“Euthanasie” pour tous : les médecins des Pays-Bas reconnaissent à tous le droit de mourir par déshydratation médicalement accompagnée

Euthanasie Pays-Bas déshydratation accompagnée
 

L’euthanasie est légale au Pays-Bas depuis 2001, et étend son emprise à l’heure où 5 % de tous les décès y résultent aujourd’hui d’une mise à mort par un médecin à la demande du patient. Mais elle reste soumise à des conditions strictes, le décès par euthanasie étant notamment considéré comme une mort de cause non naturelle qu’il convient de signaler au médecin légiste, avec de possibles poursuites à la clef si les conditions légales n’ont pas été respectées. De nombreuses demandes d’euthanasie ne sont pas honorées, faute pour le médecin de juger que les conditions sont réunies ou dans le cas du désaccord du médecin indépendant que le praticien doit consulter et qui doit voir le patient avant le passage à l’acte, et ce même si des poursuites effectives sont rarissimes en cas de non-respect des dispositions de la loi. De nouvelles orientations du Collège des médecins des Pays-Bas (KNMG), ouvertement présentées comme moyen de contournement de la législation, viennent d’assouplir les directives concernant le choix de la mort par arrêt de l’hydratation et de l’alimentation, voie désormais ouverte à tous alors qu’elle était jusque-là réservée au plus de 60 ans. Aucune condition n’est posée, que ce soit en termes d’état de santé, de souffrance psychique ou physique, ou d’absence de traitement possible. En pratique, pour ceux qui choisissent de mourir, il s’agit simplement d’avoir la volonté de cesser de boire et de manger : l’issue est inéluctable pour ceux qui tiennent bon. Et, cerise sur le gâteau – même si l’une et l’autre ne font pas précisément partie du régime – ce choix entraîne le droit à une assistance de la part du corps médical pour assurer que les choses se passent le plus « confortablement » possible.

La question de la volonté est importante. Précisons d’emblée qu’une personne en (toute) fin de vie s’arrête naturellement de s’alimenter ou d’accepter qu’on l’alimente par les voies normales non par choix, mais par un processus physiologique normal. A ce moment-là c’est le corps et non l’esprit qui refuse, et le fait de manger et de boire entraînerait davantage de souffrances sans parvenir à sa fin qui est de nourrir.

 

La consécration de l’euthanasie lente pour tous

Il est ici question au contraire d’une mort choisie par une procédure de BSTED (Bewust stoppen met eten en drinken – S’arrêter délibérément de manger et de boire) ; elle est considérée comme une mort naturelle et dispense de toute la paperasse et des démarches associées à l’euthanasie, elle n’entraîne pas une signification aux autorités compétentes et c’est le médecin de famille qui peut tout simplement signer le certificat de décès en mentionnant l’absence d’alimentation et d’hydratation comme cause de la mort. L’affaire, comme la vie, s’arrête là et la famille peut tranquillement procéder aux obsèques.

Cette légèreté administrative et pénale fait certainement partie des raisons pour lesquelles les médecins néerlandais ont décidé de publier un livret de 93 pages destiné à informer les professionnels de santé sur ce qu’il faut bien appeler un droit à l’euthanasie pour tous, même si le KNMG assure qu’il ne s’agit ni d’une euthanasie ni même d’un suicide assisté. Le document hésite même sur le fait de savoir s’il s’agit d’une forme de suicide ou non, et juge la question sans objet, puisque le médecin se bornera à offrir des soins palliatifs qui ne peuvent pas être considérés comme une aide à mourir. Soins palliatifs considérés comme dus : ils ne peuvent être refusés à celui qui décide de mourir ainsi.

Le document précise au demeurant qu’on peut recommander cette forme de mort à un patient ou à un proche sans être taxé d’incitation au suicide.

Le document signale que le « BSTED » constitue un processus de mort « normal » sans facteur externe ou non naturel, sans violence ni mutilation, progressif (le patient peut choisir le tempo en décidant d’absorber ou non des petites quantités de liquide, voire de mettre fin au processus s’il le désire et recommencer à se nourrir) et en douceur, permettant de dire « au revoir » aux proches et de jouir d’une mort « digne ». On souligne aussi que s’agissant d’un acte volontaire, et même d’un acte volontaire considéré comme exigeant, on élimine totalement le risque d’un choix impulsif, et que le degré de motivation exigée pour le mener à bout permet d’écarter le risque de la pression des tiers.

