Mes brins de muguet

Brins muguet
 
La scène se passe quelque part dans une petite ville de province. Il fait beau, en ce 1er mai 2017, mais les rues sont vides, les rideaux des commerçants désespérément baissés. Il est vrai que, en plus d’être la fête du travail, ce 1er mai est un lundi… Peut-être, malgré le doux soleil de printemps, est-il encore trop tôt ? Seule présence humaine, ça et là, les scouts et autres militants syndicalistes qui, de loin en loin, proposent aux rares passants, quelques brins de muguet.
 
J’approche d’une petite place. Un café, seul ouvert de son espèce semble-t-il, donne un peu vie à cette journée déserte. Au comptoir, je réveille quasiment le serveur qui n’attend plus le chaland… Mon café bu, je sors, quand, soudain, je tends l’oreille. Sur la terrasse, un groupe de quatre ou cinq étudiants s’est installé. En attendant leur consommation, ils parlent d’avenir. Sans doute le présent, en cette période d’entre-deux tours électoral, leur paraît-il trop morne.
 

Famille d’abord

 
Une jeune fille, semblable à toutes ses congénères de l’époque, répond soudain à la question d’un de ses camarades : « Moi, dès que je suis diplômée, je m’installe avec mon copain ; et puis je fais des enfants, et je profite de la vie… »
 
D’aucuns penseront sans doute que, pour une jeune femme, la demoiselle manquait singulièrement d’ambition. Mais, à y bien réfléchir, elle exprimait simplement sa volonté de fonder une famille – à la manière moderne, certes, qui consiste à s’installer ensemble… Mais l’affirmation avait quelque chose de tellement spontané que l’on était bien loin de la doxa actuelle qui veut que la femme travaille en parité et à égalité avec l’homme, et qu’elle n’ait d’enfant(s) que quand elle veut, en supprimant ceux qui oseraient pointer le bout de leur nez avant l’heure.
 

Quels brins de muguet… et d’innocence

 
Sur le chemin du retour, de nouveau une rue déserte. Non, pas tout à fait. A quelques mètres, sont apparues soudainement deux princesses de trois ans, fraiches et innocentes comme le veut encore leur âge. La première termine de plier je ne sais quel cocotte de papier qu’elle s’apprête, en rentrant à la maison, à remettre à sa mère. La seconde, un brin de muguet à la main, se prépare à la même offrande.
 
Tout à coup, la première lance :
 
– Mes parents, ils vont voter Marine Le Pen !
 
– Ah ! C’est bien ça ! rétorque doctement la seconde.
 
– Oui. Vive Marine Le Pen surtout ! conclut gravement la première.
 
J’ai laissé la princesse cocotte en papier et la princesse muguet poursuivre leur route. En reprenant la mienne, je me suis dit que le système n’était pas au bout de ses peines. Même en forçant l’innocence à entrer dans ses machines à décerveler de plus en plus tôt, il ne parvient pas à supprimer cette liberté dont il s’affirme mensongèrement le héraut.
 
Bonne fête de saint Joseph à vous, amis lecteurs !
 

Hubert Cordat