Plastique ? Résine ? Acier ? Non : pixels. Depuis cet été, la première actrice virtuelle a fait son apparition sur les réseaux sociaux. Ce qu’on nomme Tilly Norwood revêt l’aspect d’une jolie brune aux yeux pétillants, au faux air de Jessica Alba, le prototype parfait, nous disent les connaisseurs, de la « Girl next door », ce concept américain croquant la figure classique de la charmante voisine de palier dont la féminité n’a d’égal que le naturel…
Sauf que Tilly Norwood est absolument tout sauf naturelle. Elle porte précisément, en elle, la prétention de la machine. La prétention de la perfection. La prétention du remplacement. Et Hollywood frémit, ne sachant s’il faut saisir le train en marche ou se rebeller, tel Le dernier des Mohicans. Mais le courant est fort, autant que les enjeux financiers. Et qu’importe les récriminations des acteurs de chair et d’os. Reste le public et son engagement : est-il déjà en mesure de greffer autant d’émotions sur un mensonge ? Peut-on rêver sur une imposture ? On passe du monde de l’art à celui de l’artisanat, du monde de l’esthétique, de la créativité et de l’unicité à celui de la technique, de la fonctionnalité et du modèle.
Mais, surtout, surtout… nous permettons à des « créatures » douées d’une certaine autonomie (souvent non maîtrisée) de se mêler à notre monde d’êtres libres créés par Dieu : il y a comme une infiltration, là est la véritable révolution.
Tilly Norwood, actrice IA, première création du studio Xicoia
L’actrice et humoriste technologue Eline Van der Velden ne cache pas ses ambitions : Tilly Norwood est son premier acteur virtuel et elle compte bien former une quarantaine d’autres stars du cinéma numérique. Pour cela, elle a créé Xicoia, filiale de son entreprise de production IA Particle6, « un studio de talents en IA conçu pour créer, gérer et monétiser une nouvelle génération de stars numériques hyperréalistes ».
Tilly Norwood a ainsi été créée à l’aide d’une dizaine d’outils d’IA, combinant logiquement génération visuelle, traitement du langage, modélisation faciale et gestuelle. Une vie en ligne lui a été fabriquée avec des comptes sur les réseaux sociaux, suivis déjà par des dizaines de milliers d’abonnés.
Et aujourd’hui, alors que personne ne pariait sur elle il y a encore six mois (Van der Velden a elle-même raconté, lors d’une table ronde au Zurich Summit samedi dernier, comme les conseils d’administration l’avaient éconduite en février dernier), les agences hollywoodiennes reviennent sur leur réaction première et se tâtent pour récupérer celle qui comptera peut-être bientôt parmi les nouvelles (mais fausses) stars du grand écran.
#cancelTillyNorwood !
Les réactions du monde des (vrais) acteurs sont amères. Tilly Norwood est un programme informatique et en tant que tel, « une insulte pour tous les êtres humains qui consacrent réellement leur vie à l’art de jouer » a dit un acteur de Broadway. La créatrice Van der Velden a défendu, elle, « une œuvre créative », ce qui n’est techniquement pas faux. « Tout comme l’animation, continue-t-elle, les marionnettes ou les effets spéciaux ont ouvert de nouvelles possibilités sans enlever quoi que ce soit au jeu en direct, l’IA offre une autre façon d’imaginer et de construire des histoires. (…) Tilly Norwood n’est pas un remplacement pour un être humain. »
Mais ni les effets spéciaux, ni même les marionnettes n’ont jamais eu semblable prétention anthropomorphique. Le miroir humain quasi parfait mais glacé que renvoient ces produits d’IA pousse en toute logique au remplacement. Surtout qu’on lui fera faire tout ce qu’on veut, à cette éternellement jeune Tilly Norwood. Plus de problèmes de disponibilité, de salaire, plus d’histoires personnelles sur le plateau, plus de casseroles, plus d’opinions politiques à ménager ou d’objections de conscience.
On peut d’ailleurs être certain que l’industrie du porno, qui déjà se rue sur l’IA (sans être du tout inquiétée par nos instances mondialistes), récupérera très avantageusement ces têtes d’affiche virtuelles du cinéma tous publics, pour attirer ses fans, notamment les plus jeunes !
Hollywood deviendra-t-il Nollywood ?
Le cinéma, comme tout ce qui peut être numérisé, tombera dans la marmite. Comme le disait John Nolte sur le média en ligne Breitbart, « l’IA deviendra bientôt si bon marché que les grands studios n’auront que deux choix : 1) s’adapter et l’utiliser, ou 2) refuser de s’adapter et se faire évincer par des créateurs ordinaires qui créent des trucs géniaux dans leur chambre ». Et le pire, c’est que des deux côtés, finalement, ils perdront.
Le journaliste fait le juste parallèle avec l’industrie musicale : « Dès que les musiciens ordinaires ont eu accès à une technologie de qualité studio et à la distribution en ligne, l’industrie musicale a implosé. » Des dizaines de milliers de créatifs moyens gagnent leur vie en postant sur YouTube, récupérant la clientèle des anciennes stars mais surtout des nouveaux grands artistes qui auraient pu percer mais se retrouvent noyés dans la masse, devenus inaudibles pour des oreilles gavées.
« L’IA est le grand égalisateur », le grand nivellement.
Ainsi le 7ème art, « l’art de l’incarnation par excellence » selon le mot de Laurent Dandrieu, pourrait souffrir du même sort, en pire, face à des programmes informatiques. D’autant plus que le cinéma est arrivé à un degré de médiocrité qui facilitera cette triste transition, peuplé comme il est d’acteurs et de jeux sans âme, devenu largement superficiel et pétri de wokisme.
Mais nous devrions surtout craindre ce qui résultera de cette incursion étrangère, jamais vue, dans le monde des humains : la faille est merveilleuse pour le Malin. Et dans cette nappe du mensonge qui s’étend peu à peu, nous pourrions nous noyer.