Le feuilleton espagnol Anges ou démons, diffusé par la chaîne pour adolescent NT1 propage une vision métaphysique hétérodoxe. C’est sûr quand on le regarde, le mal joue et gagne. Constat désespéré, propagande contraire à la foi et la morale chrétienne, témoignage de l’entrée d’un ancien pays très catholique dans une société postchrétienne.
La chaîne NT1, assez largement spécialisée dans un public d’adolescents, vient de diffuser en juillet et août 2014 le feuilleton espagnol « Anges ou démons », soit en langue originale Angel o demonio, de la chaîne ibérique Telecinco. En passant au pluriel, la traduction française change quelque peu d’ailleurs le sens initial : au singulier, le feuilleton est centré sur le choix de l’héroïne principale, Valeria, qui doit rejoindre le monde des anges ou celui des démons. Il a été tourné en 2011-2012, sur deux saisons. Jusque-là, la « série », suivant l’anglicisme courant, était à peu près inconnue en France. Le nom est à ne pas confondre avec celui proche Anges et démons, œuvre mineure, roman (2000) adaptée au cinéma (2009), de l’auteur scandaleux Dan Brown, celui du Da Vinci Code (2003), charge anticatholique explicite.
Il est donc question d’anges et de démons dans le feuilleton espagnol. Les démons proposent le Mal, c’est-à-dire des actions mauvaises concrètes aux hommes. Les anges essaient de les contrer en défendant le Bien, l’ordre voulu par la Providence. A partir de ce canevas simpliste, quelle vision du monde, quelle théologie, se diffuse ?
Anges ou démons ? Des définitions fausses
Quelques représentants de l’espèce humaine, rares, découvriraient à l’adolescence une nature très spéciale, angélique. Il leur faudrait alors accomplir un choix. Soit rester fidèles à leur nature initiale, soit basculer dans le Mal, en tombant au statut d’ange déchu, c’est-à-dire démon. Les anges comme les démons possèderaient des pouvoirs parapsychiques développés, connaitraient les pensées des hommes, pourraient dans une large mesure les influencer, par des fluides mystérieux tout autant que par les paroles. Ces capacités se développeraient avec le temps au fil des siècles, puis des millénaires. En cas d’affrontements violents, un ange pourrait espérer décapiter un démon à l’aide d’une épée de feu tombée du ciel, ce qui enverrait l’âme damnée de ce dernier dans l’Enfer éternel. Ainsi ces anges ou démons ne seraient fondamentalement que des surhommes, et rappelleraient bien davantage les immortels du taoïsme que les êtres purement spirituels définis par le catéchisme de l’Eglise catholique. Seule une imagerie inspirée du catholicisme est reprise, issue des drames romantiques ou opéras espagnols du XIXème siècle, inconnus en France. Cette définition initiale participe déjà du cadre d’une société postchrétienne, où les notions empruntées au christianisme se dissolvent dans un symbolisme confus.
Au milieu d’un contexte métaphysique pour le moins peu clair, surnagent quand même les idées très générales, de Bien et de mal, et d’enfer éternel pour les damnés, hommes ou démons. Il n’est guère, ou pas du tout, question du Paradis. Il est difficile de savoir s’il s’agit d’un oubli volontaire des scénaristes, et de la motivation de celui-ci. Eviter des considérations estimées ennuyeuses, sur le plan narratif, ou ne pas expliciter une chose allant de soi ? Cette omission paraît quand même quelque peu suspecte. Le ton général du feuilleton se caractérise par son pessimisme. L’enfer est affirmé, le Paradis occulté.
Anges ou démons ? Le spectateur choisit démons
Les démons perturbent le plan voulu par la Providence. Les anges le défendent. Pourtant, domine parmi eux un net fatalisme, du moins chez les débutants, les adolescents ou jeunes adultes auxquels le public visé doit pouvoir s’identifier. Ils obéissent aux ordres, sans les comprendre, voire doutant franchement de leur bien fondé. Ils s’insurgent parfois devant leur impuissance face à la souffrance humaine. Surtout, chose vraiment étonnante, ils ne prient jamais. Les rares prières, courtes, sont d’ailleurs prononcées par des démons, qui, pour mieux tromper les hommes, singent souvent les familles catholiques pieuses en récitant le bénédicité.
