Dette de la Grèce : les investisseurs privés déboutés face à la BCE par le Tribunal de l’UE

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Le titre de communiqué de presse du Tribunal de l’Union européenne – une cour sise au Luxembourg, pour laquelle la Cour de justice européenne sert d’instance d’appel – est laconique : « Le préjudice subi en 2012 par les détenteurs privés de titres de créance grecs dans le cadre de la restructuration de la dette publique de l’État grec n’est pas imputable à la BCE, mais aux risques économiques normalement inhérents aux activités du secteur financier. » Derrière le sec renvoi des investisseurs privés dans leurs buts, il y a toute l’arrogance de l’UE : la Banque centrale européenne peut faire ce qu’elle veut pour préserver la « stabilité financière », fût-ce aller contre ses propres règles. Ils sont donc déboutés, les créanciers qui se plaignent de ce que les privilèges de la BCE leur ont fait perdre encore plus que de raison au moment de la restructuration de la dette publique de la Grèce…
 
C’est une véritable spoliation qui a touché les investisseurs (y compris les banques) privés. En 2012, le secteur privé a accepté une décote volontaire de 53,5 % (le haircut) de la valeur nominale des titres par les créanciers. Que ceux-ci l’aient acceptée ou pas, le régime a été le même pour tous : par une loi du 23 février 2012, la Grèce a procédé à l’échange de l’ensemble de ces titres grâce à l’application d’une « clause d’action collective » (CAC). La décote, pour eux, n’avait de volontaire que le nom.
 

Les investisseurs privés déboutés face à la toute-puissante BCE

 
Plus de 200 investisseurs de détail italiens, Accorinti et autres, ont dénoncé ce procédé assorti, en outre, d’une disposition prise une semaine plus tôt permettant à la BCE d’échanger ses titres de dette grecque contre des obligations protégées dont la valeur nominale, le taux d’intérêt et les dates de paiement des intérêts et de remboursement étaient identiques aux titres initiaux, mais qui portaient des numéros de série et des dates différents. La double opération avait pour but d’assurer que la BCE ne souffrît pas de pertes liées à la restructuration mise en place pour éviter la banqueroute de la Grèce.
 
D’un coup de plume, plus de 100 milliards d’euros furent effacés de la dette grecque, à la charge du secteur privé.
 
A cela s’est ajoutée la possibilité ouverte le 5 mars aux seules Banques centrales nationales de racheter de la dette grecque à prix cassés, alors même qu’elle ne satisfaisait pas aux conditions de qualité du crédit.
 
Les Italiens estiment avoir perdu plus de 12 millions d’euros du fait du traitement de faveur que s’est arrogé la BCE alors même qu’elle n’a pas un statut de créancier privilégié. Ils ont demandé au Tribunal de l’UE de reconnaître que la BCE a « violé la confiance légitime des détenteurs privés, le principe de sécurité juridique et le principe d’égalité de traitement des créanciers privés ».
 

Tribunal de l’UE : dans l’affaire de la dette grecque, la BCE a agi dans « l’intérêt public »

 
Les diverses manipulations de la BCE, ont-ils ajouté, ont aggravé leurs pertes. Le communiqué du Tribunal résume : « Sans le statut de créancier privilégié de la BCE et des BCN et sans le programme de rachat accordé aux seules BCN, les créanciers privés n’auraient jamais vu la valeur de leurs titres se réduire et se déprécier à un tel point. »
 
Dans cette lutte du pot de terre contre le pot de fer, c’est bien entendu la Banque centrale qui a gagné au motif que la fin justifie les moyens. Le Tribunal a jugé que « les investisseurs privés ne peuvent pas se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime ni du principe de sécurité juridique dans un domaine tel que celui de la politique monétaire, dont l’objet comporte une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique ».
 
Ou pour le dire autrement : la BCE peut faire ce qu’elle veut au nom de la politique monétaire qu’elle doit mettre en œuvre, nonobstant toute règle contraire à laquelle elle serait formellement soumise – ce que d’ailleurs l’expérience historique prouve surabondamment.
 
Le Tribunal ajoute que les investisseurs connaissaient l’instabilité de la situation économique grecque, avec la fluctuation subséquente des valeurs des titres. « Ils ne pouvaient donc pas exclure le risque d’une restructuration de la dette publique grecque, compte tenu des divergences de vue régnant à cet égard au sein de l’Eurosystème et dans les autres organes impliqués (Commission, FMI et BCE). »
 

Les créanciers privés de la Grèce n’ont qu’à assumer les risques, dit le Tribunal : même si la BCE les aggrave…

 
Traduisez : avec les Banques centrales, il faut toujours s’attendre au pire. Pourquoi ? Parce que le principe général d’égalité que la BCE est censée respecter, tout comme les Banques centrales nationales, ne vaut que lorsque les créanciers se trouvent dans des situations comparables. Dans l’affaire de la crise financière grecque, « la BCE a exclusivement été guidée par des objectifs d’intérêt public » (en gras dans le communiqué) : « la stabilité des prix et la bonne gestion de la politique monétaire ». Alors que les investisseurs et épargnants – y compris les petits épargnants – n’avaient qu’un intérêt purement privé : « l’obtention d’un rendement maximal de leurs investissements ». Et ils ont pris « les risques normalement inhérents aux activités commerciales menées dans le cadre du secteur financier » alors même que la Grèce avait fait l’objet de mauvaises notations depuis 2009.
 
Entre « rendement » (pour petit qu’il soit) et décote de plus de la moitié, il y a tout de même une marge. Sans compter la responsabilité de l’UE qui a accueilli la Grèce dans l’euro, en faisant un partenaire supposément fiable, et qui l’y maintient à la force du poignet, au nom d’une « stabilité » dont les bienfaits restent à découvrir.
 
Cette décision du Tribunal de l’UE est une mauvaise nouvelle pour ceux qui envisagent de monter leur propre dossier contre la BCE – une banque française notamment – car même en démontrant la responsabilité de celle-ci dans la chute de leurs titres ils se heurteront aux « objectifs d’intérêt public » que la Banque centrale peut fixer seule pour s’en prévaloir ensuite.
 
Dans son nouveau programme de Quantitative easing et d’Opérations monétaires sur titres (OMT) qui lui permet de racheter des obligations émises par les pays membres sur le marché secondaire de la dette souveraine, la BCE est explicitement exclue du statut de créancier privilégié. Les promesses n’engagent jamais que ceux à qui elles sont faites.
 

Anne Dolhein