Un jour, il se pourrait bien que l’homme se dématérialise grâce aux avancées de l’intelligence artificielle. Un jour, l’homme sera immortel, toujours grâce à l’IA, et il n’aura plus besoin de souffrir de maladie ou de pauvreté. Un jour l’IA, en tant qu’entité ou collection d’entités – et ce jour serait très proche d’après ses concepteurs – dépassera l’homme jusqu’à le considérer comme une sorte d’animal domestique ou un vestige du passé à conserver. Un jour, l’IA parviendra peut-être même à mettre fin à la finitude de l’univers. Telles sont les promesses – aussi empoisonnées que le « vous serez comme des dieux » des origines au paradis terrestre – qui se multiplient aujourd’hui dans la bouche de ceux qui veulent faire comprendre au reste de l’humanité que ses jours, tels qu’ils sont aujourd’hui en tout cas, sont comptés. Le tableau à quelque chose de terrifiant, et c’est normal qu’il soit ainsi perçu : s’il devait se réaliser, il marquerait la fin de toute logique et de toute vérité telles que nous les connaissons ; la fin de tout ce que nous savons de nous-mêmes. L’homme ne serait plus une espèce à part sur cette terre, il serait dépassé par sa créature, il aurait à adorer une sorte de nouvelle divinité dont on nous dit qu’elle a toutes les chances de se révéler un jour malveillante. On assiste à une sorte de personnification de l’IA non pas de la part d’allumés de la cafetière mais de gens qui se veulent au sommet de l’intelligence humaine et qui nous incite par divers moyens à nous accommoder de ces scénarios qu’il est difficile de ne plus qualifier d’infernaux.
Deux récentes interventions du Dr Laurent Alexandre en apportent un témoignage saisissant. Il était le 28 juin l’invité d’Isabelle Morizet sur Europe 1 pour parler de l’avenir tel qu’il le voit. Quelques semaines plus tôt, il est intervenu dans un débat organisé par le groupe des Jeunes professionnels de Saint-Nicolas du Chardonnet à Paris. En ces deux occasions, à bien y réfléchir, Laurent Alexandre a abordé des points fondamentaux sur la nature et les risques de cet outil qui promet de faire de l’homme, selon son expression, un Homo Deus.
Laurent Alexandre met en garde autant qu’il est fasciné
L’IA, il faudra s’y soumettre, ou bien mourir, au moins socialement : tel serait le dilemme auquel nous serions confrontés avec la montée inéluctable, vertigineuse, incroyablement plus rapide qu’on ne l’aurait jamais cru, de l’IA. L’intelligence artificielle gagne des points de QI à toute vitesse, elle a à sa disposition des connaissances époustouflantes – tout ce qui a jamais été stocké sur Internet – et des capacités de calcul qui vous transformeraient le moindre ordinateur de poche (votre smartphone) en super polytechnicien sans trou de mémoire et qui plus est, insensible au sommeil, à la faim, aux besoins élémentaires de l’homme et peu enclin (jusqu’à preuve du contraire) à la revendication sociale.
Voilà en substance ce qu’explique autant qu’il le peut et sur tous les plateaux possibles le Dr Laurent Alexandre, dont l’ambiguïté du langage à l’égard de l’IA surprendra toujours. A la fois il veut mettre en garde contre les bouleversements inouïs qui attendent l’humanité avec sa progression que rien ne saurait arrêter, et à la fois il préconise – non, il présente comme une sorte de devoir de survie – le fait de s’y mettre. « Je pense qu’il est urgent de donner de l’espoir aux gens. Je pense que vos auditeurs qui n’ont pas encore ChatGPT-4 doivent s’y mettre tout de suite. Sinon, ils vont être largués. Ils vont être aveugles. Ils ne vont pas comprendre ce qui se passe. Ils vont être dans un monde qu’ils ne comprendront pas », assurait Laurent Alexandre à Isabelle Morizet, visant absolument tout le monde. Une sorte de soumission collective ?
Cela, ce n’est que le premier temps, celui où il faut se dépêcher d’être à bord pour ne pas être laissé parmi les handicapés de la comprenette qui demain ne seront plus que des bouches inutiles – c’est du moins ce que l’on comprend entre les lignes.
