La « normalisation » de la situation de l’Eglise catholique en Chine semble constituer la politique « d’ouverture à l’Est » version pape François. La Chine communiste réprime les catholiques demeurés fidèles à l’Eglise romaine, tandis que seuls sont acceptés par le régime athée ceux qui font partie de l’Eglise officielle, parmi lesquels les « prélats » nommés par le parti. Les « avancées » du pape actuel vers une éventuelle reconnaissance de l’Eglise d’Etat sont vécues par les catholiques chinois fidèles à Rome comme une potentielle « trahison », cent ans après les révélations de Notre Dame de Fatima et la sanglante révolution communiste russe. En témoigne l’entretien accordé à Daniel Blackman, du National Catholic Register, par le cardinal Joseph Zen, 85 ans, évêque émérite de Hong Kong.
Mgr Joseph Zen : « Une trahison de Jésus, une trahison du peuple de l’Eglise catholique en Chine »
« Ce que j’ai dit exactement c’est que si le pape signait un mauvais accord « en toute connaissance de cause » avec les communistes, cela constituerait une trahison de Jésus, et une trahison du peuple bon et fidèle de l’Eglise catholique en Chine », précise le cardinal Zen. « Je ne suis pas contre le dialogue, mais je redoute qu’il mène à de mauvaises conclusions. Il faudrait de la bonne volonté de part et d’autre, or je ne vois aucune bonne volonté du côté des communistes », ajoute-t-il. « Les communistes ne sont pas prêts à céder sur quoi que ce soit ; ils n’ont besoin de rien et ils maintiennent, comme ils le font pour toutes les religions, un contrôle total sur l’Association chinoise patriotique catholique », la pseudo-Eglise sous contrôle de l’Etat qui échappe totalement au Vatican.
Pour le cardinal Zen, un accord entraînant le lâchage par Rome de l’Eglise des catacombes « trahirait » ses fidèles, eux « qui ont résisté à tant de pressions ». « J’ai peur, vraiment très peur, que les dirigeants du Vatican se laissent abuser par la Chine », insiste-t-il. Les dernières informations en provenance des négociations indiquent que le Vatican pourrait se satisfaire d’un simple accord autour de la nomination des évêques, dont les candidatures seraient présentées au gouvernement par la conférence des évêques (de l’Association officielle). « C’est une escroquerie ! » s’indigne le cardinal Zen, car « il n’existe aucune véritable conférence des évêques, ce n’est qu’une chimère ». Il ajoute : « Le pouvoir domine l’Eglise officielle à travers l’Association, on ne peut pas parler de deux corps distincts ; il s’agit bien d’une seule organisation, sous contrôle (…) On peut parfaitement voir sur des photos que les assemblées de l’Association sont présidées par un cadre du gouvernement. »
Et le cardinal d’analyser le tour de passe-passe que tente de faire avaler la dictature communiste aux esprits forcément « ouverts » : « Dans ce pays où le Vatican ne peut pas procéder normalement aux nominations par l’intermédiaire du nonce apostolique, ce serait les évêques nationaux qui suggéreraient les noms des candidats – j’accepterais éventuellement qu’on accorde un droit de veto au gouvernement – ce qui reviendrait à se soumettre au choix des évêques en place. Or ce type de solution reste bel et bien une tromperie, l’Association n’étant en rien une conférence épiscopale : c’est la marionnette du gouvernement. »
Elire les évêques ? « Mais la Chine ne connaît pas l’élection honnête »
Une autre solution évoquée consisterait à permettre aux prêtres, religieux et laïcs de sélectionner les candidats à la fonction épiscopale. Une solution qui, soit dit en passant, protestantiserait un peu plus l’Eglise catholique en « démocratisant » sa hiérarchie. « Mais cette solution comporte aussi ses limites propres », analyse le cardinal Zen : « Qui sera autorisé à décider ? Comment décider ? Quelle proportion de prêtres et de laïcs sera impliquée ? Certains diocèses ont de nombreux prêtres, d’autres très peu, quatre ou cinq, comment pourraient-ils organiser une véritable élection ? » Et puis, insiste Joseph Zen, « il n’existe pas d’élection honnête en Chine, toutes sont manipulées ».
Le cardinal admet qu’il existe des passerelles entre l’Eglise officielle et le Vatican. Après la glaciation des débuts de la dictature communiste, la communication a repris, permettant aux évêques « officiels » d’écrire à Rome, d’expliquer leur situation, « de demander le pardon et la permission d’exercer leur ministère ». Certains furent ainsi faits auxiliaires, l’évêque de l’Eglise des catacombes restant aux yeux du Vatican l’évêque en titre du diocèse, quoique clandestin. « Au niveau national, l’Association officielle est schismatique, détaille Joseph Zen, mais les papes n’ont pas voulu prononcer ce mot car ils savaient que la pression était forte et que de nombreux évêques étaient dans cette situation contre leur gré. » Reste que si cette position est acceptable au niveau national, elle ne l’est pas au niveau diocésain, estime-t-il : « Certains évêques résistent, de nombreux prêtres révèlent de fortes personnalités. D’autres sont loyaux dans leur cœur mais faibles : ils rejoignent alors l’Association, estimant qu’ils ne parviendront pas à briser le système et que le Vatican est devenu très tolérant vis-à-vis de l’Eglise officielle ».
L’inquiétant communiqué du Vatican avant la 9ème assemblée « catholique » de Chine
Juste avant Noël, le cardinal Zen a vivement critiqué un communiqué du Vatican sur la 9ème « Assemblée des représentants des catholiques chinois ». On pouvait y lire que le Saint Siège « attendait des faits précis » concernant cette assemblée « avant d’émettre un jugement ». Une manière de préparer un ralliement ? Pour Joseph Zen, cette assemblée était pourtant « l’exemple le plus frappant de la nature schismatique de l’association ». Il regrette de n’avoir « toujours reçu aucune explication du Vatican » et relève un changement de cap inquiétant : « Avant la 8ème conférence, une commission avait été réunie au Vatican. Un communiqué avait jugé que les évêques ne devaient en aucun cas participer à cette réunion. Il portait le sceau du pape Benoît XVI. Malheureusement, trois évêques chinois se sont rendus au Vatican et ont plaidé devant le cardinal Ivan Dias, alors à la tête de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, qu’ils subissaient de fortes pressions, demandant la permission d’y participer ». Cette année, pour la 9ème conférence, « on aurait pu faire la même chose », le Vatican aurait pu au moins dire au gouvernement « de s’abstenir de réunir cette conférence, d’autant qu’ils sont en négociations ». Non, le Saint Siège a juste fait savoir qu’il « attend des faits concrets pour se faire un jugement ».
Joseph Zen « reste en attente de clarification et d’informations » alors qu’il note « de plus en plus d’ordinations sous la responsabilité d’évêques excommuniés », véritable « gifle assénée au Vatican ».