Deux initiatives citoyennes concurrentes étaient présentées mercredi par leur comité organisateur aux députés de la Diète polonaise. L’une est intitulé « Sauvons les femmes » (Ratujmy kobiety) et voudrait libéraliser l’avortement qui n’est autorisé en Pologne que dans trois cas de figure : en cas de danger pour la vie ou la santé physique de la femme enceinte, en cas de grossesse issue d’un acte interdit par la loi (viol, inceste…) et en cas de soupçon raisonnable de malformation ou maladie grave et incurable de l’enfant conçu. Le deuxième projet de loi citoyen, intitulé « Arrêtez l’avortement » (Zatrzymaj aborcję), vise au contraire à supprimer de la loi la loi polonaise de 1993 « sur la planification familiale, la protection du fœtus humain et les conditions autorisant l’interruption de la grossesse » ce dernier cas de figure qui concerne la majorité des quelque 2.000 avortements réalisés chaque année dans les hôpitaux polonais.
Quelques précisions sur l’avortement en Pologne
Une petite précision s’impose ici pour répondre aux nombreuses désinformations sur le sujet de l’avortement en Pologne. Pour ce qui est des avortements réalisés en toute légalité dans les hôpitaux chaque année, on parle généralement d’un peu plus de 1.000 cas. Ce sont les statistiques du ministère de la Santé à partir des données envoyées par les hôpitaux. Mais si l’on en croit le chiffre des demandes de remboursement adressées par les hôpitaux polonais au Fonds national pour la santé (NFZ), qui est plus fiable, c’est bien un peu plus de 2.000 avortements qui sont réalisés chaque année.
Quant à la question des avortements illégaux censés justifier une libéralisation de l’avortement, les organisations féministes polonaises parlent régulièrement de 80.000 à 200.000 avortements réalisés illégalement chaque année par les Polonaises, et elles ont récidivé ces derniers jours. En raison du caractère illicite de l’acte, il ne peut y avoir aucune étude fiable à ce sujet et les sondages contredisent ces chiffres. Celui de 200.000 qui est souvent repris par les médias étrangers avait été avancé par le Planning familial polonais (Federacja na rzecz Kobiet i Planowania rodzinnego) dans un rapport publié en 2000, mais les auteurs du rapport n’ont pas su expliquer d’où provenaient ces chiffres, reconnaissant qu’il s’agissait de leur propre estimation.
Les différents sondages montrent d’ailleurs une très nette évolution de la société polonaise en faveur du droit à la vie au cours des trente dernières années. Or les seules données fiables nous viennent des avortements réalisés légalement en 1997, quand l’interruption volontaire de grossesse a été autorisée pendant près d’un an avant l’invalidation par la Cour constitutionnelle de l’amendement à la loi autorisant l’IVG. En près d’un an, il y avait eu alors, selon les chiffres du ministère de la Santé, « seulement » 3.047 avortements dont 2.524 motivés par la situation personnelle de la femme enceinte. Et ce alors que chaque femme pouvait se faire avorter de manière « sûre » et gratuite dans les hôpitaux polonais.
L’initiative citoyenne contre les avortements eugéniques a recueilli au moins quatre fois plus de signatures que celle en faveur d’une libéralisation de l’avortement !
Autre manipulation des milieux pro-avortement polonais : ils ont affirmé avoir recueilli pour leur initiative « Sauvons les femmes » près d’un demi-million de signatures et l’on pouvait entendre encore les partisans de ce projet de loi parler des signatures de 400.000 personnes après son rejet par la Diète. Or le comité organisateur de cette initiative citoyenne n’a remis que 21.823 feuilles de signatures au maréchal (président) de la Diète, sachant que chaque feuille peut contenir un maximum de 10 signatures de citoyens. Les services de la Diète ont vérifié 11.500 de ces feuilles sur lesquelles se trouvaient 105.481 signatures valides (le minimum exigé est de 100.000). On peut donc raisonnablement estimer le nombre total de signatures obtenues dépasse les 200.000, environ la moitié de ce qui est revendiqué. Les organisateurs de l’initiative citoyenne « Arrêtez l’avortement » ont quant à eux remis plus de 102.000 feuilles de signatures, ce qui représente un total de 830.000 signatures. C’est un record pour une initiative citoyenne dans ce pays de 38 millions d’habitants.
Pour le vote en première lecture sur les deux projets mercredi, Beata Mazurek, la porte-parole du PiS, avait annoncé que son parti souhaitait que les deux projets soient envoyés en commission, mais qu’il soutiendrait en deuxième lecture uniquement le projet « Arrêtez l’avortement ». Mais même avec le vote favorable à son renvoi en commission d’une cinquantaine de députés du PiS, le projet citoyen de libéralisation de l’avortement a finalement été rejeté à neuf voix près. Il lui a manqué, outre les voix de la majorité des députés du PiS qui n’ont pu se résoudre à renvoyer un tel projet en commission, les voix de députés des partis d’oppositions, y compris dans les rangs des libéraux.
