
Călin Georgescu (© Focus Creștin)
Nous avons publié la semaine dernière la première partie d’un article sur Călin Georgescu, le candidat à l’élection présidentielle en Roumanie qui a vu sa victoire au premier tour, le 24 novembre dernier, annulée, et dont la nouvelle candidature vient d’être rejetée par la commission électorale – rejet confirmé désormais par la Cour constitutionnelle roumaine. Les réseaux sociaux bruissent des soutiens de ce que la gauche appelle « l’extrême droite » à Georgescu ; son éviction est qualifiée de « coup d’Etat », de déni de démocratie…
Anca Maria Cernea, fille d’un opposant catholique au régime communiste de Roumanie qui a payé de 17 ans de prison et de tortures sa fidélité à sa foi, spécialiste du « marxisme culturel », n’est pas de leur avis. Elle a vécu dans sa chair la mainmise de la Russie communiste sur sa patrie et n’est certes pas partisane de Poutine… Elle sait comment fonctionne la dialectique : l’idée est d’avoir la main sur les deux parties en présence ou de les utiliser pareillement à son propre avantage.
Anca Maria Cernea, spécialiste du marxisme culturel
D’une part, les déconstructeurs : ceux qui affaiblissent les pays où le wokislme fait rage, et exaspèrent dans le même temps les honnêtes gens qui avec juste raison, les combattent. De l’autre, une « droite conservatrice » ou « radicale » qui se laisse séduire par les discours forts. En l’occurrence, on voit bien commun Georgescu favorise la cause russe. Et le bien et la vérité sont pris en tenaille…
Dans le premier volet de notre traduction de l’intervention de Mme Cernea auprès d’un média polonais, wPolityce, elle posait des questions sur les origines du candidat évincé – qui fut proche du régime communiste roumain et collaborateur d’un ministre lui-même lié à un célèbre espion du KGB.
Le passé trouble de Călin Georgescu
Au cœur de bien des opérations de séduction de la Russie à l’égard des conservateurs chrétiens en Europe, Alexandre Douguine a ouvertement rencontré à plusieurs reprises Călin Georgescu, lequel a déclaré a déclaré avoir une très bonne opinion du dit Russe. Le site conservateur roumain În Linie Dreaptă mettait en exergue il y a trois mois un entretien avec Douguine dans lequel ce gnostique auto-proclamé et chantre du chaos chantait les louanges (pour ne pas dire « tressait des couronnes »…) de Georgescu, assurant que celui-ci ferait entrer la Roumanie dans le « bloc » des alliés de la Russie.
Voici la traduction de travail intégrale de l’entretien accordé par Anca Maria Cernea au sujet de Călin Georgescu à wPolityce. – J.S.
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Un entretien de wPolityce avec Anca Maria Cernea
wPolityce : Que se passe-t-il réellement en Roumanie ? Est-il vrai que les accusations portées contre la campagne de Călin Georgescu ont été réfutées ? Sa campagne a-t-elle été financée par le Parti national libéral pour le discréditer, comme l’ont affirmé de nombreux médias ? Dans quelle mesure les indications d’ingérence russe sont-elles avérées ?
Rien de cela n’est vrai.
Les journalistes d’investigation, qui ont cité des sources au sein de l’administration fiscale, ont seulement dit que les libéraux (parti PNL), sciemment ou non, avaient contribué à la campagne de Georgescu, personne n’a dit qu’ils l’avaient entièrement financée. Cette information n’a ni infirmé ni contredit les rapports de nos services de renseignement, suivis d’enquêtes professionnelles et approfondies des médias, indiquant une opération russe massive en faveur de Georgescu, utilisant des ressources chinoises extrêmement élevées (et contrôlées par le gouvernement chinois).
Les auteurs de cette enquête récente n’ont jamais prétendu que tous les mystères des fonds de campagne de Georgescu étaient désormais élucidés. Et ils n’ont certainement jamais dit qu’une quelconque implication russe était désormais exclue. Il est tout simplement faux de l’affirmer. Dans les médias roumains, nous ne trouvons cette version que dans la zone pro-russe.
En premier lieu, une telle thèse frappe par son irrationalité. Pourquoi les libéraux se créeraient-ils à eux-mêmes un problème aussi énorme ? Pourquoi gaspilleraient-ils leur argent pour faire d’un parfait inconnu un dangereux concurrent politique ? Il ne s’agit là que d’une théorie du complot d’inspiration russe, destinée à dissimuler une ingérence illégale dans nos élections, et qui n’a rien à voir avec la réalité. Je suis choquée de voir qu’une telle interprétation ait pu être adoptée sans réserve par les médias conservateurs polonais et par d’éminents responsables politiques du PiS.
