Elections en Italie : Cinq étoiles et la Ligue du Nord contre l’ancien monde

Elections Italie Cinq Etoiles Ligue Nord Monde Ancien
 
A peine connu le résultat des élections en Italie, tous les commentateurs ont noté la victoire des forces antisystème, Ligue du Nord et mouvement Cinq étoiles en tête. Il faut aller plus loin : c’est tout le monde ancien que les Italiens rejettent. En misant pourtant sur des chevaux pas toujours très neufs.
 
Je laisserai aux spécialistes des arcanes romaines et de la formation des gouvernements le soin de disserter sur les combinaisons possibles entre la droite, l’extrême droite, la gauche et le « populisme inclassable » du mouvement Cinq étoiles : les Allemands viennent de prendre pour six mois de négociations avant d’accoucher d’un monstre mortifère. La différence ici, qui tient à la fois au génie du peuple italien et à la personnalité de Silvio Berlusconi, est que l’extrême droite n’est pas exclue de l’arc constitutionnel où l’on puise les candidats au pouvoir. Je m’en tiendrai dans les lignes qui suivent à la signification d’un vote aussi massif qu’ambigu : les Italiens ont voté en toute clarté pour dire non au monde ancien mais ont dispersé leurs votes sur des partis incompatibles, ce qui permettra sans doute à ce monde ancien de survivre.
 

L’Italie condamne l’ancien monde sans ambiguïté

 
Une chose est claire comme le jour, les Italiens ont donné une claque monumentale au parti démocrate, qui n’atteint pas 19 % contre 40 % en 2014, et à la coalition qu’il formait (23 %, lui compris). Si l’on prend garde que Forza Italia, le parti de Berlusconi qui se présentait comme le seul rempart contre la montée des eurosceptiques, plafonne à 14 %, on constate que les deux tiers de l’Italie ont rejeté ensemble la gauche et la droite, le socialisme, l’Europe de Bruxelles et l’immigration. Car la lutte contre l’immigration était au cœur de la campagne de tous les partis, sauf le PD. Et l’on est fondé à penser que si Berlusconi a évité, partiellement, la dégelée, c’est qu’il avait lui aussi promis, pour sauver ses meubles, de renvoyer chez eux six cent mille migrants. Le Monde note de son côté que « les partis anti-européens ont fait le plein ». Et RFI estime que « l’Italie est sortie de la modération ». C’est donc tout le discours lénifiant de l’ancien monde que l’Italie a condamné sans appel.
 

La Ligue du Nord veut rendre l’Italie grande à nouveau

 
La figure qui incarne le plus nettement cette éruption de lassitude est le nouveau maître de la Ligue du Nord, Matteo Salvini, qui a gravi un à un les échelons de l’appareil, a l’oreille des militants, et soulève des foules avec des slogans simples, comme « Les Italiens d’abord ». Il admire Trump et Poutine, voit dans « l’immigration non maîtrisée » le problème nodal de l’Italie, dénonce dans l’euro, non sans emphase, un « crime contre l’humanité ». Mais dans ses envolées de tribun, il a des paroles nettes, ainsi récemment devant le Dôme de Milan : « Je jure d’être fidèle à mon peuple, à la Constitution italienne et de respecter les Saints Evangiles ». Son parti stagnait à 4 % de voix aux dernières élections générales, il atteint presque 18 %, une multiplication par 4,5. Ce saut extraordinaire ne nous dit rien sur sa capacité à gouverner, mais tout de l’attente pathétique de l’Italie.
 

Le mouvement Cinq étoiles, quintessence de confusion

 
Cette aspiration très claire est cependant brouillée par le parti le mouvement Cinq étoiles, 32 %, qui a gagné l’élection, et son chef. Celui-ci a notamment infléchi sa position sur l’Europe afin de paraître sérieux et « premier ministrable ». Luigi di Maio, qui a succédé au fondateur du parti Beppe Grillo, postule au poste de président du conseil européen, et, alors que son groupe siège au parlement de Strasbourg avec l’UKIP britannique, héraut du Brexit, a modifié l’ancienne ligne du mouvement Cinq étoiles, Bruxellesophobe, en euro-critique. Il entend rester dans la zone euro et a failli négocier voilà quelques mois un ralliement au parti ALDE (alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe), qui est le parti européen le plus fédéraliste. Est-ce par souci tactique ou par conviction ? Nul ne le sait avec certitude, mais la vraie question qui se pose est : a-t-il des convictions ? Et si oui lesquelles ?
 

