Généralement émis pour annoncer un moment de la vie familiale, mariage, naissance ou mort, les télégrammes, concurrencés par le téléphone, ont été mis à mort par les courriels et en dernier les SMS. Orange annonce la fermeture d’un service ouvert voilà cent quarante ans.
Ils étaient encore quarante. Mais ils n’étaient pas immortels et ils n’auront pas de remplaçants. A partir du premier mai zéro heure zéro zéro, Orange affecte les derniers salariés qui s’occupaient du service du télégramme à d’autres tâches. Oui, il existait encore des gens dans la France de 2018 qui envoyaient des télégrammes. 1.400 exactement ont été émis en avril, professionnels pour la plupart, surtout des convocations ou des notifications. Le télégramme était de l’époque où les codes civil et pénal ne bougeaient pas, il avait une valeur légale.
Les télégrammes émis pour le mariage du capitaine Haddock
Bizarre. Je m’étais toujours imaginé que le télégramme n’était plus qu’un nom de vieux journal, comme la lettre ou le courrier, donné à l’époque où le mot suggérait promptitude et modernité, l’époque de la fin des diligences et des premiers chemins de fer, entre petit bleu et Orient express. Cela fait si longtemps qu’on annonçait les naissances, et les décès hélas, par téléphone ou par courriel que j’en avais oublié le temps d’avant. La scène où le capitaine Haddock reçoit, accablé, un monceau de télégrammes de félicitations émis pour son mariage avec la Castafiore n’est plus imaginable – d’ailleurs, elle ne dit plus rien aux adolescents d’aujourd’hui. Que le télégramme repose en paix. Il avait commencé avec des inventeurs géniaux, Chappe et ses sémaphores sous la Révolution, Morse, son alphabet et ses fils qui chantent dans les années 1840. Le nom de fils qui chantent avait été donné aux lignes télégraphiques par les Indiens des prairies d’Amérique dont elles traversaient les territoires.
Orange, le dernier dinosaure « Ni-ni »
Avec le télégramme disparaît un certain état de la France et de l’Etat. Lancé en 1879 par une troisième république encore dans ses langes, il mettait Paris au centre d’une toile d’informations et d’ordres qui en faisait la capitale sourcilleuse du progrès. Les populations de Lozère et du Morbihan considéraient cette magie centralisatrice avec la même inquiétude révérencielle que les derniers des Mohicans. C’était le produit d’une société où le mariage liait un homme à une femme, et où l’on ne laissait traîner aucun migrant dans les rues de Paris ni dans la basilique de Saint Denis. Il a survécu, comme tant d’autres choses, dans l’un des mille recoins de l’administration française. C’est Orange en effet qui a émis le dernier. C’est-à-dire, sous les aspects d’une multinationale terrible et suicidogène, l’héritière de France Telecom et des PTT, hybride de public et de privé furieusement mitterrandien. C’est un peu avec nos impôts et les tarifs qu’on nous impose qu’on payait encore quarante fossiles à télégraphier. On en reste ému. Mais tout a une fin. Comme de juste, la nouvelle de la fin du télégramme est tombée par tweet.