 

Les médecins des Pays-Bas étendent le droit de mourir par déshydratation

Il n’empêche. Même en prétendant que le BSTED est une manière de se laisser mourir en douceur plutôt que de se donner la mort, sur le plan moral il s’agit bien d’un choix, et d’un choix violent de refus de la vie, en prenant délibérément les moyens pour que la mort intervienne, et en requérant d’autrui les gestes généralement jugés indispensables pour pouvoir tenir bon : ce sont des gestes qui ont pour objectif de faciliter le décès. Mais cette question-là est évacuée en quelques lignes, tout au plus reconnaît-on que certains médecins peuvent avoir des problèmes de conscience face à un tel choix ; il leur est alors simplement demandé de le signaler au patient et de remettre celui-ci à un confrère plus accommodant. Une objection de conscience au rabais, en somme.

Pourquoi les médecins néerlandais réservaient-ils jusqu’ici cette forme de « fin de vie » aux plus de 60 ans ? Ils avancent deux arguments : pour des sujets jeunes et en bonne santé, le processus est beaucoup plus long et pénible que pour des personnes âgées qui ont en particulier une moindre sensation de soif et d’inconfort en cessant de boire, et, deuxièmement, il y avait une quasi absence d’études de cas sur des personnes jeunes.

Les directives du Collège des médecins ne disent pas très clairement pourquoi celui-ci a décidé de revenir sur la limite d’âge, se bornant à renvoyer à un tableau statistique où apparaît un certain nombre de cas concernant des patients de moins de 60 ans.

 

Mourir de soif parce qu’on veut garder la « maîtrise » sur sa vie

On y trouve aussi les raisons pour lesquelles les patients – plus de 700 par an officiellement au Pays-Bas, mais on suppose que les vrais chiffres pourraient être supérieurs dans la mesure où aucun signalement n’est exigé – choisissent ainsi de mettre fin à leur vie. Faiblesse, détérioration du corps, dépendance, en invalidité, perte du sentiment de dignité, absence de but dans la vie ou d’espérance de voir son état s’améliorer, idée qu’on a « achevé » sa vie font partie des causes les plus fréquemment invoquées. La dépression, la solitude, la perte d’un être cher, la volonté de ne pas peser sur les proches, l’impossibilité de vivre de manière indépendante sont d’autres motifs signalés, et une fois de plus, ces motifs ne peuvent pas être remis en question pour refuser d’aider à la procédure : tout au plus encourage-t-on mollement les médecins à chercher à proposer une solution à ce type de situation.

Mais le mot clef de ce choix de mort est celui qui apparaît de plus en plus dans la littérature néerlandaise autour de la question : « regie ». Comme dans la Régie autonome des transports parisiens, le mot renvoie en néerlandais à l’autonomie. S’y joignent des notions d’auto-détermination, de souveraineté. La presse parle volontiers du BSTED comme permettant aux personnes qui aiment être les architectes de leur propre vie d’en conserver ainsi la maîtrise jusque dans la mort.

Au fond, c’est une déclinaison ultime du « non serviam », du refus de considérer la vie comme un don ; la manifestation d’une volonté d’être toujours celui qui décide.

Cela transparaît dans l’absence totale de conditions objectives ou externes : les directives du Collège des médecins décrivent la procédure telle qu’elle est et telle qu’idéalement elle doit se dérouler, et en la présentant comme positive justement dans la mesure où elle permet l’exercice du libre choix du patient. C’est tout naturellement qu’elle renvoie à des documentaires et à des interviews favorables, notamment ceux produits par l’association pour le droit de choisir sa propre fin de vie, NVVE, qui milite pour une application toujours plus large de la loi sur l’euthanasie, notamment à travers des directives anticipées.

Le document recommande ainsi un podcast et un film documentaire réalisés à l’occasion de la mort par déshydratation d’un Néerlandais de 85 ans, Floor Haak : ses deux fils l’avaient entouré pendant les 13 derniers jours de sa vie en 2019 et servent aujourd’hui objectivement la propagande en faveur de cette manière de mourir. L’intéressé en avait tout simplement assez de vivre en raison de certaines douleurs persistantes et handicapantes. Et c’est l’un de ses fils, soignant en psychiatrie, qui avait pris l’initiative de lui parler de cette solution (finale) dans la mesure où l’euthanasie ne pouvait être appliquée à son cas.

