Depuis une semaine, la presse occidentale n’en finit pas de saluer « la belle victoire démocratique » dans cette élection présidentielle sans tache et sans heurts, qui a vu l’accession au pouvoir nigérien du candidat musulman de la coalition de l’opposition (APC), Muhammadu Buhari, avec 53,95 % des voix. « Notre pays a rejoint la communauté des nations qui remplacent par les urnes un président en place au cours d’un scrutin libre et honnête », « pour moi, c’est vraiment historique », s’est félicité ce dernier dans sa toute première allocution au Nigeria. Il semble que les États-Unis n’y aient pas été totalement étrangers.
Élections présidentielles : le musulman du Nord contre le chrétien du Sud
Même son malheureux rival, le chrétien Goodluck Jonathan, au pouvoir depuis 2010, a concédé – jusque là – sa défaite et félicité le nouveau président. Permettant une calme alternance, en pleine légalité… Du jamais vu au Nigeria qui a connu six coups d’État depuis l’indépendance en 1960. Le Parti démocratique populaire (PDP) détenait le pouvoir depuis 1999, date du retour à la démocratie du Nigeria.
Pas même encore installé sur son fauteuil de président, le général retraité de 72 ans, Muhammadu Buhari, s’est promis de « débarrasser la nation de la terreur » du groupe islamiste Boko Haram. « Aucun effort ne sera épargné pour vaincre le terrorisme ». Et s’est donné comme autre cible, le fléau endémique de la corruption qui ronge le Nigéria, engendrant, comme il avait dit à Londres, « une économie réservée à une petite élite ayant tout, isolée sur son île de prospérité, et une autre, pour le plus grand nombre, dénuée de tout dans un vaste océan de misère » – les moins jeunes n’ont pourtant pas que de « bons » souvenirs de sa « Guerre contre l’Indiscipline » qui avait durement marqué les deux ans de sa dictature dans les années 80…
Muhammadu Buhari, un « converti » ? Mais à quelle cause ? !
Buhari est un musulman sunnite de la partie nord du pays. Il n’a pas arrêté de clamer pendant sa campagne qu’il avait « changé », qu’il s’était « converti à la démocratie » et donc qu’il n’étendrait pas à l’ensemble des 36 États du Nigeria la charia déjà appliquée aux 12 États du Nord depuis le début des années 2000… Que les chrétiens qui représentent la moitié des 162 millions d’habitants n’avaient pas à s’inquiéter. En janvier, il postait ce billet sur son blog de campagne : « Buhari n’islamisera jamais le Nigeria ». Et faisait mettre en valeur le fait que son cuisinier et son chauffeur étaient tous les deux chrétiens et que sa dernière fille s’était mariée à un chrétien…
Cependant les appréhensions demeurent. Un ancien porte-parole américain aux Nations Unies, Richard Grenell, avait exprimé récemment son inquiétude sur une potentielle victoire de Buhari, qui veut, selon lui, « la charia dans tout le Nigeria » – c’est ce que l’ancien dictateur clamait encore en 2001…
Ses liens avec Boko Haram, la secte aux 15 à 20.000 morts, sont ambivalents – alors même qu’il fustigeait la molle politique de son prédécesseur à leur encontre. Il est avéré qu’en 2013 Buhari a protesté contre une répression du gouvernement sur le groupe. Qu’en 2012, Boko Haram a lui-même nommé Buhari comme l’un des six médiateurs du gouvernement dans leurs négociations de cessez-le-feu. Cependant, il sait faire preuve de violence, ou la tolérer, quand la circonstance le réclame – souvenons-nous des bains de sang qui ont accompagné l’élection de son heureux rival, en avril 2011.
Sourde politique des États-Unis au Nigeria
D’autre part, atténuons le baratin médiatique occidental sur « la belle victoire démocratique »… Buhari n’a pas gagné seul. Quel media « mainstream » parle du rôle prépondérant de l’AKPD, le cabinet de conseil politique dirigé par David Axelrod, ancien conseiller en chef pour les campagnes présidentielles d’Obama ? Il a pourtant directement soutenu, bien qu’en sous-main mais avec succès, la candidature du musulman Buhari face au chrétien Goodluck Jonathan.
Et il ne faut pas s’en étonner. Toute la politique américaine a été jusque-là de contrer la réussite du gouvernement, tant au niveau économique qu’au niveau sécuritaire et médiatique. Un certain nombre de journalistes et d’hommes politiques nigériens l’ont dénoncé – mais leur voix ne porte guère jusqu’en Occident.
Quand Michelle Obama, côté media, menait sa campagne Twitter « #BringBackOurGirls » contre Boko Haram qui avait kidnappé 278 écolières dans le nord du pays l’année dernière, l’administration Obama jouait sur un autre tableau, celui de la parfaite non-ingérence. Alors que le Nigeria demandait son aide, elle a tout simplement refusé de lui vendre des armes offensives, sous des prétextes fallacieux de suspicion de violations des droits de l’homme sur des suspects arrêtés de Boko Haram… Refusé également de transmettre tout renseignement militaire alors que plusieurs de ses drones et de ses avions survolaient le nord-est du Nigeria à partir de bases au Niger et au Tchad.
Sur le plan économique, les États-Unis ont cessé brusquement toutes leurs importations de pétrole nigérien, alors que le pays comptait parmi leurs cinq premiers fournisseurs… Le pétrole représentant 70 % de son budget et l’Amérique étant son plus gros client, l’économie nigériane a plongé. En représailles, Goodluck Jonathan n’a pu qu’annuler un accord de formation militaire entre les deux pays.
« Agrandir internationalement chaque échec connu du gouvernement nigérien » ?
Selon un blogueur nigérien du Western Post, la seule intervention de l’administration Obama a été d’utiliser « chaînes publiques et privées pour agrandir internationalement chaque échec connu du gouvernement nigérien. » Du pain bénit pour l’opposition Buhari.
Les États-Unis choisiraient-ils leurs musulmans et/ou islamistes ? ! Il en est certains qu’ils laissent filer – les chiites du Yémen soutenus par l’Iran n’ont pas été très embêtés jusque-là. Le « client d’Axelrod », Buhari, a beau avoir été accusé de violations des droits de l’homme en son temps, quand il était au pouvoir, il semble qu’aujourd’hui les États-Unis veuillent s’en servir. Gageons que Boko Haram va être à présent davantage repoussé. Le Nigeria, le géant de l’Afrique, le premier pays dans le classement des économies africaines – et plus grand producteur de pétrole – valait sans doute la peine qu’on s’en occupe.