Les faits sont les suivants : le PNL a engagé une société, à savoir Kensington Communications, pour recruter des influenceurs TikTok, via la plateforme FrameUp, dans le cadre d’une campagne de sensibilisation civique sous le hashtag #echilibrusiseriozitate (« équilibre et sérieux »). Les influenceurs étaient censés enregistrer de petites vidéos qu’ils devaient publier sur TikTok. Les dirigeants du PNL affirment que cette opération ne s’inscrivait pas dans le cadre de la campagne électorale du parti, mais visait uniquement à promouvoir les valeurs euro-atlantiques et à encourager les citoyens à aller voter.
Mais plus tard, par un phénomène étrange, le hashtag a été changé en #echilibrusiverticalitate (« équilibre et verticalité »), qui coïncidait avec le slogan de la campagne de Georgescu. Le contenu des messages est resté à peu près le même, mais dans les commentaires sous les vidéos, de nombreux influenceurs ont dit aux utilisateurs que le message concernait en fait Georgescu.
La campagne Georgescu, propulsée par une « énorme machine »
La campagne civique du PNL a ainsi fini par s’intégrer à la campagne électorale de Georgescu. Les dirigeants du PNL ainsi que les représentants de la société Kensington Communications affirment avec force que leur campagne a été clonée ou volée par les militants de Georgescu, à leur insu et sans leur accord.
La campagne du PNL – qui a très probablement été détournée illégalement, les autorités le clarifieront car la société engagée par le PNL a déposé une plainte pénale – n’était de toute façon qu’un élément mineur de l’énorme machine qui a propulsé Georgescu. Et elle ne fait certainement pas disparaître les Russes de la question. Une telle interprétation est totalement disproportionnée et ressemble à un écran de fumée russe. C’est aussi absurde que de dire que la Pologne viole les droits de l’homme en attaquant les immigrants à la frontière avec la Biélorussie. Nos amis polonais devraient examiner leurs sources plus attentivement.
Ils doivent comprendre que le parti AUR, qui a malheureusement été accepté en tant que membre du CRE [conservateurs et réformistes européens], et qui est ainsi devenu un allié du PiS, est tout simplement l’entité politique pro-russe la plus importante en Roumanie, et non un allié digne de confiance pour le camp patriotique polonais. Il suffit de considérer les chiffres et les proportions, pour qu’il soit évident qu’il est faux d’affirmer que le PNL a été le seul ou le plus important sponsor de la campagne de Georgescu.
Ce que nous savons, c’est que le contrat du PNL avec Kensington valait 1 million de RON (leu roumain), soit environ 200.000 euros.
D’après l’un des documents récemment déclassifiés du Conseil suprême de défense nationale, nous savons également qu’au moins l’un des militants de Georgescu, Bogdan Peșchir, a versé environ 1 million d’euros à diverses personnes influentes pour promouvoir son candidat sur TikTok. Cela signifie qu’au moins une autre entité, complètement différente de PNL, a dépensé cinq fois plus que la « contribution » de PNL (selon les déclarations de ses dirigeants, involontairement et malhonnêtement détournée) pour la campagne de Georgescu.
Selon certaines estimations, le coût total de la campagne de Georgescu pourrait s’élever à au moins 50 millions d’euros, bien que Georgescu ait officiellement déclaré un coût NUL.
wPolityce : Qu’en pensez-vous ? On entend aussi en Pologne que la Roumanie a créé un précédent très dangereux. Si un candidat anti-establishment l’emporte, il suffira de créer un prétexte et d’invalider purement et simplement les élections. Ne craignez-vous pas que ces inquiétudes soient justifiées ?
Je conviens que l’annulation des élections est une mesure extrême, mais je pense que c’était la seule chose à faire dans cette situation. Les autorités de l’Etat ont non seulement le droit, mais aussi l’obligation de recourir à tous les moyens légaux dont elles disposent, même exceptionnels, si cela est justifié par l’ampleur de la menace qui pèse sur la société et qui doit être contrée. En l’espèce, la mesure était justifiée. Elle n’a aucune raison d’être acceptée comme pratique courante en Roumanie ou dans d’autres pays.
