Belle nouvelle, moins d’un mois après le début de son pontificat, le pape Léon XIV fait le choix de nommer un évêque pour la Chine. Et pas n’importe lequel : un évêque de l’Eglise clandestine, de cette Eglise qui lutte depuis des décennies pour rester fidèle à Rome malgré les interdictions du pouvoir communiste, malgré, même, le fameux accord provisoire de 2018 obtenu par François. Mgr Joseph Lin Yuntuan a été ainsi promu nouvel évêque auxiliaire de l’archidiocèse continental de Fuzhou, le 5 juin dernier.
Cerise sur le gâteau, il a été nommé d’abord par le Saint-Siège et reconnu ensuite par le gouvernement chinois, qui a daté sa prise de charge au 11 juin. Et la surprise est de taille, car selon les conditions de l’accord, c’est le gouvernement chinois qui propose dans un premier temps et le pape qui approuve ou désapprouve. De plus, Pékin avait pris la fâcheuse habitude de ne pas vraiment requérir l’aval papal, menant son propre jeu pour une Eglise qu’il veut avant tout sinisée, c’est-à-dire communiste.
Un haut dignitaire religieux local a avoué que cette fois, « le chat avait laissé la souris manger le grain »… Serait-ce un effet de la prière remarquée de Léon XIV, le 26 mai dernier, pour la communion des catholiques chinois « avec l’Eglise universelle » ?
La réponse du pape Léon XIV à la Chine communiste
Le Saint-Siège a été diplomate : il a attendu l’acceptation par le gouvernement chinois pour faire une publication officielle, mais a bien précisé, dans son communiqué, qu’il l’avait nommé une semaine auparavant.
« Nous sommes heureux d’apprendre qu’aujourd’hui, à l’occasion de la prise de possession de la charge d’évêque auxiliaire de Fuzhou par Son Excellence Mgr Joseph Lin Yuntuan, son ministère épiscopal est également reconnu en droit civil. Cet événement constitue un nouveau fruit du dialogue entre le Saint-Siège et les autorités chinoises et une étape importante dans le cheminement de communion du diocèse », a déclaré Matteo Bruni, directeur de la Salle de presse.
Non seulement le pape a agi indépendamment de l’Etat communiste, mais il a choisi une figure de l’Eglise clandestine qui s’est engagée de façon notable. Formé au séminaire du diocèse de Fuzhou, Joseph Lin, 73 ans, a exercé les fonctions d’administrateur apostolique entre 2003 et 2007, puis de nouveau entre 2013 et 2016, avant d’être consacré évêque en 2017. Il n’avait jamais, jusque-là, été reconnu par les autorités.
Comme des sources l’ont confirmé au média The Pillar, c’est l’archevêque de Fuzhou, Mgr Joseph Cai Bingrui, installé à la tête de l’archidiocèse en janvier, qui, désireux de s’adjoindre Mgr Joseph Lin et bien vu des autorités, les a persuadés d’accepter.
Pékin cède ?
Alors, bien sûr, Mgr Lin « a solennellement juré de respecter la Constitution et les lois du pays, de préserver l’unité de la patrie et l’harmonie sociale, d’aimer la patrie et l’Eglise, d’adhérer au principe d’Eglises indépendantes et autonomes, de suivre la voie de la sinisation de l’Eglise catholique dans notre pays et de contribuer à la construction globale d’un pays socialiste modernisé et à l’avancement global du grand renouveau de la nation chinoise ». C’est l’inéluctable contrepartie que certains catholiques de l’Eglise souterraine se mettent en devoir de refuser.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la direction de cet archidiocèse a longtemps été un sujet de tension entre l’Eglise clandestine et l’appareil d’Etat. A la suite de l’accord de 2018, une grande partie du clergé local a résisté à l’adhésion à l’Association catholique patriotique chinoise, pur produit du Parti communiste. Et en 2020, lorsque Pékin a fini par reconnaître celui qui avait été nommé archevêque de Fuzhou par Benoît XVI en 2010, Mgr Lin Yuntuan (emprisonné et condamné à 10 ans de travaux forcés dans les années 1980), certains ont parlé de « trahison ».
Un si long et si difficile combat ne peut être simple. Ce qui est sûr, c’est que ce geste de Léon XIV prouve son souci de l’Eglise qui est en Chine, et fait se repositionner le Vatican, dont le gouvernement communiste a toujours refusé l’autorité religieuse.
Même ces dernières années, Pékin avait pris l’habitude d’annoncer publiquement la nomination et l’installation d’évêques sans la reconnaissance du Vatican et souvent, apparemment, sans l’approbation papale. Pire, au cours de la période dite « Sede vacante », entre la mort du pape François et l’élection de Léon XIV, le gouvernement chinois a procédé, sans sourciller, à « l’élection » de deux évêques dans les diocèses de Shanghai et Xinxiang : on ne profite pas ainsi d’une si petite fenêtre temporelle sans bonne raison politique. Et même si elles étaient prévues de longue date, les retarder eut été un moindre signe de respect diplomatique.
Une nouvelle ère pour l’Eglise clandestine qui est en Chine ?
Après le conclave qui a élu le pape Léon XIV, le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat du Vatican, a laissé entendre lors d’entretiens que l’installation du prêtre Li Janlin comme évêque du diocèse de Xinxiang, avait été préalablement approuvée par le pape François avant sa mort, révèle The Pillar. Cependant, aucune déclaration officielle du Vatican, ni aucune reconnaissance n’ont jamais été faites.
Il pourrait s’agir d’une simple justification a posteriori opérée par le principal artisan de l’accord Vatican-Chine qui a tout intérêt à prouver la bonne conduite de Pékin. Surtout qu’il existe déjà un évêque de Xinxiang reconnu par Rome, à savoir Mgr Joseph Zhang Weizhu, nommé par le pape Jean-Paul II en 1991, qui a dirigé le diocèse pendant des décennies en tant qu’évêque de l’Eglise clandestine, et qui se trouve depuis quatre ans en détention, à la suite d’un raid policier dans un séminaire clandestin !
Si par ces deux nominations éclairs unilatérales Pékin semble avoir voulu éprouver la partie adverse, Rome a relevé le gant avec intelligence avec cette nomination tactique de Mgr Joseph Lin Yuntuan, la première de son genre.
On peut même se demander si Léon XIV n’a pas assisté à la prise de parole de Mgr Zen que raconte le blog Silere Non Possum : lors d’une des congrégations générales précédant le conclave, le cardinal aurait évoqué, dans un discours courageux, la situation de l’Eglise en Chine, parlant ouvertement de la trahison subie par les fidèles chinois fidèles au pape, abandonnés au profit d’accords diplomatiques avec le régime communiste, déplorant le silence du Saint-Siège face à la persécution des évêques, des prêtres et des laïcs qui refusent de se plier à l’Association patriotique contrôlée par le Parti. L’avenir nous le dira.