La stratégie de l’Arabie saoudite qui a continué à augmenter sa production de pétrole alors même que les prix du brut baissaient dans le contexte d’un marché submergé par l’offre ne paie pas. Les analystes l’attribuaient à une volonté du royaume wahhabite de conserver ses parts de marché : aujourd’hui, on constate que le plus gros exportateur mondial les a au contraire plutôt perdues : il s’est vu dépasser par ses rivaux sur neuf des quinze plus gros marchés, la Chine, l’Afrique du Sud et les Etats-Unis compris. C’est ce que montre l’analyse des données des douanes sur la période, commentées par le Financial Times.
L’Arabie saoudite s’était fixé l’objectif de garder son marché malgré la baisse des prix dont son économie souffre aujourd’hui fortement. La stratégie a partiellement fonctionné puisque d’autres statistiques font état d’une « augmentation limitée » de ses parts de marché sur le plan global en 2015 par rapport à 2014, même si elles sont restées inférieures à ce qu’elles étaient en 2013. En 2015, elle répond à 8,1 % de la demande globale (hormis sa propre consommation) contre 7,9 % l’année précédente et 8,5 % en 2013.
C’est notamment la pression de la Russie et de l’Irak, qui pratiquent une stratégie agressive sur des marchés qu’ils jugent cruciaux pour leurs intérêts, qui a compliqué la situation de l’Arabie saoudite. Mais tous sont aux prises avec les effets de la chute des cours et le mois dernier, l’Arabie et la Russie, et quelques autres, ont enfin décidé de limiter leur production au niveau (toujours très élevé toutefois) de janvier 2016.
L’Arabie Saoudite vend moins de pétrole à l’Afrique du Sud, à la Chine et aux Etats-Unis
Est-ce la fin d’une guerre pour ces producteurs fragilisés par la part du pétrole dans leurs économies respectives ? Rien ne permet de le dire mais il faut mettre en évidence le rôle joué par les Etats-Unis. Ceux-ci ont profondément modifié le marché en exploitant leur gaz de schiste malgré un coût bien plus élevé que celui de l’extraction « à l’ancienne », et en autorisant l’exportation du pétrole.
L’Arabie saoudite – leur allié traditionnel – en fait les frais et même semble en souffrir le plus aujourd’hui. Pour l’heure, en tout cas, sa tentative de contrer la politique américaine et rendre l’exploitation du gaz de schiste sans intérêt sur le plan économique, en maintenant une production forte et en sacrifiant ses revenus à court terme « pour ne pas subventionner ses rivaux » qui supportent de plus forts coûts de production, comme l’ont répété des responsables saoudiens depuis 2014, n’a pas payé.
Ce sont notamment la Russie et l’Irak qui tirent les marrons du feu. Ainsi l’Arabie saoudite a-t-elle vu sa part dans les importations chinoises tomber de 19 à 15 % entre 2013 et 2015, au profit de la Russie. L’Afrique du Sud s’est elle fournie davantage au Nigeria et en Angola, tandis que la part saoudienne de ses importations passait sur la même période de 53 à 22 %.
La chute des cours n’a pas permis à l’Arabie saoudite de conserver ses parts de marché
Les Etats-Unis ont consommé davantage de leur propre production tandis que l’Arabie voyait ses exportations vers le géant américain diminuer à l’avenant : sa part dans les importations y est passé de 17 à 14 %.
La part des exportations saoudiennes a au contraire augmenté vers le Brésil, l’Inde et le Japon.
La stratégie actuelle de Saudi Aramco, la compagnie pétrolière d’Etat, vise à supplanter la Russie sur des marchés où celle-ci possède d’importantes parts : auprès de Preem en Suède, de l’Europe en général et plus particulièrement dela Pologne. Tout cela dans le contexte de la montée en puissance de l’Iran, libérée des sanctions économiques qui la frappaient grâce notamment à la volonté d’Obama qui lâche de plus en plus les alliés traditionnels des Etats-Unis.
Saudi Aramco vise désormais à assurer ses arrières en augmentant les capacités de raffinage sur place, aujourd’hui bien en deçà de ses capacités de production de brut ce qui contraint à l’exportation sans valeur ajoutée. La compagnie a également pour objectif de racheter des raffineries dans les pays importateurs de son brut : elle a annoncé le rachat de la plus grosse raffinerie d’Amérique du Nord, au Texas et compte faire d’autres acquisitions en Inde, en Indonésie, en Malaysie et au Vietnam.
L’Arabie saoudite a perdu des marchés, mais elle augmente sa production de brut
Est-ce une stratégie durable ? Dans le contexte de la limitation supposée de la consommation d’énergies fossiles décidée pour contrer les effets du « changement climatique », on peut se dire que tout cela n’a pas de sens. Mais il semble bien que la production, la vente et l’utilisation du pétrole n’est pas près de disparaître.
Et au moment où l’Arabie est confrontée à une baisse relative de ses exportations, au moins vers certains marchés, elle continue de favoriser la production : on vient ainsi d’apprendre que le Kuwait s’est accordé avec elle pour reprendre l’extraction dans la Zone divisée d’Al-Khafji « à des niveaux compatibles avec les considérations environnementales », comme l’a annoncé le ministre koweïtien du pétrole, Anas Al-Saleh.
Comme si le monde en manquait.