Je pense que nos institutions auraient dû agir plus tôt et en faire davantage pour prévenir cette crise. Georgescu était connu des services de renseignement et il n’aurait pas dû être autorisé à aller jusqu’à pouvoir voler tout un pays, et à ce que le dernier recours soit l’annulation des élections. Comme l’a déclaré l’ancien président roumain Traian Băsescu, « il s’agit d’une grave défaite en termes de sécurité nationale ».
Au vu de la gravité de la crise, la Cour constitutionnelle (CCR) ne pouvait plus faire comme si tout allait bien, elle était obligée d’intervenir. Il ne s’agissait pas de choisir entre une option très risquée et une option sans risque. Il n’y avait pas vraiment de bonne option. Il s’agissait de choisir entre un très grand risque et un risque mortel. Cette crise est probablement la plus grave que nous ayons connue depuis décembre 1989.
Nous sommes le deuxième plus grand pays de l’OTAN sur le flanc est après la Pologne, nous soutenons fermement notre voisin ukrainien contre l’agression criminelle de la Russie, et nous courions vraiment le risque d’être éloignés de l’alliance avec les Etats-Unis pour être poussés vers une ligne pro-Kremlin. Du point de vue des intérêts objectifs de la Pologne, cela n’aurait pas été une évolution heureuse. Et ce n’était certainement pas la volonté du peuple roumain.
Les Roumains ne veulent plus jamais se retrouver sous la domination russe.
Nos concitoyens souhaitent avoir un président qui aime la Roumanie et qui défende notre liberté et notre dignité, qui soit profondément attaché à la civilisation occidentale et à ses valeurs, et qui s’efforce de renforcer notre liberté et notre sécurité en veillant à ce que notre pays reste un membre fiable et respecté de l’OTAN.
Les auteurs de la campagne de Georgescu le savaient et ont créé sa fausse image pour répondre exactement à ces attentes.
S’il avait participé à la campagne de manière normale et transparente, les électeurs auraient pu découvrir qu’il est en fait l’exact opposé du candidat pour lequel il se fait passer. Mais il a pratiquement évité tous les débats et toutes les confrontations, il a évité d’être véritablement mis à l’épreuve d’un examen public, d’être interrogé sur ses relations passées et présentes, ou de répondre de ses véritables intentions. Il a été promu principalement sur TikTok, par le biais d’une campagne parallèle, en dehors des règles légales. Il a également obtenu le soutien de groupes paramilitaires (c’est ainsi que nous avons découvert l’existence de tels groupes dans notre pays) et de la pègre.
Le « succès » de Georgescu est le résultat d’une gigantesque opération hybride, d’une immense fraude, dirigée depuis l’étranger, par les ennemis de notre pays et de toute la civilisation.
Ils ont pu le faire parce qu’ils ont compté sur la collaboration de certains cercles de notre pays, dont les origines remontent à ces anciennes structures de la Securitate (la police secrète du régime communiste), qui exercent encore une influence extrêmement négative sur notre société et nos institutions.
Les réseaux plus ou moins informels mais toujours influents hérités du régime communiste sont à l’origine des plus grands stratagèmes de corruption et des plus importants groupes criminels organisés que nous ayons connus après 1989, non seulement en Roumanie, mais dans toute l’Europe de l’Est. Comme l’a souligné le professeur Andrzej Zybertowicz, ces réseaux mafieux, issus de la privatisation de l’Etat policier, peuvent à tout moment devenir une menace pour l’indépendance de nos pays.
Le déclenchement de l’opération Georgescu à grande échelle est survenu de manière abrupte alors que la campagne était déjà en cours. Il s’agit là d’une des raisons pour lesquelles les institutions, à commencer par le Président et le Gouvernement, qui devaient être informés par les services de renseignement, conformément à leurs attributions légales, de ce qui se passait, n’ont pas pu prendre les mesures qui s’imposaient sans risquer d’être accusés d’influencer la campagne.
L’ampleur des moyens investis dans cette opération indique à elle seule la participation d’acteurs étatiques. Comme le souligne le rapport déclassifié du SRI (Service roumain de renseignement), des cyberattaques ont été menées contre les infrastructures informatiques utilisées dans le processus électoral. Leur ampleur permet également de conclure que l’attaquant avait un mode opératoire propre à un acteur étatique.
Le SRI a informé le CSAT (Conseil suprême de la défense nationale) qu’un grand nombre de comptes créés en 2016 et intégrés ultérieurement à la plateforme TikTok avaient été réactivés juste avant les élections. La valeur de ces actifs est très élevée, car il s’agissait de comptes IP uniques qui avaient été mis en attente pendant de longues années.