Pour ce qui est des directives anticipées, le Collège des médecins cale cependant un peu en refusant d’admettre que l’on applique la procédure BSTED à des personnes devenues démentes qui auraient exprimé leur volonté de mourir de cette façon alors qu’elles étaient encore légalement en mesure de prendre des décisions. Il souligne que la règle est de considérer toujours la volonté exprimée par le patient : ainsi du désir exprimé par la personne démente de manger ou de boire, que ce soit de manière autonome ou non.

 

Mourir par déshydratation : une nouvelle mode ?

Actuellement, signale la brochure du Collège des médecins, le choix d’arrêter de boire et de manger constitue une cause au moins associée de 0,5 à 1,7 % des décès au Pays-Bas, la majorité des victimes étant des femmes ; la plupart ont plus de 80 ans. Dans 60 % des cas, le patient souffre d’une maladie physiologique grave ; dans 12 à 30 % des cas il est question d’une phase initiale de démence, donc vraisemblablement de personnes dont la capacité de prendre des décisions demeure et qui décident de « partir » avant de la perdre. Dans 25 % des cas, on ne parle d’aucune affection physique ou psychiatrique mais d’une accumulation de maladie liées à la vieillesse ou du sentiment d’une « vie achevée ».

Le militantisme du NVVE n’a en effet pas réussi à ce jour d’en faire une cause d’euthanasie légale – mais ce n’est pas faute d’avoir essayé…

Dans 19 à 45 % des cas, il est également question d’une demande d’euthanasie refusée ou qui n’a pas été mise en œuvre.

En dehors de toute considération morale – et pourtant celle-ci devrait être au premier plan dans un pays civilisé – la question de la violence de cette forme de mort doit être posée. Le Collège des médecins néerlandais la présente une telle mort comme étant plutôt douce, à condition de prendre les mesures nécessaires pour soulager les souffrances qu’elle peut entraîner.

Le document contient ainsi de nombreuses recommandations pratiques qui vont de la location d’un matelas anti-escarres jusqu’aux considérations sur la « sédation palliative » et sur le moment où le médecin peut proposer celle-ci : il faut alors que, hormis l’administration de nourriture et de liquides qui serait propre à soulager les symptômes douloureux mais qu’on exclut, on se trouve en face d’une souffrance réfractaire au traitement et d’une échéance de fin de vie prévisible à moins de 15 jours.

Tant que ces conditions ne sont pas réunies, soignants et proches devront assurer au patient des soins de bouche pour éviter la sensation de soif et de dessèchement, donner des antidouleurs et des calmants en cas de besoin, bref, permettre au « mourant » d’aller au bout de sa démarche sans en ressentir par trop l’inconfort (le mot est faible).

 

Un cruel contournement de l’euthanasie

Dans nombre de cas, le patient passera par une phase de délire où il n’est pas rare de le voir réclamer de l’eau… A ce moment-là, proches et soignants se seront engagés – si possible moyennant une déclaration écrite préalable du candidat, jugé désormais incapable d’exprimer sa volonté du fait de son état délirant – à ne pas accéder à sa demande. Situation horrible en vérité, mais comme le dit la brochure, « le fait d’absorber du liquide aura pour effet pour le patient un prolongement de la vie qu’il ne désire pas du tout, et qui dans ce contexte, pourra être considéré comme un effet secondaire indésirable ». Il faut oser !

La publication par le Collège des médecins de cette brochure très favorable à la procédure BSTED, avec ses nombreux conseils pratiques et, en parallèle, l’annonce de conférences en ligne pour présenter l’expérience et les recommandations de médecin habitués à cette forme de soi-disant accompagnement jusqu’à la mort, marque certainement une étape dans la marche vers une société ou choisir sa mort devient la norme – voire ce que l’on attend de vous.

En tout cas, que l’euthanasie soit légale ou non, le principe de l’autonomie absolue du patient s’imposera alors, comme il s’impose déjà largement aux Pays-Bas depuis ce 23 janvier 2024 où les médecins ont fait la promotion de la mort choisie pour tous.

 

Jeanne Smits