Exposition à Troyes : “Clairvaux. L’aventure cistercienne”

Clairvaux aventure cistercienne Exposition Troyes 2
 
A Troyes, l’Hôtel-Dieu-le-Comte, beau bâtiment historique classique situé à proximité de la cathédrale, accueille une très intéressante exposition : « Clairvaux. L’aventure cistercienne ». En effet le monastère cistercien historique de Clairvaux est situé sur le territoire du département de l’Aube, à quelques dizaines de kilomètres à l’est de la préfecture et capitale historique de la Champagne. Le monastère de Clairvaux a été un pôle religieux et culturel absolument essentiel en France et en Europe aux XIIème et XIIIème siècle, et un centre d’activité économique pour l’Est de la Champagne médiévale. Avec des vicissitudes, le monastère a survécu jusqu’à la Révolution française. Il sert, depuis l’époque napoléonienne, de prison même si certaines parties de l’établissement, largement reconstruit au XVIIIème siècle, sont aujourd’hui accessibles à la visite.
 

LA LOGIQUE DE L’EXPOSITION

 
L’exposition vaut déjà pour les pièces qu’elle propose : plus de 150 pièces d’archives dispersées à la Révolution. Elle se distingue par son excellent esprit, son respect perceptible de notre passé chrétien. Enfin elle possède une organisation interne véritablement pédagogique, bien pensée. Les enfants disposent de parcours adaptés. Parmi les pièces exposées figurent des reliques authentiques de saint Bernard, pour la plupart dites de contact, notamment des textiles cérémoniels et mortuaires. Sont aussi présentés de nombreux objets liturgiques utilisés par les moines au fil des siècles, des plus attendus à d’autres plus surprenants tels des peignes d’ivoire. S’y ajoutent bien sûr des livres et des chartes, vraies ou parfois fausses, documents administratifs essentiels, utilisées dans les procès par les moines au fil des siècles…Soit en effet une bonne partie du trésor de Clairvaux de 1790, avec des témoignages déjà choisis par les Cisterciens eux-mêmes pour les siècles à venir et destinés en priorité à leurs successeurs. Les calices précieux, dorés et incrustés de pierreries, alternent avec des livres de comptes ou d’inventaire de bibliothèques, écrits en un latin fort lisible, qui émeuvent peut-être davantage, en révélant des tranches de vie des moines, que les bibles luxueuses. La disposition intelligente des salles, et un nombre de visiteurs réduits, du moins lors de notre passage, permet de lire effectivement ces précieux témoignages de siècles de vie des cisterciens.
 
LA PROGRESSION LOGIQUE DU PARCOURS
 
Le parcours est organisé suivant la seule logique qui tienne sur ce type de sujet, la chronologie. A notre époque de déséducation nationale triomphante, marquée par une haine particulière des repères spatiaux et temporels, reprendre cette solution évidente tient presque de l’acte résistance. Ici, pas d’espaces thématiques éclatés, où l’on sauterait d’un objet à l’autre du XIIème au XVIIIème siècle…Les salles se succèdent donc logiquement et permettent de découvrir les trois temps majeurs proposés par l’exposition :
 
1°) Aux origines de Clairvaux (1098-1153) revient sur la création de l’ordre cistercien, la fondation de l’abbaye de Clairvaux et la personnalité de saint Bernard ;
 
2°) Clairvaux, de la mort de saint Bernard à la guerre de Cent Ans (XIIe-XIIIe siècle) présente l’essor politique, économique et culturel de l’abbaye ;
 
3°) Temps de crises, temps de réformes (XIVe-XVIIIe siècle) retrace les transformations successives de Clairvaux au gré des guerres, épidémies et reconstructions, jusqu’à sa vente par l’État à la Révolution.
 
Une insistance logique est portée sur les deux siècles essentiels de Clairvaux, les deux premiers, qui sont aussi ceux du rayonnement maximal des Cisterciens dans la Chrétienté.
 

L’ŒUVRE EXCEPTIONNELLE DE SAINT BERNARD

 
Les première et seconde parties sont évidemment les plus intéressantes. Elles sont illuminées par la personnalité exceptionnelle du fondateur de Clairvaux, saint Bernard (1090-1153). Nous l’avons dit, la plus grande qualité de cette exposition est son esprit. Le fondateur de Clairvaux est décrit honnêtement, pour ce qu’il est : un saint, doté d’un caractère fort. Il aurait été tellement facile de déformer les choses en multipliant les condamnations anachroniques…Il suffisait de gloser sur les appels de saint Bernard à la lutte contre les hérésies, comme le catharisme, d’abord par la persuasion, puis par le recours à la force pour protéger les fidèles de la contamination des âmes, ou, pire encore pour notre temps, ses nombreux appels à la Croisade et son soutien explicite, peut-être décisif, à la formation des ordres de moines-soldats, comme les Templiers (reconnaissance canonique en 1139) ou les Hospitaliers (militarisation partielle vers 1150). Non, tout est resitué dans le contexte de l’époque, celui de la Chrétienté, en Europe comme au Levant, à défendre tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
 
C’est en 1115 que saint Bernard fonda Clairvaux, fille de Cîteaux (fondée en 1098), dans un lieu qualifié alors de « désert », soit une vallée isolée à une quinzaine de kilomètres de Bar-sur-Aube. L’exposition entend commémorer ces 900 ans. Il a dirigé cette abbaye jusqu’à sa mort, et fondé au fil des ans 68 abbayes filles de Clairvaux. Les travaux, de plus en plus ambitieux à Clairvaux, sont achevés peu après la mort du fondateur. L’exposition propose une reconstitution de ces bâtiments pour l’essentiel disparus – dans la reconstruction du XVIIIème siècle – marqués par l’adaptation des règles cistercienne strictes à l’architecture. Saint Bernard a imposé une austérité totale, l’absence de tout décor, ce qui dégage des formes pures, dans le but de ne jamais distraire les moines, y compris par des sculptures ou images pieuses. Un film pédagogique retrace les étapes de la construction de Clairvaux, avec vues intérieures et extérieures des bâtiments médiévaux.
 
