Une récente étude du CNRS réalisée auprès de 7.000 lycéens par les sociologues Anne Muxel et Olivier Galland contredit largement l’idée selon laquelle la radicalisation des jeunes musulmans serait liée à des facteurs socio-économiques. La « radicalité » chez les lycéens a été étudiée sous l’angle politique et religieux. Avec une attention particulière à la pratique islamique.
A la différence d’études précédentes, affirme Olivier Galland dans un entretien réalisé par Le journal du CNRS, celle-ci tranche par la taille de l’échantillon. Les sociologues se sont adressés à des jeunes scolarisés en seconde dans les académies de Lille, Créteil, Dijon et Aix-Marseille, soit 21 lycées au total – en privilégiant des zones à fort taux d’immigration et plus exactement dans des ZUS, des « zones urbaines sensibles » délibérément choisies pour mener l’enquête. Ainsi 16 % des interrogés provenaient de ZUS et 25 %, soit 1.750 sur les 7.000 de l’échantillon, étaient musulmans.
L’étude avait pour unique but de mesurer le taux d’adhésion à la radicalité et non de repérer le processus de radicalisation, voire de débusquer les jeunes menaçant de s’engager dans cette voie. Elle permet de déterminer quels sont les jeunes qui ne rejettent pas l’extrémisme, la violence ou le terrorisme, sans qu’il soit question de dire qu’ils sont susceptibles de passer à l’acte.
La radicalité chez les lycéens ne s’explique pas par des facteurs socio-économiques
Si la radicalité se définit par le rejet du système établi, toute une gamme d’attitudes peut être retenue. C’est ce qu’ont fait les sociologues du CNRS : « Nos questions allaient donc de la simple tolérance à l’égard de la triche lors d’un examen jusqu’au fait de prendre les armes pour faire triompher ses idées. » Mais selon leurs critères, la radicalité commence avec la participation à une manifestation de contestation ou le fait de vouloir voter pour un parti « hors système ou extrémiste ». Cela fait aujourd’hui beaucoup de monde.
Sur le plan religieux, la radicalité a été définie par les chercheurs comme « un ensemble d’options pouvant déboucher sur le fondamentalisme, soit une conception littérale et absolue de la religion, devant s’imposer à l’ensemble de la société et marquée notamment par un clair refus d’une séparation entre le religieux et le politique ». Etant entendu selon eux qu’on peut « avoir une conception absolutiste de la religion tout en refusant de partir en guerre contre les autres religions ». En effet : un catholique croit que sa religion est vraie mais cela n’en fait pas un radicalisé…
Pour ce qui est de la radicalisation islamique, les chercheurs expliquent dans leur entretien qu’elle est traditionnellement attribuée à trois facteurs par les sociologues, pas forcément exclusifs les uns des autres : elle peut être fondée sur « l’interprétation religieuse elle-même », sur un sentiment de « frustration et de victimisation » lié à l’idée qu’on fait l’objet de discrimination, ou encore à un « malaise identitaire » individuel.
Le CNRS reconnaît l’importance du phénomène religieux
Les constats concernant les jeunes musulmans sont révélateurs. Dans l’ensemble ils ressemblent aux lycéens moyens que ce soit dans l’attitude à l’égard de l’école ou la conception de l’avenir professionnel. Mais les jeunes musulmans présentent des différences notables par rapport à la moyenne dans certains domaines.
« En revanche sur le plan de la tolérance à la déviance et à la violence, il existe des écarts significatifs. Les jeunes de notre échantillon font preuve d’une tolérance plus forte à l’égard des comportements déviants comme “conduire sans permis” par exemple, ou le fait de “dealer un peu de haschich”. D’autre part, ces élèves témoignent globalement d’une adhésion plus forte à la radicalité. Participer à des actions violentes pour ses idées ou même se sacrifier pour une cause est davantage admis, et une plus grande proportion d’entre eux déclare être éventuellement prête à affronter les forces de l’ordre ou d’autres manifestants. Enfin, et ça n’est pas négligeable, les principes de la laïcité sont en moyenne rejetés par deux fois plus d’élèves que dans l’ensemble de la jeunesse », note Olivier Galland.
Celui-ci reconnaît que « l’effet religieux » fait partie des facteurs de radicalité des jeunes musulmans : « D’une part, ils sont trois fois plus nombreux que les autres à défendre une vision absolutiste de la religion – en considérant à la fois qu’il y a “une seule vraie religion” et que la religion explique mieux la création du monde que la science. 11 % des jeunes de notre échantillon sont sur cette ligne, un chiffre qui triple pour ceux de confession musulmane. D’autre part, quand on combine le degré d’adhésion à cet absolutisme religieux et la tolérance à l’égard de la déviance ou de la violence, on retrouve le même facteur multiplicatif : 4 % des jeunes de toutes confessions défendent une vision absolutiste de la religion tout en adhérant à des idées radicales, alors que ce chiffre est de 12 % chez les jeunes musulmans de notre échantillon. »
La religion islamique premier facteur de radicalité
Même si cela reste marginal les sociologues ont bien été contraints de constater que cette forme de radicalité est trois fois plus présente chez les musulmans que chez les autres, et surtout, « lorsque l’on fait varier d’autres facteurs, comme la situation socio-économique ou la filière d’étude, cela ne change quasiment pas le résultat ».
Autrement dit, expliquer la radicalité par des facteurs comme l’exclusion, la pauvreté, est un non-sens, tout simplement parce que cela n’est pas confirmé dans les faits.
Mieux ! Comme le souligne Anne Muxel, les jeunes concernés ne sont pas en réaction par rapport à leur milieu familial : « L’hypothèse d’une rupture avec un milieu athée ou mécréant, ou celle d’une religion qui serait un prétexte lorsqu’on se radicalise pour d’autres raisons, ne sont pas probantes. Ces jeunes ont au contraire bénéficié d’une éducation religieuse importante, occupant une place quotidienne dans leur vie et dans leur foyer. »
La sociologue explique qu’il reste encore à déterminer quels sont les liens possibles entre « un fort engagement dans l’islam et le degré d’adhésion à des idées plus ou moins radicales » : autrement dit, comprendre si on a d’autant plus de chances d’approuver les terrorismes islamiques que l’on est profondément croyant.
Le CNRS fait le lien entre la radicalité des lycéens et l’éducation religieuse
Elle ajoute : « Si l’on voulait être complet sur la question de la radicalité religieuse, l’idéal aurait été d’enquêter aussi dans des lycées privés juifs ou catholiques. Mais nous n’en avions pas les moyens. » Mais de préciser aussitôt : « D’autre part, ces formes de radicalité, qui existent certainement, n’ont ni l’ampleur ni les conséquences de celle qui est liée à l’islam. » Tiens donc !
Si le sentiment religieux et le degré de pratique ne sont pas les seuls facteurs déterminant, il apparaît bien comme le plus important. Et il se traduit de manière très parlante dans la perception des jeunes par rapport à l’extrémisme politique et au terrorisme. Interrogés sur les attentats de Charlie et du Bataclan, note Olivier Galland, les jeunes musulmans se sont montrés moins enclins à en condamner les auteurs ou à se dire sensibles à ces événements, et ce d’autant « qu’ils témoignaient d’un haut degré d’adhésion à l’absolutisme religieux ».
De là à se demander si la religion islamique n’est pas en elle-même un facteur de radicalité, il n’y a qu’un pas. Le CNRS osera-t-il de franchir dans une prochaine étude ?