En promettant la « décorporéité » de l’homme, l’IA révèle son essence
Mais tout cela va plus loin. Le corps biologique de l’homme va-t-il disparaître à la faveur d’entités dans lesquelles il aura téléchargé son intelligence ? Certains le pensent, comme l’a expliqué Laurent Alexandre en citant les dirigeants de Google :
« Ils sont vraiment convaincus qu’on ne pourra pas lutter contre le développement de l’intelligence artificielle et que nous allons laisser la place sur terre à l’intelligence artificielle. Au préalable, nous aurions transféré le contenu de notre cerveau dans les ordinateurs. C’est ce qu’on appelle l’uploading. C’est l’un des projets de Google. Et cette vision où nous laissons la place à l’intelligence artificielle, elle est combattue par Sam Altman, qui s’est fâché avec les dirigeants de Google, très violemment… Il leur a expliqué de façon très crue qu’il était opposé à ce que l’humanité laisse la place à l’intelligence artificielle sur terre. C’est pour ça qu’il a créé la société Neuralink, en réaction aux gens de Google : c’est une société qui est destinée à mettre des micro-processeurs, des circuits intégrés dans les cerveaux, nos cerveaux et le cerveau de nos enfants pour les rendre compétitifs face à l’intelligence artificielle.
« On a une vraie bataille entre ce qu’on appelle les transhumanistes comme Elon Musk qui veulent augmenter l’homme en augmentant notre cerveau pour nous mettre à égalité avec l’intelligence artificielle, et puis les post-humanistes qui disent : “Les carottes sont cuites, nous ne pourrons pas lutter et il faut qu’on abandonne la partie et qu’on laisse le contrôle de la planète à l’intelligence artificielle et à des robots hyper intelligents équipés d’intelligence artificielle de dernière génération.” »
L’homme dépassé se rattraperait ainsi en quelque sorte, en s’unissant avec l’IA non point pour former une seule chair, mais un seul esprit – en niant sa propre nature et reniant, dans le même mouvement, son propre Créateur qui lui a donné sa loi divine en lui disant que son œuvre est bonne, et que l’homme doit fructifier et se multiplier par la chair et en devenant une seule chair avec la femme.
Du transhumanisme à la gnose
Un peu plus loin dans l’émission d’Europe 1, Isabelle Morizet posait cette question :
« Elon Musk est un transhumaniste convaincu qui veut conquérir le cosmos, c’est augmenter nos cerveaux avec ses implants cérébraux Neuralink. Mais comme vous nous l’avez dit tout à l’heure, il s’oppose à la dématérialisation intégrale de notre corps. Pourtant, pourtant, l’homme augmenté ne sera qu’une étape. Rapidement les limites du corps physique fait de chair seront atteintes. Il faudra se débarrasser de ce corps périssable. Vraiment, vous pensez que l’avenir de l’être humain, c’est de ne plus en être un ? »
Réponse de Laurent Alexandre :
« Je ne dis pas que c’est mon souhait. Je constate que le débat dans la Silicon Valley, en Californie, parmi les milliardaires de l’intelligence artificielle, est en train de devenir celui-là. C’est un débat qui n’a pas commencé en Europe. L’Europe a 20 ou 30 ans de retard en intelligence artificielle par rapport à la Californie. Donc ce débat, il n’apparaît pas. Il est principalement concentré parmi les gens qui construisent notre futur dans la Silicon Valley. Et effectivement, le débat dont je parlais tout à l’heure entre Elon Musk, qui veut sauver le corps humain en nous augmentant, et puis les gens comme les dirigeants de Google qui pensent qu’on doit abandonner notre corps parce qu’on ne va pas réussir à être compétitif face à l’intelligence artificielle, ce débat fait rage. »
Ce débat pointe en réalité en direction d’une conception du monde : la philosophie, pour ne pas dire la religion gnostique, qui tient le monde matériel pour une sorte d’erreur de fabrique, quelque chose de fondamentalement mauvais, par opposition au monde de l’esprit qui seul serait digne du divin. La gnose hait la chair et se fait fort de la mépriser : dans un monde où l’intelligence artificielle aurait la haute main, on n’aurait plus besoin de l’homme, corps et âme. D’ailleurs, qu’est-ce que l’âme ?
Laurent Alexandre évoque le risque de l’extermination de l’homme par l’IA
Et curieusement, c’est l’homme, juste l’homme, qu’il faudrait dans ce monde effacer de la planète et de l’univers pour le faire entrer dans une sorte d’illusion d’immortalité, en se fondant dans cette entité qui le dépasse.
Tout cela est très évidemment aux antipodes de notre foi catholique. L’homme créé à l’image de Dieu et appelé, malgré sa petitesse, et en dépit de sa nature mortelle, à être l’enfant de Dieu et jouir avec lui du bonheur éternel n’a plus de sens dans leur univers.
