Le plan de renflouement interne en cas de crise financière, imposé par l’Allemagne, risque de provoquer l’« explosion » de l’euro, selon le Pr Peter Bofinger, l’un des cinq « sages » du Conseil allemand des conseillers économiques. Dans une position dissidente exprimée au moment où celui-ci prône la décote sur la dette souveraine de la zone euro – à la charge de ses détenteurs –, l’économiste met en garde contre une crise des obligations européennes impossible à maîtriser. Des pays comme l’Espagne et l’Italie pourraient se voir « contraints » de revenir à leurs monnaies nationales, estime-t-il.
« C’est la manière la plus rapide de casser la zone euro », a déclaré Bofinger au Telegraph : « L’attaque spéculative pourrait se mettre en place très vite. Si j’étais un homme politique en Italie et que je me trouvais face à un tel risque d’insolvabilité, je chercherais à revenir à ma propre monnaie le plus rapidement possible, car c’est la seule façon d’éviter la banqueroute. »
L’explosion de l’euro pourrait suivre les dernières manœuvres allemandes
Le mécanisme d’insolvabilité souveraine que le Conseil allemand – soutenu par la Banque centrale allemande et le ministre des finances William Schäuble – appelle de ses vœux est destiné à restaurer la « crédibilité » de la clause de non sauvetage du Traité de Maastricht. Il empêcherait tout renflouement public tant que les détenteurs d’obligations n’auraient pas eux-mêmes enduré des pertes et correspond à la règle de renflouement des banques par les détenteurs d’obligations bancaires. Celle-ci est entrée en vigueur au début de cette année et a déjà contribué à un fort mouvement de vente de ces obligations.
Le risque est donc de voir les détenteurs des obligations souveraines de se débarrasser au plus vite de ces avoirs, laissant l’Italie, le Portugal et l’Espagne dans l’incapacité de se défendre puisqu’ils ne disposent plus d’instruments monétaires, abandonnés entre les mains de ceux qui « gèrent » l’euro. « Ces pays courent le risque d’être frappés par une dangereuse crise de confiance », observe Bofinger.
Les nouvelles règles prônées par l’Allemagne obligeraient en effet les banques à limiter le poids relatif des dettes souveraines qu’elles détiennent ou qu’elles peuvent acheter – l’idée étant qu’elles se débarrassent de 604 milliards d’euros tout en levant 35 milliards de nouveaux capitaux.
Le Conseil allemand des conseillers économiques divisé sur la réponse à la crise
En Italie, où les banques détiennent 400 milliards d’euros de dette souveraine achetée bon marché à la Banque centrale européenne, la question est plus que sensible. Le Portugal est exposé à une véritable tempête de désinvestissement alors que sa situation est exceptionnellement mauvaise, même à l’aune européenne, avec une dette publique de 132 % du PIB et une dette domestique totale de 341 % – un record au sein de l’UE, avec des taux d’intérêt sur l’emprunt qui remontent à toute vitesse.
L’idée de l’Allemagne est de protéger les systèmes bancaires nationaux des crises de la dette subies par les gouvernements, en cessant de considérer la dette souveraine comme « totalement sûre et liquide ».
Un « sage » allemand dénonce le régime de l’euro qui a enlevé leur souveraineté aux Etats
Le principe du mécanisme d’insolvabilité souveraine repose selon Bofinger sur la « fausse idée » selon laquelle les « abus fiscaux » des gouvernements sont à la racine de la crise actuelle : en réalité, assure-t-il, l’explosion de la dette publique depuis 2008 est imputable aux actions d’urgence que les gouvernements (hormis celui de la Grèce) ont dû mettre en place pour éviter l’écroulement de leurs économies. Le « vrai problème », selon lui, est que l’Allemagne et les Etats créditeurs de la zone euro continuent de refuser les implications de l’union monétaire : il faut un minimum de solidarité par rapport à la dette ainsi que d’union fiscale afin que l’expérience puisse rester sur pied.
C’est ce que disent les critiques de l’union monétaire européenne depuis fort longtemps : on ne peut faire cohabiter des économies aussi disparates que celles des pays membres en menant une politique monétaire qui convienne à chacune d’entre elles. Si les plus riches ne paient pas, les plus en difficultés coulent… ou se voient obligés à des mesures délétères pour leur économie nationale, dans une spirale de crise.