La jeunesse contre l’immigration et le monde ancien

 
Ce jeune napolitain modéré a des allures de contestataire comme il faut avec ses cravates trop longues mais sobres. Remarquons, à toutes fins utiles, qu’il est le fils d’un cadre du MSI, le parti néofasciste de Giorgio Almirante. Il a senti le vent d’exaspération que la révolution des mœurs et l’invasion provoquent en Italie. L’hebdomadaire Famiglia christiana estime que « sur l’éthique et l’immigration, sa pensée ressemble à celle d’un surfeur qui suit la vague ». D’autres relèvent que ses études furent courtes et que son expérience professionnelle n’encombre pas son CV. Mais ses nombreux partisans, lui savent gré justement de n’avoir rien fait, ils y voient la marque de sa virginité, et comme un garantie : « Il restera comme il est, il ne fera pas comme les autres ». Leur vote est une sanction morale contre les turpitudes du monde ancien. Quant à lui, il note que Macron n’a pas quarante ans et Sebastian Kurz, le premier ministre autrichien, 31 ans comme lui. Ils pensent incarner la jeunesse dressée contre un monde en décrépitude. Les vieux briscards de la politique italienne estiment, eux, que Beppe Grillo, qui a fait mine de prendre du champ, pourra écrire à sa convenance sur cette feuille blanche.
 

Beppe Grillo, un Ferdinand Lop qui aurait gagné les élections

 
La vraie question est ici : en moins de dix ans, le mouvement Cinq étoiles, parti de rien, est arrivé à dominer les élections générales, que veut-il, qui est-il ? Son fondateur Beppe Grillo, né dans la bourgeoisie génoise, une fois son diplôme de comptable en poche, a choisi de faire carrière en jouant de la dérision dans les médias. C’est un chansonnier qui a fait un tabac à la télévision dans les années 80 avant de se lancer dans la politique, bref, un bouffon sur le point de devenir roi, comme y avait songé un moment Coluche. A l’approche de ses septante ans, ce vieil étudiant cornaque de loin un parti critique-tout, donc attrape-tout : on l’a même dit à la fois antisémite et sioniste. C’est un Ferdinand Lop qui aurait réussi. Il est contre tout ce qui est pour et pour tout ce qui est contre. Il fait son beurre avec l’immigration, l’environnement, la disparition des syndicats, la lutte contre la malbouffe, la semaine de vingt heures, la réduction des dépenses militaires, le referendum d’initiative populaire, etc., il n’a nulle cohérence doctrinale et pas d’autre limite à son programme que le mécontentement populaire. Cela en fait l’opposition de sa majesté au système.
 

Cinq étoiles, le stratagème de la synarchie mondiale

 
Les voix qu’il capte entrent en effet dans un grand trou noir qui peut mettre au pouvoir des personnages dont rien n’indique qu’ils auront même la velléité de satisfaire l’électorat qui les a élus, puisque l’éventail des mécontentements qui les porte ne définit nul profil politique. On l’a vu à Rome avec la jeune et séduisante Virginia Raggi, élue par plus des deux tiers des votants en juin 2016. Avocate, elle avait fait campagne sur le thème attrape-tout de la lutte contre la corruption et a sombré dans des affaires de corruption. A part cela, en bonne militante Cinq étoiles, c’est une poly-démagogue, contre la GPA et pour une « économie circulaire sans déchets », elle veut « faire bosser les Roms » et faire payer « un impôt foncier » à l’Eglise italienne. En fait, cette ancienne électrice de l’Olivier et du parti démocrate est une bobo typique de la confusion qui a présidé au succès de Cinq étoiles et qui y règne. La fonction de cette confusion est de dériver la colère de l’Italie sur un bassin de rétention où elle s’apaisera. Les élections expriment une défiance générale des Italiens à l’égard de la synarchie mondialiste et des maux qu’elle cause en Italie, le mouvement Cinq étoiles est là pour empêcher que cette défiance ne mène à la victoire de quelque fascisme national. Sur tout cela plane, pour l’instant, le prudent silence du pape François.
 

Pauline Mille