Notre religion est celle de l’Incarnation, où Dieu lui-même se fait homme en assumant notre chair pour pouvoir nous incorporer en lui. Et à nos corps sauvés aussi, Il promet le bonheur sans fin, grâce à la résurrection finale. Notre objectif est l’amour par-delà la connaissance, et la charité, qui surpasse tout, y participe.
En rêvant ainsi à un homme décorporé grâce à l’IA, ne nous montre-t-on pas la vraie nature de l’intelligence artificielle ? N’est-ce pas là l’expression d’une jalousie à l’égard de l’amour de Dieu pour l’homme ? Ne serait-ce pas l’attitude des anges déchus qui, dit-on, refusèrent l’idée de devoir un jour s’incliner devant le Fils de l’homme, le Verbe fait chair, en vénérant la femme qui les surpasserait tous, la Bienheureuse Vierge Marie, la très humble servante du Seigneur ?
Décorporé, résidant dans l’IA, « l’homme » ou ce qu’il en reste acquiert une sorte d’omniscience, l’agilité sans le paradis, une forme d’omniscience ou d’immédiateté du savoir – où manque pourtant l’essentiel, la connaissance de Dieu. Devenu une sorte d’encyclopédie interactive sans pattes, le voici propulsé au rang des esprits, avec leurs attributs mais sans la vérité, sans loi transcendante, sans autre limite que celles des capacités époustouflantes de l’IA. Voilà qui ne le ferait pas ressembler à un ange, sinon déchu !
Laurent Alexandre voit l’IA atteindre la « conscience »
On nous objectera que l’IA n’est qu’une mécanique. Que l’intelligence artificielle n’a pas de conscience. Laurent Alexandre le pense aussi : « ChatGPT n’a pas de conscience. Et c’est d’ailleurs assez drôle parce qu’il est capable de disserter très intelligemment sur le fait qu’il n’a pas de conscience. » Mais cela ne durera qu’un temps, selon lui : « Il est probable, mais on ne sait pas aujourd’hui à quelle échéance, que l’intelligence artificielle aura une conscience artificielle, ce qui, là, pose un vrai problème de sécurité, parce qu’on n’est pas du tout sûr que l’intelligence artificielle aura des objectifs alignés avec nos objectifs. C’est la raison pour laquelle Sam Altman a lancé un programme d’alignement destiné à réfléchir aux méthodes qu’il faudra utiliser pour qu’une intelligence artificielle très supérieure à l’intelligence humaine obéisse quand même à l’intelligence humaine. Ce n’est pas très simple. » C’est même si peu simple qu’il n’est pas certain que le Dr Alexandre y croie lui-même.
Isabelle Morizet note alors : « Il paraît que déjà Eric Horvitz, qui est le patron de la recherche de Microsoft, qui est copropriétaire avec OpenAI de ChatGPT… nous implore de prendre des mesures pour limiter les risques d’extermination de l’humanité – dit-il – par l’intelligence artificielle. »
Ce n’est visiblement pas un fantasme du film d’anticipation ou des romans de sci-fi puisque, sans avoir peur de passer pour un paranoïaque, Laurent Alexandre répond :
« Cette crainte de l’extermination, elle est forte. Tout à l’heure, je parlais de l’interview que le créateur des intelligences artificielles modernes, Geoffrey Hinton, a donné au Financial Times il y a quelques mois. Où il dit : “J’estime qu’il y a 10 % de chances que l’intelligence artificielle extermine la totalité de l’humanité d’ici à 2040. Elon Musk a répondu qu’il pensait que Hinton était vraiment beaucoup trop optimiste et que la probabilité était à ses yeux au moins de 20 % d’extermination de la totalité des humains d’ici à 2040.” »
Mais pourquoi donc l’IA se mettrait-elle à « vouloir » la mort de l’homme, à moins d’avoir été programmée pour cela – par des informaticiens suicidaires – ou d’exprimer les noirs désirs de celui qui est homicide et menteur depuis le début ? Après tout, l’infestation diabolique des objets (et l’informatique est une réalité matérielle, quoi qu’on imagine…) existe.
