Ancien militaire US reconverti dans la prospective, le futurologue George Friedman estime que la révolution industrielle marquée par la puce électronique et l’essor de l’informatique touche à sa fin. En attendant un nouveau cycle, le déclin de la productivité va s’accentuer. Freinant la croissance et entraînant la baisse des salaires.
George Friedman, né en 1949 à Budapest dans une famille juive, a fui la Hongrie en 1956. C’est un ancien de l’armée américaine, mondialiste affilié à la Rand Corporation. Il a lancé en 1996 une boîte de renseignement privée et de prospective, Stratfor, dont il a démissionné en 2015 pour fonder Geopolitical Futures, institut où il donne libre cours à ses talents de futurologue dans les domaines militaire, économique et politique. Ses analyses sont lues et appréciées par les milieux d’affaire US, les politiques et les militaires. Il a publié notamment en 2009 The next 100 years, essai de prospective du vingt-et-unième siècle.
Friedman prévoit la fin du cycle de productivité lié à l’informatique
Son étude annuelle de prospective porte sur le cycle de productivité induit par la révolution informatique des années 1970 et la puce électronique. Il estime que le défi aujourd’hui lancé à la classe moyenne US et aux plus pauvres ne peut être relevé. Pour lui le déclin amorcé de la productivité est durable, et il aura bien sûr une incidence négative sur les salaires. La baisse de la productivité US observée en 2016 pour la première fois en dix ans serait le début d’une rupture générale : l’expansion économique commencée en 1982 par la diffusion massive des puces électroniques entrerait maintenant dans un déclin structurel et irréversible.
En fait, la mise au point et la vente des puces électroniques et des premiers ordinateurs personnels remonte au début des années soixante-dix, mais, compte tenu de l’inertie, il a fallu un léger décalage (environ sept ans) pour que l’effet massif sur la productivité et l’expansion économique soit sensible.
Pour le futurologue la révolution informatique suit le même cycle que l’automobile
A ce point de son analyse, Friedman fait un parallèle avec l’industrie automobile. Il estime que l’histoire commerciale de la puce et de la révolution informatique approche de ses cinquante ans, de même qu’en 1953, l’histoire commerciale de l’automobile de masse fêtait son demi-siècle, la marque Ford ayant été fondée en 1903. « L’automobile arrivait à maturité alors. Elle connaissait encore des innovations mineures, mais surtout dans la présentation et le marketing ». Selon lui, il en va de même aujourd’hui pour l’informatique. Les recherches regardant les ordinateurs portent surtout sur la présentation et le marketing. Autre analogie, les « Trois Grand de Détroit » (Ford, General Motors, Chrysler) parvenaient en 1953 à ce qui fut « l’apogée culturel de l’automobile, les nouveaux modèles étaient suivis avec une grande excitation », mais la voiture était en train de devenir une marchandise comme une autre. La meilleure qualité à plus bas prix des véhicules européens et japonais allait envahir le marché US dans les dix ans, le gouvernement fédéral devrait renflouer Chrysler et le nord du Midwest deviendrai la « Ceinture de rouille ».
Silicon Valley n’est plus l’avant garde, les salaires vont baisser
Pour le futurologue la même chose attend l’industrie informatique. Sans doute la révolution de la puce a-t-elle accru la productivité de l’économie à tous les niveaux, industrie, service, administration. Mais ces progrès ont été très concentrés. Et cela s’aggrave. Les restructurations induites par la nécessité financière éliminent les employés peu qualifiés pour réserver de haut salaires à la crème, les autres devant accepter de bas salaires ou voir leurs emplois délocalisés dans des pays à bas salaires. Selon Friedman, la baisse de productivité enregistrée en 2016 est le « pivot d’une nouvelle réalité ». La technologie issue de la puce électronique n’est plus « d’avant garde », la révolution des logiciels est derrière nous. Les nouvelles applications excitent toujours le public, comme faisaient les voitures en 1953, mais le niveau des innovations plonge et la productivité US avec.
Le début d’un cycle long de déclin de la productivité US
Friedman s’attend à ce que le phénomène devienne plus visible en 2017, même si la plus part des observateurs tenteront d’expliquer le déclin mesuré par des « raisons specifiques à 2017 ». Selon le futurologue, de même qu’il a fallu sept ans jusqu’à ce que le public réalise en 1982 qu’un boom de la productivité était en cours, de même la croissance de productivité ralentit-elle depuis 2008 sans qu’on s’en soit soucié avant que la productivité elle-même ne décline cette année. Il affirme que nous sommes entrés dans une période semblable à 1955 -1970 et perçoit les signes de la maturation et de l’essoufflement de la révolution due aux puces dans trois faits : « le déclin de Microsoft, qui fut un innovateur dans le temps, la chute de Hewlett-Packard, et la toute nouvelle, mais prévisible, difficulté d’Apple à maintenir son niveau de profits ».
Sans doute l’industrie liée aux puces restera-t-elle centrale, entraînant quelques industries secondaires qui lui seront liées. Mais 2017 verra le début d’un déclin à long terme de la productivité, qui réduira la croissance et aura un effet négatif sur les salaires de la classe moyenne.
Révolution : les géants US du numérique se réfugient dans le physique
Cela finira même par toucher les ingénieurs en logiciels de Silicon Valley, qui sont depuis trente ans les grands gagnants de la révolution informatique. Autre signe, le Wall Street Journal rapporte que « les géants technologiques US ne s’en tiennent plus au numérique mais louchent du côté du monde physique pour accroître leur influence et leurs résultats. C’est pourquoi ils promettent de tout réinventer, des voitures aux thermostats et aux lentilles de contact ». Selon Friedman, « d’ici à 2030 il va y avoir un nouveau départ avec une nouvelle technique qu’on ne distingue pas encore nettement, et qui va produire une révolution de notre façon de vivre comparable au moteur à explosion et à la puce électronique ». Mais si cette technique « émerge dans les dix ans qui viennent, cela prendra encore plusieurs années avant que cela n’ait une incidence significative sur l’économie ». C’est pourquoi le futurologue de Geopolitical Futures prévoit que la crise mondiale pour ne pas dire le déclin, de la productivité, va s’intensifier jusqu’à 2030.