De Trudeau à Macron, les gouvernants invoquent le Bien et la lutte contre le Mal pour censurer Internet. Hier au dîner du CRIF Macron a promis de légiférer pour contraindre les opérateurs à retirer les messages qui contiennent de « l’antisémitisme » ou de la » haine ».
Le dîner annuel du CRIF est un raout à ne pas manquer dans les fastes de la république française. Quinze ministres, une vingtaine d’ambassadeurs et d’autres membres du Tout Paris assistaient comme chaque année à la chose. C’est là qu’il faut être vu, et les annonces que le président de la république y fait y prennent valeur d’engagement ferme. Macron a promis d’agir vite, « cette année », et fort.
Au menu du dîner du CRIF, antisémitisme, haine et censure
Manifestement, l’antisémitisme est un souci primordial du président. Interpellé par l’un des assistants sur ses ravages, il l’a rassuré sans ambiguïté : « Il ne saurait y avoir le moindre abandon des familles juives de France (…) L’Etat assurera sans faiblir son devoir de protection des personnes, des lieux de culte, écoles et crèches ». Et de répéter, très mâle : « Jamais nous ne faiblirons dans la lutte contre ce fléau ». Un fléau dont il dit qu’il est « le déshonneur de la France », et surtout « le contraire de la république ». C’est un moment important de l’élaboration de la doctrine de l’Etat : on entend bien souvent parler de « comportement républicain » sans qu’on sache très bien de quoi il s’agissait. On sait maintenant que la république est le contraire de l’antisémitisme, et c’est un gain pour la science politique. Francis Kalifat, président du CRIF, l’a confirmé lors du dîner en annonçant un « observatoire de la haine sur le net ». Haine tout court équivaut dans son esprit à antisémitisme, puis il a ajouté : « Lorsque notre outil aura fait ses preuves, nous pourrons l’élargir au racisme, à la xénophobie, à l’homophobie, à la haine des musulmans et, aussi, à la haine de la France ».
Macron bâillonne Interne au nom du Bien
Ici s’est situé un petit glissement, car, dans les faits, dans les quartiers, haine tout court et haine des musulmans s’opposent. Et Serge Klarsfeld a semblé bien anachronique lorsqu’il a emmené Macron sur l’affaire des pamphlets de Céline, que la maison Gallimard n’a pas renoncé à publier, ce que le président semble déplorer, tout en se flattant de ne pas « l’interdire ». En effet les auteurs de l’antisémitisme « au quotidien », ceux qui font vivre certaines familles juives « la peur au ventre », ne sont pas des bibliophiles amateurs de Céline.
Mais quelle que soit la cible de la censure, c’est la censure elle-même qui pose problème. Emmanuel Macron a évoqué « l’exemple inspirant » de la législation allemande, qui frappe Internet de lourdes peines quand il diffuse des message de « haine ». Cela revient à dire que contre la haine, tous les coups de canif aux libertés sont bons. Il suffit donc qu’un contenu soit considéré comme haineux par les gouvernements, les grandes entreprises Internet et les associations spécialisées pour le faire interdire et punir. L’empire démocratique du Bien a le droit de censurer ce qu’il veut sur Internet. En cela, il se conforme au vœu du président du CRIF, qui a demandé que les entreprises Internet « assument les mêmes responsabilités que les éditeurs de presse ». Sous couleur de lutter contre l’antisémitisme, on met au pas tout le système d’information.