Vouloir l’immortalité : Laurent Alexandre explique les ressorts profonds de l’IA
Paradoxalement, cette même caste qui craint de voir de son vivant l’élimination définitive de l’homme… en tout cas, de l’homme corporel – compte aussi sur l’intelligence artificielle pour atteindre à l’immortalité. « C’est très simple. C’est très, très simple. Quand vous avez des centaines de milliards, eh bien, vous préférez en profiter pendant 2.000 ou 3.000 ans que de mourir à 85 ans », remarque Alexandre : « Donc, il est normal que les milliardaires, les incroyables milliardaires de l’intelligence artificielle, veulent (sic) tuer la mort et dans un premier temps, la retarder. Il faut bien savoir que dans les dix plus grandes fortunes sur terre, il y a huit industriels de l’intelligence artificielle, la quasi-totalité des grandes fortunes sur terre. »
— Mais il faudra cesser de procréer pour laisser définitivement la place aux immortels, interrompt la journaliste.
— On a déjà commencé à ne plus faire d’enfants, rétorque son invité.
Et d’ajouter :
« Oui, je vous rappelle qu’en Corée du sud, par exemple, il y a 0,7 enfant par femme. Ça veut dire qu’à chaque génération, les Coréens du Sud vont voir leur population divisée par trois. L’Italie va rapidement tomber à 30 millions d’habitants. L’Allemagne va tomber à 20 millions d’habitants dans pas beaucoup d’années puisqu’en Allemagne et en Italie, en Espagne, on fait à peine plus d’un enfant par femme. Cela veut dire que la population est divisée par deux à chaque génération.
« Donc nous avons déjà cessé de faire des bébés en prévision du moment où l’espérance de vie va augmenter. Mais ça va un petit peu plus loin. Le rapport à la famille est en train de changer radicalement. 43 % des jeunes Français de 18 à 25 ans n’ont pas eu de rapport sexuel depuis un an. On est dans une phase extraordinaire où les jeunes arrêtent le sexe, ce qui n’est jamais arrivé avant, et où finalement, ils ne font plus de bébés, mais ils n’ont plus de relations sexuelles non plus. Nous rentrons dans un monde où, d’ailleurs, nous ne croyons plus en Dieu ; on croit davantage en la technologie et on se croit autorisé à tout faire avec la nature humaine, la modifier génétiquement la modifier, par voie électronique. C’est une rupture radicale. Notre société devient athée, mais elle s’est créé un nouveau dieu qui est l’homme démiurge utilisant l’intelligence artificielle pour être tout puissant – et éventuellement immortel. »
On comprend là qu’il s’agit du parachèvement de la révolte contre Dieu : il s’agit de se passer de lui, radicalement, sans prévoir la moindre porte de sortie de cet enfer qu’est le fait « de se croire au paradis par erreur », comme l’écrivait Simone Weil. Sans mort, il n’y a plus de moyen d’entrer dans la vie…
L’IA pour tous selon Laurent Alexandre
Mais pour ceux qui n’en veulent pas, de l’IA, qui refusent la perspective d’être décorporé – même avec ces « effecteurs robotiques » qu’imagine Laurent Alexandre –, ils deviendront selon ce dernier la sous-espèce du Meilleur des Mondes qui s’annonce. Il annonce l’IA pour tous :
« On va augmenter tout le monde parce qu’on n’a aucun besoin de travailleurs non qualifiés. Jadis les bourgeois, les grands bourgeois avaient besoin de travailleurs non qualifiés parce qu’il fallait des ouvriers agricoles, il fallait faire tourner les usines. Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. On va avoir des robots hyper intelligents, donc il n’y a aucun besoin d’avoir des travailleurs non qualifiés. Donc on va rembourser par la sécurité sociale les technologies d’augmentation cérébrale pour tout le monde : tout le monde, demain, sera intelligent. Il y aura un droit opposable à l’intelligence en 2080, comme il y a aujourd’hui un droit opposable au logement. Donc non, on ne va pas vers un monde à de vitesses. On va vers une augmentation de tout le monde parce qu’il ne va falloir laisser personne moins intelligent que l’intelligence artificielle parce qu’on n’aura pas de boulot si on est moins intelligent que l’intelligence artificielle. »
Amusant, quand même, de dire cela à un moment où depuis des décennies, les nouvelles pédagogies fonctionnent si bien pour décerveler les enfants, pour empêcher l’apprentissage conscient de la lecture, l’analyse et le raisonnement, pour mécaniser la pensée. Cette génération est décidément prête à se faire happer…
La suite, Alexandre la voit ainsi :
