Tirs de missiles en Iran : le billard (nucléaire ?) américain

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Un missile balistique tiré ce mercredi 9 mars en Iran, dans un lieu tenu secret. Photo obtenue à partir de l’Agence de Nouvelles iranienne Fars.

 
Les gardiens de la révolution en Iran ont tiré mardi et mercredi des missiles dont certains pourraient transporter l’arme nucléaire. Ces tirs ouvrent la porte à plusieurs interprétations, dont celle-ci : le gouvernement américain serait en train de se susciter un nouvel ennemi dans un vaste jeu de billard à bandes.
 
Les faits suscitent l’émotion dans la presse anglo-saxonne conservatrice mais comportent une part d’incertitude. Au cours d’un vaste exercice militaire, les gardiens de la révolution ont tiré mardi plusieurs missiles de type non précisé. Le gouvernement américain pense qu’il s’agirait du nouveau modèle Emad, muni d’un système de guidage perfectionné, déjà expérimenté par l’Iran en octobre 2015, et qu’il soupçonne d’être conçu pour transporter une tête nucléaire, ce que Téhéran conteste, n’ayant, à l’en croire nulle intention de produire l’arme nucléaire ni de la transporter. Pour sa part, l’Iran assure se conformer strictement à l’accord passé en juillet 2015 avec le groupe des six (EU, GB, Russie, Chine, France, Allemagne), par lequel il renonce à tout programme nucléaire militaire en échange de la levée des sanctions lourdes qui pesaient sur lui. La télévision d’Etat a montré les images de tirs de missiles donnés pour un modèle conventionnel Qiam-1, de moyenne portée, en précisant que plusieurs cibles avaient été atteintes à sept cent kilomètres des pas de tirs. Quoiqu’il en soit, le gouvernement américain a pris depuis octobre des sanctions bilatérales contre l’Iran, touchant les entreprises et les particuliers, et a mené la semaine dernière un exercice commun de défense anti-missiles avec Israël.
 

Israël à portée des missiles de l’Iran

 
C’est d’ailleurs contre ces sanctions que les gardiens de la révolution ont prétendu réagir en lançant mercredi deux autres missiles, cette fois-ci bien identifiés, Qadr-H et Qadr-F, des hauteurs de l’Alborz dans le nord de l’Iran, sur des cibles à Makran, sur la côte sud-ouest. Le Qadr-H porte à 1.700 kilomètres, et le Qadr-F à 2.000, selon le commandant des forces aériennes des gardiens de la révolution, le général Amir Ali Hajizadeh. Son adjoint, le général Hossein Slalmi, a précisé : « Ces tirs de missiles sont le résultat des sanctions. Les sanctions ont aidé l’Iran a poursuivre son programme de missiles. » Hajidazeh aurait ajouté : « Plus l’ennemi nous menacera par ses sanctions, plus les gardiens de la révolution accroîtront la puissance de notre pays ». Et aussi, cité par l’agence ISNA : « Nous avons choisi la portée de 2.000 kilomètres pour pouvoir atteindre notre ennemi sioniste en toute sécurité.  Mais il n’y a pas besoin de tirer des missiles pour détruire le régime sioniste puisqu’il va s’effondrer graduellement. Notre principal ennemi reste les Etats-Unis. » Le conditionnel est nécessaire, car, en ce qui regarde l’Iran, les traductions et citations passant par les médias anglo-saxons sont parfois fallacieuses. Et dans ce cas précis les citations varient selon les sources et les articles qui les reprennent.
 

Controverse sur la capacité nucléaire des missiles

 
Il est certain qu’avec de telles déclarations la tension monte dans la région. Barack Obama estime que « certaines actions et politiques » de l’Iran font peser une menace « inhabituelle » sur les Etats-Unis, et John Kerry, le secrétaire d’Etat américain a fait part à son homologue iranien Javad Zarif de sa « préoccupation ». Son porte-parole Mark Toner a promis une « réponse appropriée ».
 