Qu’en est-il de l’attractivité des anges et des démons ? Les anges dégagent un ennui prodigieux. Ils se contraignent à peu près à la chasteté, sans savoir pourquoi, se nourrissent de salades vertes, sans sauce, et boivent de l’eau pure. Les anges font ou se font des câlins, spirituels au mieux. A contrario, les démons animent le feuilleton. Les démons savourent la viande et apprécient les grands vins. Ils ne lésinent pas sur les satisfactions sensuelles. Une pudeur minimale demeure, selon les règles actuelles de décence de la télévision espagnole, qui sont très loin du franquisme, sans atteindre pour autant le laxisme total français ou américain. Les démons intéressent, amusent, séduisent le spectateur. Les acteurs, tous inconnus en France, interprétant les démons, se font visiblement plaisir, et amusent le public, tandis que les interprètes des anges donnent l’impression de s’ennuyer eux-mêmes, et ennuient le public, en traînant un air triste, maussade, voire une humeur dépressive. Evidemment cette appréciation esthétique n’entraîne pas en soi de perspective de damnation pour le téléspectateur, mais peut instiller une forme dangereuse de complicité pour des esprits malins, chez des âmes ignorantes ou fragiles, ce qui fait beaucoup de monde dans notre société postchrétienne.
Le mal joue et gagne : L’Eglise absente et attaquée
Même avec des définitions erronées, le téléspectateur candide s’attendrait à voir des anges assister à la Messe. Eh bien non. Ceci surprend, tout comme leur absence de prières. De ce fait, les hommes eux-mêmes, confrontés à la tentation démoniaque, même lorsqu’ils comprennent, tardivement, être attaqués par des êtres surnaturels maléfiques, ne prient pas davantage. Aucune famille ne se rend aux offices le dimanche, ou aux processions, tout comme aucun des jeunes protagonistes. A l’inverse, le culte vaudou est montré, assimilé à juste titre à de la sorcellerie appréciée des démons.
Pourtant existent deux personnages très secondaires qui sont des hommes d’Eglise. Il s’agit de deux membres d’un ordre religieux, au contact du monde, un jeune prêtre et son mentor, directeur du monastère. Pour éviter d’attaquer un ordre précis, celui d’Anges ou démons demeurent flou. Tout au plus faudrait-il reconnaître à son caractère intellectuel, ses audaces de raisonnements, les jésuites. Ils ne sont pourtant jamais nommés, et les hypothèses de franciscains, dominicains, ou société de prêtres diverses ne sont pas absurdes. Ces prêtres sont reconnaissables dans leur métier par une tenue de type clergyman. D’audace en audace, le jeune prêtre fini par être repéré par les démons. Ils envoient une démone l’obséder, et elle réussit à imposer son emprise. Elle lui souffle de franches hérésies, sur l’inévitable triomphe du Mal, et joue largement avec sa sensualité. Il prononce ses erreurs à Rome à un congrès de son ordre. Son supérieur, horrifié ne peut l’empêcher, car il est victime d’un chantage. Averti par les démons, le jeune hérétique sensuel menace de révéler le passé lointain de prêtre violeur pédophile de son supérieur. Son crime contre la foi commis, il abandonne la prêtrise, revient en laïc sur les lieux de son ministère, avec une légèreté étonnante, réduisant le sacerdoce au mieux à une erreur d’orientation professionnelle. Rien n’est épargné à l’Eglise, absente le plus souvent, ou alors réduite aux pires et répugnantes images anticléricales.
Les commandements de l’Eglise sont aussi attaqués dans le domaine délicat de la bioéthique. Un épisode présente le drame de parents qui risquent d’enfanter des enfants à l’espérance de vie très courte, porteurs d’une maladie génétique : ils en ont perdu un, et en perdront un second. Les médecins ne comprennent pas que le deuxième n’ait pas été éliminé suite à un tri embryonnaire, et des embryons exempts du mal implantés à sa place. Les parents qui témoignent de la force de leur conviction catholique, interdisant la PMA et le tri embryonnaire, passent pour des fanatiques absurdes. Ici la fiction est manifestement destinée à commander à la réalité : les commandements de l’Eglise deviennent difficilement compréhensibles voire absurdes dans une société postchrétienne.
Le mal joue et gagne : triomphe de l’antimorale actuelle
Le feuilleton s’intéresse à la vie sentimentale de lycéens, dont les fameux anges ou démons qui découvrent ce qu’ils sont, il ponctue ses épisodes de romances à la mode actuelle. Le personnage principal l’ange Valeria est tenté par son grand amour, Damian, démon. Elle ignore durant longtemps sa véritable nature. Le spectateur échappe au moins aux amours contre nature, ce qui est une chance rare de nos jours. Par contre, tous ces jeunes gens forniquent, vraiment tous, dès le lycée, voire la fin du collège, et ce avec une bonne conscience formidable. Il n’est jamais explicitement question de contraception, mais elle tient de l’évidence dans le contexte. La question morale, si l’on ose dire, est celle de la sincérité. Les jeunes hommes sont soupçonnés de prétendre aimer alors qu’ils se contentent de désirer, travers masculin en effet commun. Les démons et démones usent de la sexualité pour corrompre les êtres, ce qui relève d’une certaine cohérence. Étonnamment, elle est simplement déconseillée pour les anges, on ne sait trop pourquoi. Une héroïne angélique manque de tomber dans le camp des démons après un acte sexuel, mais ce serait lié à des phases de la lune, de manière franchement peu claire, certainement pas à la transgression d’un interdit. La chasteté angélique tiendrait de la coutume bizarre, certainement pas d’une obligation morale claire, ou d’une invitation à la vie spirituelle, mieux accomplie par un détachement de la chair.
