers, Erkan Konak, affirme qu’il n’y a pas de lien, il a tout de même reconnu que les Turcs ne sont plus disposés à accepter la formation complète des imams dans les universités flamandes. Prêts à ce que des imams déjà installés en Belgique puissent recevoir une formation continue, ils refusent que la formation se fasse à A à Z en Belgique pour les nouveaux imams : « Il appartient à la communauté islamique de déterminer comment nous allons organiser cela. Nous ne voulons pas nous précipiter », dit-il.
Le ministre de la justice, Koen Geens, assurait au début de l’année que seraient dorénavant reconnues officiellement et financées en Flandres les seules mosquées travaillant avec un imam ayant suivi une formation universitaire sur place. Aujourd’hui, il est prêt à négocier…
Anne Dolhein