Leur activité a commencé subitement et a été coordonnée par des groupes formés sur le réseau russe Telegram en 2022.
Les Russes ont géré la majeure partie de la campagne en utilisant les comptes TikTok. L’implication de la Chine est démontrée par le fait que TikTok, contrôlé par le gouvernement chinois, a permis à la campagne d’avoir lieu.
Anca Maria Cernea : la campagne Georgescu a eu accès à des comptes TikTok chinois sous contrôle communiste
Ce n’est pas un citoyen lambda, ni une campagne ordinaire, aussi ingénieuse soit-elle, qui aurait pu avoir accès à ces comptes chinois créés il y a des années, car l’application TikTok n’était pas accessible au grand public.
Ainsi, la principale campagne de Calin Georgescu sur TikTok ne reposait pas sur la petite partie marginale financée par le PNL, mais sur des dizaines de milliers de comptes chinois qui ont largement diffusé ses vidéos, sous la coordination de l’acteur étatique mentionné par le SRI, à savoir la Russie.
Le mécanisme par lequel les contenus sont promus sur TikTok n’est pas transparent, les utilisateurs et les autorités n’ont pas accès aux informations relatives aux facteurs qui déterminent leur affichage.
Les acteurs impliqués dans la campagne de promotion de Georgescu ont cependant manifesté une très bonne connaissance des politiques de TikTok, ils disposaient de tout le savoir-faire nécessaire, comme nous l’avons lu dans le rapport du SRI. Il est important de noter que ces algorithmes opaques de TikTok peuvent être utilisés pour soutenir des candidats pro-chinois ou pro-russes non seulement en Roumanie, mais partout ailleurs, y compris en Pologne. Des opérations similaires ont été observées récemment en Allemagne, lors des élections qui ont eu lieu en Thuringe et en Saxe.
Nos amis polonais devraient donc aussi s’inquiéter de ce type de menace.
Eh oui, ils ont probablement raison, il y a peut-être un risque que, disons, le Dr Karol Nawrocki remporte les élections présidentielles en Pologne, et que l’Etat profond de votre pays les annule simplement sous n’importe quel prétexte, sans raison valable.
Que se passerait-il si, lundi matin, les citoyens polonais se réveillaient et apprenaient que Mateusz Piskorski avait remporté le premier tour des élections présidentielles ?
Mais qu’en serait-il si, dans un autre scénario, lundi matin, après le premier tour des élections, les citoyens polonais se réveillaient et apprenaient que Karol Nawrocki ou Rafal Trzaskowski s’était qualifié pour le second tour. Au lieu de cela, leur choix se porterait sur Mateusz Piskorski – qui était classé sous la barre des 1 % quelques jours avant le vote et qui a maintenant toutes les chances de gagner – ou sur une femme, disons Magdalena Biejat, qui perdrait très probablement.
Analiseriez-vous alors ce phénomène en termes de psychologie des masses, de sociologie, de facteurs économiques ? Pensez-vous que les gens en ont peut-être assez du conflit constant entre le PiS et le PO et qu’ils veulent simplement de nouveaux visages ? Cela suffirait-il à expliquer un choc aussi soudain ? Ou envisageriez-vous d’autres explications possibles ? Si les rapports officiels des services de renseignement polonais vous informaient qu’il y a eu une fraude massive orchestrée par la Russie et la Chine, considéreriez-vous cela comme une manipulation profonde de l’Etat contre le candidat antisystème ? Vous attendriez-vous alors à ce que votre Cour suprême valide les élections ?
Ce n’est pas un scénario de science-fiction, nous sommes dans un contexte de guerre, nous savons comment l’infiltration russe fonctionne dans le monde entier, pensez-vous vraiment qu’ils en seraient incapables en Pologne ? Même s’ils disposaient de suffisamment d’atouts au sein du groupe politique actuellement au pouvoir, pourquoi ne le remplaceraient-ils pas par un groupe plus explicitement pro-russe, s’ils en avaient les moyens et l’occasion ? Cela s’est produit d’innombrables fois dans toutes les régions du monde.
Nos alliés américains prennent ces menaces très au sérieux.