Les familles éclatent, se décomposent, se recomposent. Cette fragilité des familles est considérée comme une triste fatalité, à gérer avec le minimum de querelles possibles. L’avortement, la stérilisation, vont de soi en ce monde. Ces actes mauvais sont promus parce qu’ils sont envisagés ou accomplis par des caractères plutôt positifs, de bons pères ou mères de famille, qui travaillent, ont une vie sociale active, des apparences de bonnes mœurs, pas des marginaux auxquels il serait impossible de s’identifier pour le public adolescent. On songe au rôle des telenovelas, feuilletons sentimentaux brésiliens, qui ont pourri les mœurs de toute l’Amérique Latine, en banalisant les comportements éloignés de la morale de l’Eglise. Là, la propagande antifamiliale passe par un contexte certes un peu fantastique, mais malgré tout assez semblable au réel pour permettre les transpositions. Les mœurs étranges des tanières de lycanthropes ou des nids de vampires, bien qu’elles soient souvent bien connues d’ignorants en tout, s’avèrent moins dangereuses, moins efficaces dans la corruption morale, car elles diffèrent trop de la vie humaine pour que le spectateur puisse s’identifier.
Le mal joue et gagne : une réalité sociale effroyable
Le feuilleton est subdivisé en deux saisons. Sur une trentaine d’épisodes, de multiples intrigues se greffent autour de la trame formée par les interprètes principaux, lycéens puis étudiants. Les démons essaient de damner les âmes des familles spécifiquement visées dans les épisodes, et les anges de les sauver. Parfois, il faut bien le reconnaître, le grand guignol un peu ridicule est plus que frôlé, avec le recyclage du thème freudien de l’assassinat de ses propres parents, pris au sens propre, et répété. Toutefois, le plus souvent, des tranches de vie dramatique de l’Espagne, pays en crise économique, sociale, et spirituelle, graves, sont saisies de façon relativement réaliste, ou du moins crédible. Les malheurs des petits commerçants, des industriels, ou a fortiori des artistes, toutes les professions ou presque voient leur situation décrite de façon dramatique. Cette proximité provoque la sympathie et facilite le travail du mal. Des familles recomposées conduisent à des haines inexpiables, chose prise comme un constat, base à la construction de récits. Les gens mauvais, ou peu méritants, triomphent, alors que les honnêtes et travailleurs n’arrivent à rien. Cette observation de Qohéleth aux temps bibliques se retrouve dans un pays à 25% de chômeurs. On perçoit au fil des épisodes des échos évidents aux scandales politiques et financiers espagnols, certainement plus familiers aux téléspectateurs du pays. Cette injustice en ce monde, indéniable, fournit la première matière à la tentation des démons. Les gens honnêtes ne seraient que des imbéciles, des « sans dents » méritant leur échec, les malhonnêtes des habiles, qu’il suffirait d’imiter pour réussir. La mal joue et gagne. Cependant le feuilleton ne se contente pas heureusement de cette idée simpliste. Il offre un vaste panorama de la souffrance humaine à travers de nombreux exemples en Espagne, dans tous les milieux.
Anges ou démons : derrière la confusion métaphysique, l’horreur exacte
Le feuilleton « Anges ou démons » est donc la transcription culturelle d’une société postchrétienne. Il y a certes un Bien, un mal, des recommandations minimales de ne pas tuer, voler, mentir, mais sans qu’il existe entre elles une cohérence profonde, encore moins qu’elles prennent racine dans la foi catholique. Par exemple ne pas tuer coexiste avec le « droit » à l’avortement. Dès qu’il s’agit d’une question un minimum délicate, un faux bon sens conduit systématiquement à nier la morale chrétienne.
Cependant cette société postchrétienne n’est pas présentée dans une perspective matérialiste, jugée sur l’échec flagrant de son économie ou de sa politique, mais regardée d’un point de vue spirituel : elle est livrée aux démons, sans espoir. Au-delà de l’évidente et pénible hétérodoxie religieuse, il y a quelque chose de vrai dans ces démons. Ce constat s’avère à la fois juste et abominable pour le croyant catholique. Face à de telles choses, il ne reste que la chose précisément absente de ce feuilleton, la prière.
Octave Thibault