Les conservateurs américains et sionistes jugent cette réaction trop molle. Le ministre des affaires étrangères israélien a « fortement condamné » les tirs de missiles en Iran. Il faut savoir que Tel Aviv et Jérusalem sont situées à tout juste mille kilomètres de l’Iran, et que les missiles Qiam et Qadr portent des charges supérieures à cinq cent kilos, c’est-à-dire qu’elles pourraient, avec des aménagements, accueillir une tête nucléaire à condition qu’elle soit miniaturisée. La thèse du gouvernement américain et de ses alliés sionistes est donc que les tirs de missiles auxquels s’est livré l’Iran, sans transgresser l’accord sur le nucléaire de juillet 2015, transgresse une résolution antérieure de l’ONU. C’est aussi l’avis de certains experts de l’ONU et il a été repris par la France, mais il est peu probable que l’organisation internationale vote des sanctions, étant donné la position défavorable et le veto de la Chine et de la Russie.
 

Un cinéma américain contre l’Iran ?

 
Ben Shapiro, auteur fétiche de best sellers du New York Times, le grand quotidien juif de la côté Est, passe en revue les reculs d’Obama depuis la signature des accords sur le nucléaire de 2015 : l’aide de l’Iran à Bachar el Assad, l’accroissement de l’aide financière au Hamas et au Hezbollah, qualifiés de « terroristes », l’accroissement des dépenses militaires iraniennes, les tirs de missiles depuis octobre, enfin un incident dont on a peu parlé, l’arrestation de dix marins américains par la marine iranienne en janvier. Bien sûr, c’est une façon très particulière de voir les choses, car ces soldats de la marine américaine étaient entrés (par erreur prétendent-ils) dans les eaux territoriales de l’Iran, que le Hamas et le Hezbollah ne sont pas plus « terroristes » que d’autres organisations soutenues par les Etats-Unis et que l’aide à Assad n’est pas un crime. Mais elle est le signe très clair que les sionistes entendent pousser le gouvernement américain à ériger l’Iran en ennemi.
 
On peut d’ailleurs tirer de cela une première interprétation : à bien considérer les choses, les irrégularités reprochées à l’Iran sont peu de chose, et le battage fait par la presse anglo-saxonne autour des tirs de missiles en Iran relèvent de l’exagération dans le cadre d’une propagande victimaire. Peut-être l’Iran ne ment-il pas en affirmant que ces tirs de missiles ont pour but d’améliorer la capacité de ses armes conventionnelles.
 

Un jeu de billard entre « conservateurs » et « modérés » ?

 
Cependant, on doit relever une complaisance des gardiens de la révolution pour un langage guerrier et provocateur. Revenant sur les faits, le chef de leurs forces aériennes, Hajizadeh, en a remis une couche : «  Le programme de missiles iranien ne s’arrêtera pas quelles que soient les circonstances. (…) Le corps des Gardiens de la révolution n’a jamais accepté les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies concernant ses travaux sur les missiles. (…) Nous sommes toujours prêts à défendre le pays contre tout agresseur (…). L’Iran ne deviendra pas le Yémen, ni l’Irak ni la Syrie. » A bon entendeur, salut. L’avertissement peut s’entendre à l’usage de l’étranger, il peut aussi tomber dans des oreilles iraniennes. Le président Hassan Rouhani, qui plaît à l’Occident en tant que « modéré », a signé l’accord sur le nucléaire pour rompre l’isolement de l’Iran, mais les gardiens de la révolution, plus radicaux, se placent directement sous l’autorité du guide suprême, l’Ayatollah Khamenei. Il est significatif qu’ils aient présenté les nouvelles sanctions américaines comme « une menace visant la sécurité » de l’Iran « consécutive aux accords » de juillet 2015 sur le nucléaire. Les tirs de missiles seraient donc un coup de billard dans la lutte des « modérés » et des « conservateurs » pour le pouvoir.
 

Une véritable menace nucléaire en Iran ?