La pensée de saint Bernard est résumée de façon pertinente, dans tous ses aspects. Les polémiques contre Cluny, l’ordre dominant, ont certes été essentielles dans l’action rigoriste de saint Bernard. Peut-être, par haute exigence de sainteté, a-t-il quelque peu amplifié la description de la vie supposée trop douce de ses confrères de l’ordre clunisien, encore dominant à son époque et qui appliquait plus souplement de la même règle fondamentale de saint Benoît de Nursie (490-547). Pourtant Cluny, fondé en 909, a joué un rôle très positif, essentiel même, dans l’Occident médiéval du Xème au XIIème siècle, notamment grâce une action catéchétique de long terme dans les paroisses rurales. Soit un rôle peut-être plus proche du clergé séculier que de moines strictement coupés du monde, mais ô combien nécessaire pourtant à cette époque. Cette fonction sera reprise au XIIIème siècle par les ordres mendiants, Franciscains et Dominicains, qui suivront la règle plus souple dite de saint Augustin.
 
La branche de Clairvaux de l’ordre cistercien a marqué sur ses deux premiers siècle l’histoire de l’Europe occidentale, jusqu’à la Scandinavie et la Hongrie. Des cartes explicatives indiquent les lieux des fondations. L’exposition joue habilement sur les échelles. Elle s’intéresse également au rôle local fondamental de Clairvaux dans l’Aube, qui transforma une forêt sauvage en territoire exploité comprenant des cultures sur des terres défrichées, une sylviculture rigoureuse et des exploitations minières, dont celle du fer de Champagne, qui conservera son importance jusqu’au XVIIIème siècle.
 
Les documents proposés témoignent de la gestion rigoureuse des nombreux domaines de l’abbaye. Sans jamais retrouver une place de premier plan, les moines ont toujours conservé un rôle économique local et ont suivi les progrès techniques, les adaptant à leurs activités. De petits ateliers d’expériences scientifiques ont même existé dans l’abbaye jusqu’à la fin brutale imposée par la Révolution française.
 

UNE PRESENCE CISTERCIENNE DE PLUSIEURS SIECLES A CLAIRVAUX

 
L’ordre cistercien a survécu aux vicissitudes de l’Histoire et existe encore aujourd’hui, subdivisé en de nombreuses branches, masculines comme féminines. Les moines ont donc pu se maintenir durant plusieurs siècles à Clairvaux, bien au-delà du premier siècle qui vit l’apogée de sa gloire.
 
Clairvaux a aussi traversé des épreuves terribles, longues, qui correspondent aux malheurs de la France. L’abbaye a ainsi été marquée par la Grande Peste (1347-1352), qui a emporté un tiers de la population, puis par le Grand Schisme d’Occident (1378-1417) qui vit des papes concurrents diviser la chrétienté et l’ordre. La Guerre de Cent Ans (1337-1453), surtout au XVème siècle, a également affligé Clairvaux, situé à proximité immédiate du duché de Bourgogne.
 
Clairvaux s’était tout juste remis de ces dures épreuves lorsque se développa la Réforme protestante au XVIème siècle, suivie des Guerres de Religion (1562-1598), dont les destructions l’ont ruiné à nouveau. Le XVIIème, autre Siècle des saints, et comparable à ce titre au XIIème siècle de saint Bernard, a permis une reconstruction morale de Clairvaux, achevée matériellement au siècle suivant. La Révolution française interdit tous les ordres religieux en France, dispersa les moines et confisqua les bâtiments. Ceux de Clairvaux ont été sauvés par leur reconversion en prison sous Napoléon, après une brève expérience industrielle.
 

QUEL AVENIR POUR LE SITE DE CLAIRVAUX ?

 
Il existe un projet de long terme pour transformer le site. Il s’agirait de fermer définitivement la prison et de constituer un pôle touristique autour de tous les bâtiments de Clairvaux. Le patrimoine est là, classique et non médiéval certes pour l’essentiel ; le lieu est apaisé, émouvant. Mais une vraie solution serait de réinstaller une communauté monastique. Des expériences semblables ont été faites et d’anciennes prisons sont retournées à leur vocation première et véritable, tel le Mont Saint-Michel. Il n’en est hélas absolument pas question actuellement.
 

Octave THIBAULT

 
 
 
Exposition Clairvaux. L’aventure cistercienne
Jusqu’au 15 novembre 2015 à l’Hôtel-Dieu-le-Comte (Troyes)
Du mardi au dimanche de 9 h 30 à 19 h
 
Visite gratuite
 
 
 
Plusieurs formats de visite sont proposés :
 
• 9 h 30 – 19 h : visite libre
• à 16 h 15 : visite guidée générale (75 minutes)
• à 11 h : visite guidée thématique au choix (45 minutes) : art et architecture selon saint Bernard, vie quotidienne à Clairvaux, économie cistercienne.
• à 13 h et à 18 h : visite « flash » autour d’une œuvre (15 minutes)
 
Aide à la visite : des livrets-jeux gratuits proposent aux visiteurs de mener une enquête déclinée en 3 versions selon l’âge (5-8 ans ; 9-15 ans ; 16 ans et  plus).