Une commission bipartite de sénateurs américains a publié la déclaration suivante au sujet de l’attaque contre nos élections présidentielles. Elle désigne les véritables auteurs en des termes très clairs :
« L’assaut de Vladimir Poutine contre les élections roumaines est un nouvel exemple de la guerre hybride qu’il mène contre nos alliés et partenaires européens », peut-on lire dans la déclaration. « En tant que solide allié de l’OTAN, nous soutenons la Roumanie dans sa lutte pour l’intégrité de ses élections. Nous condamnons la manipulation par Poutine de TikTok, contrôlé par le Parti communiste chinois (PCC), pour saper le processus démocratique roumain. Le monde doit prendre conscience de la grave menace que représente la manipulation russe du PCC pour saper nos sociétés libres. »
wPolityce : Cependant, l’annulation des élections porte atteinte à la démocratie à long terme. Ne pensez-vous pas que, surtout en termes de confiance dans les procédures démocratiques, les coûts à long terme s’avéreront extrêmement élevés ?
Lorsqu’un incendie se déclare dans la maison, on essaie simplement d’arrêter les flammes, en s’assurant que tout le monde reste en sécurité, et c’est seulement plus tard que l’on pourra compter le coût de la peinture murale et des meubles endommagés par l’eau. La plus grande menace pour la démocratie était l’opération Georgescu et tout ce qui se cachait derrière, et non la défense contre celle-ci.
Le peuple roumain n’est pas stupide. Même si beaucoup ont été trompés par la campagne de Georgescu, la plupart de ses électeurs ne le regretteront pas, alors que des détails de plus en plus choquants sur le candidat hybride font surface.
wPolityce : Quelles sont les raisons plus profondes du succès de Georgescu ? Pourquoi la droite traditionnelle roumaine n’a-t-elle pas pu l’arrêter en proposant un candidat attractif qui répondrait à la demande que vous mentionnez ?
Je ne pense pas que le succès de Georgescu puisse s’expliquer uniquement par le mécontentement des Roumains envers la classe politique actuelle. Il est principalement le résultat de l’énorme opération russo-chinoise qui l’a créé de toutes pièces. Mais bien sûr, ils ont exploité toutes les faiblesses qu’ils ont pu trouver dans notre société.
Cernea : « Une opération russo-chinoise »
Il y a bien sûr de nombreuses raisons pour lesquelles les gens ont raison d’être en colère contre nos responsables politiques. Il y a beaucoup de corruption, d’incompétence et de lâcheté. Il y a aussi eu de bonnes choses, et peut-être qu’elles n’ont pas été mises en avant autant qu’elles le méritaient.
Ce que je veux dire, c’est qu’un certain degré de mécontentement est justifié, il ne justifie cependant pas des actions extrêmes, comme essayer de renverser complètement le système démocratique dans l’espoir que quelque chose de mieux puisse émerger après un tel désastre. Il vaut mieux avoir une scène politique imparfaite que de ne pas avoir d’espace politique du tout. Et je pense que la plupart de mes compatriotes partagent ce point de vue.
En étudiant les documents récemment déclassifiés, une chose a particulièrement attiré mon attention. Ils disent que les Russes avaient étudié très attentivement les tendances psychologiques et sociologiques de notre public et avaient façonné la campagne de leur candidat de manière à répondre à toutes ces aspirations, frustrations, conflits et intérêts.
Le grand problème, la plus grande vulnérabilité de l’offre politique en Roumanie, c’est l’absence d’une expression politique cohérente (dans les médias comme sur la scène politique) qui serait orientée vers la liberté, chrétienne, patriotique et solidement attachée à l’Occident. Tous les sondages d’opinion montrent que c’est ce qu’attend la majorité de la société roumaine. Mais nous n’avons qu’une sorte de gauche « progressiste », « pro-européenne » ou post-communiste d’un côté et de faux patriotes et de faux chrétiens (en réalité, des adeptes de Poutine et de Douguine) de l’autre. Les Russes essaient d’utiliser « dialectiquement » les deux ailes selon la stratégie des ciseaux, tout en veillant à ce qu’aucun conservatisme normal ne puisse se manifester.
Depuis de nombreuses années, nous essayons de faire connaître le conservatisme polonais en Roumanie, en espérant qu’il serait possible de suivre son exemple ici. Par l’intermédiaire de l’AUR, les Russes ont réussi à s’immiscer dans nos relations entre la Pologne et la Roumanie et à les compromettre durablement.
L’admiration que les Roumains éprouvent naturellement pour la Pologne et les Polonais s’érode à chaque photo où Simion, le chef de l’AUR, un produit des restes de la Securitate de Ceausescu, figure aux côtés des dirigeants du PiS.
A l’inverse, nous constatons que les médias conservateurs polonais et les dirigeants du PiS préfèrent accorder leur confiance à la version des faits de Georgescu et au parti AUR, leurs alliés du CRE, plutôt que d’écouter leurs véritables amis roumains.