 
Mais, outre que cette terminologie, fort prisée en Occident, n’est pas forcément pertinente, Hajidazeh en a encore rajouté, visiblement à l’intention du monde entier. Selon lui, les tirs de missiles ont pour fonction de montrer « le pouvoir dissuasif de l’Iran » et la ferme détermination des gardiens de la révolution à « refuser de plier devant les exigences excessives » de l’ennemi principal. En outre, d’après l’AP qui fait état de sources de presse iraniennes non précisées, « sur les deux missiles balistiques tirés mercredi avait été écrit en hébreu cette phrase : « Israël doit être balayé ». Bien que n’émanant pas d’un responsable politique ou militaire, cette inscription suggère un état d’esprit belliqueux.
 
Cette information est évidemment à prendre avec des pincettes, par son vague, et par le fait qu’elle se situe juste avant une proclamation très mâle elle-même du vice-président Joe Biden : « Un Iran doué de l’arme nucléaire est une menace absolument inacceptable pour Israël et les Etats-Unis. Je sais que certains conservent un doute. Mais s’ils ont bien rompu l’accord, nous agirons ». Il a dit cela tout juste après avoir rencontré Benjamin Netanyahu, qui comme par hasard s’opposait mordicus à l’accord de juillet 2015 sur le nucléaire iranien.
 

L’Iran, nouvel ennemi n°1 du Council for Foreign Affairs ?

 
Quelque soit le jeu de billard compliqué que jouent le gouvernement américain, les sionistes, l’Iran, ses « modérés » et ses « conservateurs », il est clair que les médias américains néo-conservateurs sont en train de faire monter la pression pour construire un nouvel ennemi, l’Iran. Les Etats-Unis sont coutumiers du fait. Leurs banques ont financé l’établissement de l’URSS, la société discrète des Skull and Bones, où la famille Bush est bien représentée, a donné un coup de pouce à Hitler, le Viet Minh doit beaucoup à l’OSS, et, plus près de nous, les frères musulmans, le tabligh, Al Qaïda, l’EIIL, et d’autres organisation islamistes terroristes sont des créations du gouvernement américain et de ses alliés.
 
Perdus dans des considérations sur le libéralisme, les multinationales, le socialisme, la plupart des commentateurs n’ont pas perçu que les Etats-Unis sont devenus officiellement, depuis la chute du mur de Berlin, et singulièrement depuis l’élection d’Obama, la patrie de la révolution. Révolution qui peut prendre des moyens économiques, mais dont l’action vise avant tout et toujours en fin de compte à produire un homme nouveau. C’est le Council for Foreign Affairs, l’un des piliers de l’Etat profond américain, le think tank néoconservateur qui a réveillé volontairement la Chine, qui mène ce billard dialectique.
 

L’objectif de tous ces tirs : la grande synthèse mondialiste ?

 
L’objectif, au bout des conflits successifs plus ou moins chauds, est de parvenir à la grande synthèse mondialiste à travers des présynthèses continentales et intercontinentales – comme l’indiquent les méga traités transpacifique et transatlantique. A cet effet, il est utile à tout moment, pour mobiliser les esprits et les manipuler, que le gouvernement américain puisse enrôler ses alliés dans une guerre en faveur du bien, et donc qu’il dispose d’un ennemi incarnant le mal. Dans un proche passé, cela a été les talibans afghans, Oussama Ben Laden, Saddam Hussein, puis Bachar el Assad, et l’EIIL, cela a même failli être Wladimir Poutine, mais maintenant que tout le monde s’embrasse en Syrie et que tous ces grands Satans potentiels s’annihilent les uns les autres, l’Iran paraît un ennemi tout à fait convenable. Il entretient notamment d’une façon parfaite les conflits régionaux, étant chiite parmi les sunnites et persan parmi les Arabes. Et on peut laisser planer à son propos le doute sur le nucléaire militaire, pour faire passer la réalité nucléaire et militaire israélienne, tout en marquant à la culotte une Turquie, agent traditionnel des Etats-Unis, mais qui en prend un peu trop à son aise en ce moment. En d’autres termes, l’Iran avec ses missiles est un bon vecteur de chaos d’où sortira l’ordre nouveau. Le billard américain et mondialiste est un business qui marche.
 

Pauline Mille