Pendant que les affaires de François Fillon excitent l’acharnement du Canard, les largesses et le népotisme de la gauche le laissent coi. La délation vertueuse épargne certaines cibles, l’indignation est sélective. Un journalisme bidon au service du politiquement correct.
On ne va pas refaire le film, le feuilleton Fillon ressortit plus aux affaires bidon qu’au grand banditisme : oui, l’ancien premier ministre a bien profité sans élégance particulière du système, mais à ce stade on ne relève rien de manifestement illégal, sauf si la rémunération de Pénélope à la Revue des deux mondes, qui paraît excessive, devait prendre un parfum troisième république, Jules Grévy et Daniel Wilson. Cependant le Canard tire sur ce mince canevas comme un palmipède affamé sur un ver de vase, et file laborieusement la délation comme le mauvais écrivain file la comparaison. Pourquoi tant de haine ?
Le Canard est de gauche, son indignation forcément sélective
Il s’agit moins de haine que d’appétit affiché pour la morale, au service du politiquement correct. C’est normal, la plupart des informateurs du Canard appartiennent à la gauche éthique et narquoise, fonctionnaires saisis d’un prurit de délation (ils se voient en « lanceurs d’alerte ») ou ministères jouant au billard politique par les biais des affaires. Cela induit nécessairement une indignation sélective. Le Canard utilise trop d’énergie contre Fillon pour s’occuper d’autres affaires.
Ainsi les frais de bouche et les particularités fiscales d’Emmanuel Macron le laissent-ils froid. Le coût de la protection rapprochée de Mademoiselle Gayet (400.000 euros) aussi : il est vrai qu’en France l’art ne saurait être trop protégé.
Une bonne délation est politiquement orientée
Rémunérer son épouse ne peut « plus être accepté », selon François Fillon lui même, parce que flotte dans l’air du temps, en plus du soupçon de rémunération pour un emploi fictif, celui de népotisme. On peut employer, comme le font des dizaines de parlementaires, sa maîtresse ou son amant, mais ni sa femme ni ses enfants, telle est la loi sélective de la république, telle la règle imposée par le politiquement correct. Dont acte. Et le Canard n’a pas mesuré son indignation quand Jean Sarkozy, le fils de l’ancien président, a prétendu à une fonction trop élevée pour ses compétences.
Le Canard sait être correct quand il faut
Mais le népotisme suscite moins d’indignation quand il est pratiqué par la gauche pour la simple raison que la gauche entend démanteler la famille traditionnelle : puisque l’humanité entière est sa famille, on ne saurait lui reprocher d’embaucher sa famille. Ainsi le Canard n’a-t-il pipé mot quand Jean-Marc Ayrault, alors premier ministre, faisait entrer son épouse à l’Assemblée nationale comme chargée de mission. Il ne s’est pas ému non plus quand François Hollande pistonna son ancienne concubine Ségolène Royal vice présidente de la banque publique d’investissement. Quand Mazarine Pingeot devint administratrice de la Grande Bibliothèque de France, et quand Clémentine Aubry, la fille de Martine elle-même fille de Jacques Delors, fut nommée administratrice de l’auditorium du musée du Louvres, le Canard garda une réserve admirable.
Un journalisme bidon mais bon en affaires
De même ne posa-t-il aucune question intempestive quand Thomas Le Drian, élève moyen d’une école de commerce moyenne, décrocha un poste de premier plan à la Société nationale immobilière. Et il a su se taire quand Salomé Peillon, la fille d’un père qui prend pour modèle l’incorruptible, a trouvé une niche confortable de chargée de mission à l’Institut français d’Israël. Il a eu raison. Le piston est vieux comme l’homme, et si la République s’acharne contre la famille, elle s’accommode depuis ses débuts des petits arrangements entre tribus. J’allongerais sans profit la liste des exemples qui l’illustrent, le lecteur en a certainement quelques uns sur le bout de la langue. Ce qui agace chez les charognards qui retouillent sans cesse la vieille cuisine de l’indignation sélective et de la délation positive, ce n’est pas tant qu’ils soient bidon, mais qu’ils prétendent à la morale, et que cela marche : ils imposent ainsi leur politiquement correct aux Français.