Ils sont dans le collimateur des services sociaux de l’enfance en Italie… et pourtant ils cochent toutes les cases de l’écologiquement correct. Nathan Trevallion, 51 ans, ancien chef cuisinier, homme d’affaires et entrepreneur britannique, et l’Australienne Catherine Birmingham, 45 ans, ancienne professionnelle du dressage, auteur de plusieurs livres et aujourd’hui « coach de vie », tous deux anciens globe-trotters, ont choisi d’acheter comptant une vieille maison dans les bois près de L’Aquila où ils vivent au contact de la nature avec leurs trois enfants nés dans le pays : Utopia Rose, huit ans, et les jumeaux Galorian et Bluebell, six ans. Le système judiciaire italien a tout fait pour priver ces deux rêveurs de leur autorité parentale, finissant par envisager d’autoriser le couple à garder ses enfants à condition de faire de travaux dans leur maison qui n’affichait ni eau courante, ni salle de bains… Ils ont jusqu’à la fin du mois ; en attendant que Monsieur installe ces éléments du confort moderne, Madame a pu obtenir que les petits ne soient pas placés, mais qu’elle soit logée avec eux dans un appartement sur la côte. Ils avaient choisi de vivre en immersion dans la nature, les voilà suspects.
Le moindre de leurs torts n’a pas été de faire l’école à la maison. Alors qu’ils avaient décidé de fonder une famille loin de la ville et de la société mercantile, Nathan et Catherine avaient justement choisi l’Italie pour s’installer, sans emprunts et sans loyer, pour sa relative ouverture à ce type d’instruction. Et c’est même tout bénéfice pour ce pays dont les campagnes se vident au rythme de la dénatalité. Mais cela a joué contre eux – comment, des enfants non « socialisés » ? – et participé à la ronde d’inspections, d’injonctions, d’annonces de placement, de fuites précipitées (deux fois cette année) qu’ils ont vécue cette année. « Comme un gros camion qui menace de tomber sur la tête de nos enfants », explique Catherine.
En Italie, l’école à la maison est légale, mais quid des droits des parents ?
Des enfants au demeurant vaccinés et régulièrement vus par le pédiatre, passant tous les ans les examens de vérification de niveau auxquels ils sont soumis au titre de la scolarisation à domicile (il s’avère qu’ils sont parfaitement en règle de ce côté-là), vivant dans une maison jugée délabrée par les autorités mais propre comme un sou neuf, chauffée par un grand poêle à bois en hiver et dotée de toilettes sèches. Pour l’électricité, il y a des panneaux solaires suffisants pour alimenter l’éclairage, les ordinateurs et les portables ; pour l’eau, un puits et un ruisseau de montagne où les enfants nagent en été – et une voiture pour les mener au village tout voisin de Palmoli, avec ses magasins, ses bars et même son poste de police. Nathan fait pousser fruits et légumes sur des lopins de terre dégagés de la forêt pendant que Catherine continue son travail rémunéré de coach. Il y a des chevaux que les enfants montent à cru, des chiens, et même un âne depuis peu. D’ailleurs les enfants participent à tout : s’ils ont des jeux et tous les amusements de la vie en plein air, ils assurent avec leurs parents le soin des animaux, apprennent à aider aux travaux domestiques.
Ils sont en pleine santé, souriants et heureux, débrouillards et munis de bien des connaissances qu’on n’acquiert ni à l’école, ni en étant collés pendant des heures à des écrans ; c’est justement tout ce que veulent leurs parents pour eux. On vit en famille, on se promène en famille ; on va ensemble à la cueillette aux champignons…
C’est même cela qui les a perdus en attirant l’attention des autorités. Hélas, l’an dernier – n’est pas toujours Robinson qui veut – ils en ont ingurgité en famille qui ont failli avoir leur peau. Intoxication, évacuation d’urgence, soins à l’hôpital… Ils s’en sont tous tirés sans séquelles mais c’est pendant leur absence que la police est allée voir leur demeure qui ressemblait un peu trop à l’habitat de l’homme européen rural dans un passé pas si lointain.
Des parents qui adoptent tous les codes écologiques
On peut penser ce qu’on veut de leur rejet de la société urbaine contemporaine, et des choix un peu hippies sur les bords de ces parents atypiques. Mais enfin ils exercent leur droit de parents sans maltraiter les enfants qu’ils ont mis au monde – c’est en tout cas ce qui ressort à la fois des multiples articles écrits par des journalistes qui se sont emparés de leur histoire et sont allés voir sur place de quoi il retournait, et de la décision de justice qui demande simplement quelques aménagements matériels de leur petite maison dans les bois pour que la famille puisse être réunie.
Mais c’est tout de même ballot. Voilà comment on traite une famille de cinq personnes à l’« empreinte écologique » quasi nulle, vivant dans une maison minuscule fonctionnant à l’énergie photovoltaïque, munie de ces toilettes sèches qui sont le nec plus ultra de la sauvegarde de l’eau (et qui au demeurant fonctionnent très bien tout en assurant l’apport d’engrais de qualité, comme cela a été le cas pendant des siècles), rejoignant à sa manière l’« idéal » des peuples premiers qu’à longueur de COP et de « Sommets de la terre » on nous donne en exemple comme ayant les vraies réponses aux problèmes du jour.
Toucher aux modes de vie de ces derniers est un crime ; poursuivre avec un acharnement tout bureaucratique des originaux qui en adoptent quelques-uns des traits une constante de nos sociétés modernes. Pas question de laisser pratiquer ce que l’on prêche !
Vivre dans les bois en Italie comme on vivait il y a moins d’un siècle
Comme ils ne sont ni catholiques, ni accusés d’« intégrisme » religieux, sans doute, la famille des Trevallion-Birmingham a vu son histoire prendre le devant de la scène dans les médias italiens et anglophones qui les contemplent avec sympathie ; le couple a d’ailleurs annoncé vouloir remuer ciel et terre si jamais on en venait à prendre leurs enfants.
Ils ont un atout considérable : le soutien du premier ministre Giorgia Meloni qui s’est déclarée « préoccupée » devant le traitement que subit cette famille. Son vice-Premier ministre, Matteo Salvini de la Ligue du Nord, a qualifié la « saisie » des enfants par les services de protection de l’enfance il y a une dizaine de jours (ils ont donc depuis lors retrouvé leur maman) d’« inquiétante, dangereuse et honteuse ». Il a également fustigé les juges qui n’appliquent pas les mêmes méthodes s’agissant de campements de roms… Même le ministre de la justice, Carlo Nordio, a fait savoir qu’il serait opportun d’avoir recours à des évaluateurs indépendants, prenant ainsi le contre-pied des magistrats. Une pétition sous le titre « Sauvons la famille qui vit dans les bois » a recueilli 150.000 signatures.
Face au monde où ce qui n’est pas interdit est en passe de devenir obligatoire, il est vrai que la liberté fait rêver.











