Mercredi dernier, la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale organisait une table ronde sur les enjeux de la transition numérique. Invitées, cinq des entreprises à la pointe de la French Tech (un nom barbare qui dissimule le monde du numérique français) – Withings, spécialisé dans les objets connectés pour la maison, Sigfox, le numéro un mondial de la connectivité des objets, la plateforme musicale Deezer, le leader du covoiturage Blablacar et le service de cagnotte en ligne Leetchi – qui, pendant plusieurs heures, ont répondu aux questions des députés. Sans toujours prendre de gants, notamment sur les changements législatifs…
Une quinzaine de députés de tous tendances politiques étaient là pour prendre note de leurs remarques, bonnes et mauvaises. Et le point fort relevé par ces champions du monde virtuel est revenu sans conteste aux initiatives publiques visant à encourage l’innovation. Ainsi, observait Eric Carreel, le président et co-fondateur de Withings, « être entrepreneur en 2015 en France, c’est infiniment plus facile qu’il y a quinze ans ». Dont acte ! Du moins, puisque l’on se félicite des aides à l’innovation, dans le monde numérique. L’actualité vient de façon récurrente rappeler qu’il n’en est malheureusement pas toujours de même dans des secteurs d’activité plus classiques…
Les évolutions de l’entreprise
Cette précision faite, il n’y a pas de raison, pour nos entrepreneurs du numérique, de ne pas montrer leur satisfaction de ce changement climatique – non ! François, on ne t’a pas appelé…
« Avant, on regardait les entrepreneurs de travers, ajoute Eric Carreel. Aujourd’hui, les gens nous soutiennent et sont fiers de voir des startups françaises réussir à l’international avec des solutions innovantes. C’est un vrai changement de mentalité. »
Mais la médaille a aussi son revers, et nos cinq patrons ont été unanimes à regretter « le manque de conscience globale, notamment dans l’administration » de la puissance de la transformation digitale et des changements majeurs qu’elle va apporter, peu à peu, dans tous les métiers. Une pierre dans le jardin des pouvoirs publics, si prompts, depuis 2012 notamment, à vanter à nos compatriotes leur engagement dans le domaine numérique.
Difficultés dues aux changements législatifs
Autre difficulté : le recrutement, qui est « une vraie galère », soulignent-ils. Frédéric Mazzella, fondateur et président de Blablacar, a expliqué à la représentation nationale que, pour l’heure, l’employé est difficile à trouver : « Chez Blablacar, la moyenne d’âge de nos 360 salariés est de 29 ans. C’est très jeune. Le recrutement est notre principal problème, nous peinons à trouver les profils qui nous correspondent. Le numérique réinvente tous les métiers existants et en créé de nouveaux. Alors on préfère former des jeunes plutôt que d’embaucher des seniors qu’il faut mieux payer et qui n’ont pas davantage de compétences pour nos métiers. »
Lourdeurs administratives, difficultés d’embaucher, il n’en faut pas plus, expliquent ces entrepreneurs, pour aller embaucher – voire s’installer – ailleurs.
Dans le domaine du numérique, plus qu’ailleurs sans doute, la solution pourrait passer notamment par le marché unique européen. Simon Baldeyrou, de Deezer France, le déclare sans détours : « S’implanter dans un autre pays européen est d’une grande complexité en raison du fait que chaque pays a des règles différentes sur les droits d’auteurs. »
Sans suivre l’idée d’une uniformisation générale qui viendrait encore diminuer – mais n’est-ce pas le but recherché à Bruxelles ? – l’autonomie de chaque Etat-membre de l’Union européenne (oui, c’est moins parlant que « souveraineté », mais il paraît que ce dernier est devenu un gros mot), il paraît logique d’envisager, dans le cas de certains secteurs qui ne sauraient, comme le numérique, se limiter à un territoire nationale, certaines passerelles pour éviter des obligations, administratives ou juridiques, contradictoires.
« Si vous pouviez ne plus rien faire… »
D’une manière générale, ces jeunes entrepreneurs plaident pour une « lisibilité administrative », selon l’expression de Céline Lazorthes, patronne de Leetchi : « Quand on créé une startup à 25 ans, on ne connaît rien, on est perdu, d’autant plus que les réglementations évoluent souvent, alors qu’on a besoin de stabilité. »
De fait, si nul n’est censé ignorer la loi, celle-ci est souvent difficile à suivre. Et lorsque l’on essaye de s’aventurer dans ses arcanes, on s’aperçoit que les règlementations évoluent régulièrement au point qu’il est parfois difficile de savoir exactement où l’on en est, et que le développement des entreprises en est freiné. « Si vous pouviez ne plus rien faire, à la limite ce serait mieux ! », conclut Céline Lazorthes, mi-rieuse, mi-sérieuse…
Une dernière remarque qui ne saurait manquer de faire l’unanimité…