“La bataille de Wagram” : Gilles Lapouge

La bataille de Wagram Gilles Lapouge
 
La bataille de Wagram avait valu à Gilles Lapouge le Prix des Deux Magots, en 1987. Ce roman historique à la riche écriture, qu’on a dit sous l’influence de Stendhal et de Giono, était épuisé depuis. Pierre-Guillaume de Roux vient de lui redonner vie, qui avait déjà réédité il y a deux ans, son premier roman, Un soldat en déroute, paru en 1963. L’Histoire est là, toute de brillance et de futilité à la fois…
 

L’Histoire en marche : la bataille de Wagram

 
Un jeune étudiant viennois, Otto Apfelgrun, fils d’avocat, passionné par la botanique se trouve brutalement emporté dans le grand souffle de l’Histoire et de ses guerres, pour le fait d’une pauvre caricature verbale de l’aigle impérial à deux têtes, un soir de fête… On ne badine pas avec la vieille Autriche, effrayée par le sort réservé à la sœur de son empereur, la reine Marie-Antoinette. Les États de François II font la chasse aux Jacobins et ne voient dans Napoléon que le « rat de Leoben et de Rastadt » et « la face de l’Antéchrist ».
 
Son destin sera tumultueux – ses amours aussi – qui se déroule entre 1797 et 1809, date de la bataille de Wagram, défaite de l’Empire autrichien face à Napoléon. Il combattra dans le régiment des hussards bleus saxons du prince Ernst de Saxe-Salsa contre les cuirassiers blancs autrichiens de la propre femme de ce dernier – les alliances s’étaient modifiées.
 

Futilité et dérision chez Lapouge

 
« Le temps se rebobine » dit le vieux général König de Weitzau, personnage un peu « piqué » du roman. Mais c’est aussi l’idée maîtresse du livre. L’Histoire a-t-elle un sens, cette « boule de papier mâchée » qu’on déplie et refroisse à l’envi ? « Le sang des jeunes gens d’Autriche, des jeunes gens de France ne coulait que pour reconduire des armistices semblables. Chaque coup de canon était l’écho tonitruant et futile d’un coup de canon précédent. L’histoire célébrait sa dérision ».
 
Et les hommes qui le perçoivent en deviennent même inconsciemment désabusés. « Il n’a pas vieilli, mais il n’a plus d’enfance » diront d’Otto ses amis, au retour de ses campagnes militaires. Et la vieille duchesse Gertrude de Malhberg ne perçoit plus de Dieu que « les empreintes d’un lièvre sur la glace »… Ces personnages centraux sont plus proches de l’esprit des Lumières que de la monarchie poussiéreuse qu’ils n’hésitent pourtant pas encore à servir – Otto dont le service de régiment est impeccable, critique vertement cette grande entreprise où « les responsabilités fondent comme un grain de sucre dans du lait ».
 

Défendre les cicindèles

 
L’écriture de Lapouge est brillante, érudite, tout autant que légère. Sa pensée a aussi le goût amer du relativisme… Demeure-t-il des valeurs auxquelles l’on puisse se raccrocher, sans craindre de s’écraser dans la boue informe de l’Histoire éternellement recommencée ? Les personnages échangent même, pour certains, leur rôles « Tous les êtres humains vivent par ricochet, par procuration ou par truchement » affirme l’imaginaire Lord Misrule. Monarchiste ou jacobin, quelle importance au final ?
 
Tout se mélange et change. Hormis la nature et son brillant tapis, fait de régulière immuabilité… En partant guerroyer, Otto admet que c’est davantage pour défendre « les cicindèles, les papillons, les limaces, les mélèzes et les ruisseaux de nationalité autrichienne » que le trône de son propre empereur.

Marie Piloquet

La bataille de Wagram, Gilles Lapouge, préface de Christophe Mercier, éditions PGDR, 310 pages