La Chine rouge communiste serait de retour… mais a-t-elle jamais vraiment disparu ?

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La Chine rouge communiste serait de retour… mais a-t-elle jamais vraiment disparu ? C’est la question que se pose avec justesse Frank Dikötter, historien néerlandais, dans le magazine Time. Il faut dire qu’il y a de quoi agacer à entendre certains cercles politiques ou médiatiques évoquer le danger chinois avec une conscience brusquement avertie de néophyte. Surtout quand on a consacré trois grands livres au règne et au bilan sanglants, désastreux du dictateur Mao, responsable d’au moins 50 millions de morts… La Chine rouge communiste « serait » de retour ? Mais qui a dit qu’elle avait disparu ? Ce n’est pas l’ouverture du pays au commerce mondial, l’adoption des logiques de marché qui en ont écrasé l’idéologie. Pire sans doute : elles lui ont permis de muter sans mot dire ou plutôt de dessiner un avatar idoine, propre à faire entrer le Parti Communiste Chinois au rang des gouvernements considérés et considérables… tout en permettant une concurrence déloyale de nature à mettre en difficulté l’Occident.

Quoique les apparences aient pu être trompeuses, « le but du Parti communiste chinois n’a jamais été de rejoindre la sphère démocratique, mais bien de lui résister, puis de la vaincre », écrit l’historien dans La Chine après Mao. C’est sans doute la raison pour laquelle le Deep State mondialiste, en la personne de Kissinger, l’a soutenu envers et contre tout…

 

Un retour douteux

C’était en novembre 2022, dans Foreign Affairs : l’ancien Premier ministre australien et sinologue Kevin Rudd y écrivait, de fait, que la Chine rouge était « de retour ». Il s’affolait du récent 20e Congrès national du Parti communiste chinois où Xi Jinping semblait avoir mis un brusque terme à la période de « réforme et d’ouverture » menée par son prédécesseur Deng Xiaoping :

« Après près de 44 ans, l’histoire retiendra que c’est ce congrès qui a administré les derniers sacrements à l’ère réformiste de Deng. Le nouveau monde étatiste de Xi Jinping est désormais pleinement en vigueur. (…) Il croit sincèrement au marxisme-léninisme ; son ascension représente le retour sur la scène mondiale de l’Homme idéologique. Ce cadre idéologique marxiste-nationaliste est à l’origine du retour de Pékin au contrôle des partis sur la politique et la société, en réduisant l’espace réservé à la dissidence privée et aux libertés individuelles. C’est également ce qui motive l’approche étatiste renouvelée de Pékin en matière de gestion économique, ainsi que ses politiques étrangères et sécuritaires de plus en plus affirmées visant à modifier le statu quo international. »

Et d’apporter moult pierres à son argumentaire par l’épluchage minutieux du document final où est décrite la vision nationale et internationale intégrée de la nouvelle Chine. On y parle de « saisir à la fois la vision du monde et la méthodologie du marxisme-léninisme » et d’appliquer les « outils analytiques du matérialisme dialectique et historique » pour comprendre « les grands défis de l’époque » et « développer une nouvelle forme de civilisation humaine ».

Pour Kevin Rudd, c’est clair, « la Chine rompt désormais avec des décennies de pragmatisme et d’accommodement en matière politique, économique et étrangère ».

 

La Chine n’a jamais renoncé à son idéologie communiste

Certes, les mots de ce 20e Congrès national du PCC sont forts. Mais c’est seulement parce que, pour une fois, ils travestissent moins la réalité et prouvent que la Chine est bien fidèle à elle-même. Frank Dikötter le constate dans Time : « Rudd, comme beaucoup d’autres, a fondé un pieux espoir sur une analyse erronée, qui est la suivante : Deng Xiaoping et ses partisans ont abandonné le marxisme au moment de la mort de Mao Zedong en 1976 pour transformer un pays isolé et ébranlé par le chaos de la Révolution culturelle en la deuxième économie mondiale. »

On a glosé pendant des décennies sur ce mot de « réforme » employé sciemment par le gouvernement chinois. On se disait même que toute réforme économique capitaliste finirait bien, c’est certain, par une conversion politique : d’acteur responsable, la Chine pourrait sûrement devenir « une démocratie florissante », écrit Dikötter – « Mais le changement politique n’a jamais eu lieu. Aucune de ces diseuses de bonne aventure n’avait pris la peine de véritablement lire la constitution du pays, d’écouter ses dirigeants ou de comprendre son passé. »

A l’instar de Mao qui sut purger et les cercles dirigeants et le peuple de tout risque potentiel de contradiction, Deng a soigneusement codifié cette approche, en 1982, avec les Quatre principes cardinaux de la Constitution, nous rappelle l’historien. Ces quatre principes se résument à deux valeurs fondamentales : s’en tenir à la voie socialiste et maintenir la direction du parti, ou, en deux mots, le marxisme-léninisme. Aucun dirigeant n’a, jusqu’à ce jour, omis de les évoquer. La « pollution spirituelle » venant de l’étranger a toujours été à bannir. « Tout, depuis l’éradication de Mickey Mouse sous Jiang et de Winnie l’ourson sous Xi, est considéré comme un plan sournois visant à faire tomber le parti communiste »…

