Au Sénat mercredi, le premier ministre a pris les membres de la Haute Assemblée bille en tête, les accusant, à propos de leur réécriture de l’article 2 de la révision constitutionnelle, de prendre « le contre-pied du consensus » sur le sujet. Manuel Valls quitte manifestement, ce faisant, le domaine de la politique pour celui du cours de morale…
Manuel Valls n’y aura pas été de main morte en s’adressant aux sénateurs après qu’ils aient réécrit l’article 2 de la révision constitutionnelle, portant sur la déchéance de nationalité appliquée aux binationaux condamnés pour terrorisme. « A l’Assemblée nationale, a lancé le premier ministre, nous avons cherché et construit un accord. Au Sénat, vous ne l’avez pas cherché, avec personne ! Et je m’en étonne. Vous refusez ainsi le principe d’un accord avec l’Assemblée nationale. Et vous le savez, votre proposition ne sera jamais adoptée par une majorité de députés. »
Déchéance de nationalité : Manuel Valls accuse le Sénat
On le constate, Manuel Valls continue à s’exprimer avec ce ton si particulier du pion réprimant un gamin dans la cour de récréation. Un ton qui est blessant tant pour les sénateurs que pour les députés. S’il gourmande les premiers, il n’hésite pas, en effet, à annoncer, à l’avance, dans quel sens pencheront les seconds. Le Parlement serait-il désormais aux ordres ? A l’heure où la majorité de gauche manifeste de plus en plus vivement son opposition avec la politique menée par l’actuel gouvernement, le moins que l’on puisse dire, c’est que Manuel Valls manque singulièrement de diplomatie. Et de savoir-vivre – mais cela on le savait déjà !
Le premier ministre a poursuivi : « L’amendement adopté par votre commission des lois prend le contre-pied du consensus. Je ne vois pas là de respect de la parole du président de la République. »
Une fois encore, le Parlement est-il tenu de respecter la parole du président de la République ? A en croire nos institutions actuelles, ce n’est évidemment pas son rôle. Surtout si l’on veut bien se souvenir que le Sénat a actuellement une majorité de droite, et que François Hollande est – paraît-il, si l’on en croit certains de ses amis en colère – de gauche.
Le premier ministre s’emmêle dans « le contre-pied du consensus »
Il est vrai que le discours de Manuel Valls est incohérent. Il a sans doute estimé que « le contre-pied du consensus » constituait une jolie formule, mais elle ne signifie rien, sinon qu’il n’y a pas de consensus. A moins que le premier ministre estime que l’on peut imposer un consensus…
Les sénateurs n’ont d’ailleurs pas manqué de lui répondre. « Il n’y a pas eu de consensus à l’Assemblée nationale, je vous demande de retirer le terme, il y a eu un compromis entre le gouvernement et le groupe majoritaire », a répondu, par exemple, Philippe Bas, président Républicains de la commission des lois, et, à ce titre, directement concerné par la diatribe vallsienne. « Le Sénat, lui, se prononce en toute indépendance. Nous n’avons pas besoin de votre autorisation pour cela », a-t-il ajouté, sous les applaudissements de ses collègues, debout.
Le patron du groupe des Républicains, Bruno Retailleau, a renchéri : « Il y a un énorme paradoxe à vouloir rendre le Sénat comptable des divisions de la gauche, qui ont conduit à dénaturer l’engagement du président de la République à Versailles. »
« Vous ne pouvez pas nous dire : “L’Assemblée nationale a pris position, alignez-vous !” », a, sur le même ton, déclaré le centriste Michel Mercier.
On ne sait si Manuel Valls agit au naturel, et s’il a même conscience de sortir de son rôle de la manière la plus grossière. A moins que, ayant pris la mesure de ce que la réforme constitutionnelle était désormais inenvisageable, du fait de la division profonde de sa propre famille politique, il ne cherche, par la provocation, à en rendre responsable le Sénat…