Trois députés de la Plateforme civique (PO) ont été exclus du parti jeudi pour avoir voté contre le projet de loi pro-avortement. Le parti libéral des amis de Donald Tusk a également sanctionné, mais moins durement, ceux qui n’avaient pas participé au vote alors qu’ils étaient présents à la Diète. Mais ces sanctions ne font pas l’unanimité, un sénateur menaçant même de quitter le parti, et la PO est ressortie profondément divisée de ce vote. Il en est de même pour l’autre parti libéral, Nowoczesna (« Moderne »), dont certains députés sont favorables à une libéralisation de l’avortement tandis que d’autres refusent le discours de déshumanisation de l’enfant conçu et sont sortis de la salle plénière en entendant la promotrice de l’initiative citoyenne « Sauvez les femmes » affirmer qu’« Un gland n’est pas un chêne, un œuf n’est pas une poule, et un fœtus ou un embryon, un zygote ou un amas de cellules n’est pas un enfant ».
Après le rejet du projet de loi pro-avortement en première lecture, la Diète va examiner le projet de loi contre les avortements eugéniques en commission
Outre le soutien annoncé de la direction du PiS, le projet visant à interdire l’avortement eugénique peut compter sur le soutien du président Duda qui a promis qu’il le ratifierait s’il est adopté par la Diète, car la loi actuelle permet notamment, par l’interprétation large qui en est faite, de tuer les enfants touchés par exemple par la trisomie 21. S’exprimant en octobre dans l’hebdomadaire catholique Gość Niedzielny, le président Duda a dit : « Ces enfants, s’ils arrivent à survivre et que leur parents ne choisissent pas, comme cela est malheureusement proposé aujourd’hui, l’avortement, sont très heureux. Il est inacceptable qu’il soit aujourd’hui possible en Pologne de les tuer. Ce sont des gens merveilleux, qui peuvent faire beaucoup de bien grâce à leur vie. Je signerai la loi interdisant l’avortement eugénique avant tout pour supprimer le droit de tuer les enfants avec le syndrome de Down. »
Les évêques polonais en appellent à la conscience des députés et sénateurs chrétiens pour soutenir le projet de loi « Arrêtez l’avortement »
La Conférence des évêques de Pologne avait fait lire dans toutes les églises de Pologne, pour le dimanche de la Sainte Famille le 31 décembre dernier, un appel aux députés pour qu’ils soutiennent le projet de loi citoyen « Arrêtez l’avortement ». La conférence des évêques a de nouveau publié un communiqué mercredi pour en appeler aux consciences des députés chrétiens. Pour Mgr Gądecki, archevêque de Poznań et président de la Conférence des évêques, ce ne doit être qu’une première étape vers une protection intégrale du droit à la vie. Mgr Henryk Hoser, président du conseil de bioéthique de la Conférence des évêques de Pologne, a aussi rappelé que, outre la Constitution polonaise qui garantit la protection du droit à la vie, la loi polonaise sur le Défenseur des droits des enfants dispose que chaque personne est un enfant de sa conception à sa majorité.
Les dispositions liberticides et contraires aux droits fondamentaux du projet « Sauvons les femmes »
Par ailleurs, le projet de loi « Sauvons les femmes » rejeté mercredi en première lecture était critiqué pour ses dispositions liberticides rédigées sur le modèle français de notion de délit d’entrave à l’avortement par l’information. Il souhaitait en outre priver les parents de tout pouvoir de décision pour les jeunes filles mineures, qui auraient pu décider seules de se faire avorter à partir de quinze ans. Pour les mineures de moins de quinze ans, la décision aurait été confiée aux tribunaux. Le conseil de l’ordre des médecins polonais (Naczelna Rada Lekarska, NRL) était très critique vis-à-vis de ce projet de loi qu’il considérait comme contraire à la constitution polonaise. Le président du NRL a aussi critiqué les manipulations consistant à remplacer certains mots par d’autres pour masquer la réalité : « avortement » remplacé par « interruption de grossesse », « enfant conçu » remplacé par « fœtus ». Tout cela, a-t-il dit, pour effacer la responsabilité de ceux qui tuent des vies humaines.
La libéralisation de l’avortement irait aussi à l’encontre du jugement rendu par la Cour constitutionnelle en 1997. Celle-ci n’avait alors eu à se prononcer que sur le paragraphe concernant les conditions socio-économique et la situation personnelle des femmes enceintes. Mais la Cour constitutionnelle polonaise a été saisie l’année dernière par un groupe de 100 députés du PiS justement sur le paragraphe de la loi relatif à la possibilité d’avorter en cas de soupçon de malformation ou maladie grave et incurable de l’enfant conçu. Même en cas de suppression de ce paragraphe par le parlement, sur la base du projet de loi citoyen, les juges constitutionnels pourraient décider de se prononcer sur ce sujet et de donner ainsi à l’interdiction des avortements eugéniques un caractère constitutionnel, ce qui rendrait cette interdiction plus difficile à renverser à l’avenir.
A moins que le PiS ne décide de faire comme le Parti populaire en Espagne : mettre le projet de loi citoyen en attente en se servant de l’excuse de la saisine du Tribunal constitutionnel sur cette question. Cela irait toutefois à l’encontre des déclarations des représentants du PiS, y compris de son dirigeant Jarosław Kaczyński, et cela mettrait le PiS en porte-à-faux avec le noyau dur de son électorat. La Pologne n’est pas l’Espagne !