 

« La vision poursuivie par le régime était de revigorer l’économie socialiste »

L’économie fut le plus souvent le grand argument en faveur de la conversion de la Chine. Mais à y bien regarder, dans un Etat à parti unique, la politique est toujours aux commandes : « La vision poursuivie par le régime était de revigorer l’économie socialiste, et non de l’abandonner complètement. La collectivisation radicale du passé a été laissée de côté, mais le principe marxiste de la propriété de l’Etat a été largement respecté. »

Comme le faisait remarquer Isabella Weber, professeur d’économie à l’université du Massachusetts, dans son ouvrage How China Escaped Shock Therapy, il n’y a pas, en Chine, de frontière entre l’Etat et le marché, tant la participation de l’Etat à ce dernier est une logique installée : « L’Etat est à l’intérieur du marché et le marché est à l’intérieur de l’Etat. » Il y a une coexistence du Plan et du Marché. Après 2000, écrit Dikötter, « de puissants comités du parti ont été mis en place même dans les entreprises privées, rendant ainsi la distinction entre propriété privée et propriété publique pratiquement dénuée de sens. Le contrôle des moyens de production est précisément ce qui a permis à la Chine de fournir aux entreprises choisies des subventions sans fin et une ligne de crédit apparemment inépuisable à bas prix. Cela a permis de garantir qu’aucun pays ne pouvait rivaliser au moment où l’accès à l’Organisation mondiale du commerce a été accordé en 2001 ». La terre, le capital, la main-d’œuvre, l’énergie et les matières premières, ont été ainsi largement préservés.

Le marché n’a jamais été une fin en soi mais un moyen pour une autre fin politique. C’est ce que voulait signifier Zhao Ziyang, alors Premier ministre chinois, quand il rencontra à Berlin, en 1987, le chef du parti d’Allemagne de l’Est, Erich Honecker : il lui expliqua que cette « réforme et de l’ouverture » de la Chine n’était que temporaire. « Nous ne copierons jamais la séparation des pouvoirs et le multipartisme de l’Occident », déclarait-il quelques mois plus tard lors du congrès du Parti.

 

Le « Nouvel Ordre Mondial » sera-t-il rouge ?

La Chine a donc volontairement appris des pays capitalistes et intégré techniquement des mécanismes de marché dans son système. Elle a ouvert ses portes aux investissements étrangers, modernisé ses industries, jusqu’à devenir une économie à part entière dans tous les secteurs. Sans jamais renier son idéologie. Et comment cela a-t-il pu advenir dans un pays dont le PIB par habitant, en 1980, était inférieur à celui du Soudan ou d’Haïti ?

Il est capital de rappeler que cette fantastique métamorphose s’est opérée avec l’aval et le soutien des occidentaux mondialistes, comme Kissinger ou Soros. Le rôle du diplomate américain a été considérable, nous en avons fait écho à plusieurs reprises : il a été le maillon majeur dans cette imbrication de la Chine dans le tissu capitaliste, permettant d’ailleurs ainsi les transferts de technologie et de capitaux américains vers le pays communiste, ainsi que toute la base de la manufacturière américaine, comme nous le rappelait Jeanne Smits. Le milliardaire woke Georges Soros n’a pas hésité, lui, en 2009, à appeler le régime communiste à « s’approprier » ce qu’il a appelé le « Nouvel Ordre Mondial » »… lui qui, étudiant, s’était imposé comme l’un des chefs de file de l’opposition au régime communiste en Hongrie !

Alors, peut-être que l’heure n’est pas à la prospérité économique pour l’Empire du Milieu. Le pays dont le PIB ralentit durablement (3,5 % à l’horizon 2028 selon les prévisions inquiètes du FMI) et enchaîne le quatrième mois de déflation, voit s’amonceler les signaux négatifs, dont les craintes des investisseurs. Mais il est intéressant de noter que le discours du gouvernement ne change en rien. Le 17 février dernier, le ministre chinois des Affaires étrangères a souligné à la Conférence de Munich que la porte de l’ouverture chinoise ne ferait que s’ouvrir davantage pour offrir « une force stabilisatrice pour la croissance mondiale »… que « la prochaine Chine est toujours la Chine » !

Oui : la prochaine Chine est toujours la Chine communiste héritière du marxisme. Et il faut coopérer ! A l’heure où l’on parle tant de « de-risking », c’est-à-dire de contournement des régions potentiellement source d’insécurité, le ministre a averti qu’une dé-sinisation, sous couvert de ce prétexte, serait « une erreur historique », ni plus ni moins : « la tendance à la mondialisation économique ne s’inversera pas ». La mondialisation se fera surtout avec, voire par le communisme, avec la diffusion de toutes ses contre-valeurs – la Banque mondiale est d’ailleurs assez d’accord.

 

Clémentine Jallais