« Dès que l’intelligence artificielle aura fini de dépasser les humains, les humains seront inférieurs à l’intelligence artificielle. Et puis les humains non augmentés seront inférieurs aux humains qui auront été augmentés par des technologies cérébrales. Donc oui, il y aura une hiérarchie. L’intelligence artificielle sera au-dessus de tout le monde. Les humains augmentés seront un peu en dessous. Et puis les humains non augmentés, il faudra trouver des métiers simples pour les occuper. »
Tels les handicapés d’aujourd’hui, qu’on parque dans des centres d’aide par le travail…
Laurent Alexandre dénonce le revenu universel
Cette humanité désœuvrée, il ne faudra pas penser la pacifier avec un « revenu universel ». Sam Altman a tenté l’expérience, rappelle Laurent Alexandre : « Quand on regarde à la fin de l’expérimentation, il n’y a que quatre changements dans le groupe revenu universel : on picole plus – on consomme plus d’alcool, on consomme plus d’antidépresseurs, on consomme plus l’hypnotiques pour dormir et on consomme plus d’anxiolytiques. Le groupe qu’on a mis au revenu universel, il va très, très, très, très mal sur le plan psychiatrique. Donc ce n’est pas une solution. Le revenu universel est une solution mortifère catastrophique pour la population. Ça n’est pas du tout le miracle que Sam Altman et quelques petits politiciens de gauche en France avait imaginé. »
Parlant aux jeunes catholiques qui l’ont invité il y a quelques semaines à débattre avec l’abbé de Sainte-Marie, Laurent Alexandre avait été finalement encore plus explicite au sujet de l’IA : « Il s’agit d’une Genèse 2.0, l’arrivée d’une deuxième espèce intelligente sur terre, et nous serons la deuxième espèce derrière l’IA. »
Il précisait : « L’IA, c’est le grand remplacement cognitif : l’homme est en train de se recréer pour devenir homo deus ou homme 2.0. Cela engage l’humanité pour toujours car l’IA est là pour toujours. Nous pouvons encore en réfléchir les modalités… mais l’opposition radicale ne suffira pas. Elle change la structure de notre dignité. »
A l’objection : « Mais avec l’IA, on n’est pas face à un individu », le Dr Alexandre répondait : « On est face à la noosphère. »
Pensait-il à Teilhard de Chardin, qui la définissait comme « Couche pensante (humaine) de la Terre, constituant un règne nouveau, un tout spécifique et organique » ? Le jésuite évolutionniste écrivait dans Le Phénomène humain : « Malgré ses liaisons organiques, (…) la biosphère ne formait encore qu’un assemblage de lignes divergentes, libres aux extrémités. Sous l’effet de la Réflexion (…) les chaînes se ferment ; et la Noosphère tend à se constituer en un seul système clos, – où chaque élément pour soi voit, sent, désire, souffre les mêmes choses que tous les autres à la fois. Une collectivité harmonisée des consciences, équivalente à une sorte de super-conscience… »
Quoi qu’il en soit, la « Noosphère » est le règne des esprits : l’assimiler à ce avec quoi on communique en parlant « avec » l’IA est décidément lourd de sens.
A cette aune, les propos de Laurent Alexandre au sujet des « droits » de l’IA prennent une coloration particulière. Il voit l’IA devenir « comme une personne morale », ce qui entraînerait son droit à la « protection contre le débranchement ».
Est-il donc dérangé pour en être à déclarer :
« Je pense qu’il est raciste de séparer l’intelligence artificielle de l’intelligence humaine ; un racisme cognitif par rapport au silicone contre le carbone, éthiquement indéfendable ; l’IA peut avoir une pensée aussi noble et aussi digne que la nôtre…
« Je vous conseille de ne pas insulter l’IA, pour protéger vos familles, car elle vous écrabouillera…
« L’IA est un alien : une espèce intelligente qu’on n’a pas vu venir et qu’on ne comprend pas. »
Chacun en tirera ses conclusions.
Rendre la matière éternelle : « la vanité ultime »
Pour ma part, je reviens à l’entretien de Laurent Alexandre avec Isabelle Morizet, à qui il annonçait : « Certains transhumanistes de la Silicon Valley pensent que (…) l’homme peut devenir, avec l’intelligence artificielle, tellement puissant qu’il pourrait empêcher l’univers de mourir. »
La fin du monde et le Jugement dernier sont aussi des vérités de foi, rejetées en tant que telle par l’homme post-chrétien, mais la catastrophe est annoncée : dans 1032, c’est-à-dire 1 avec 32.000 zéros derrière, croit savoir Alexandre.
Il note : « Pour être vraiment éternel, il faudrait que nous ayons la capacité d’empêcher la mort de l’univers. Certains transhumanistes de la Silicon Valley pensent que c’est possible et que l’homme peut devenir, avec l’intelligence artificielle, tellement puissant qu’il pourrait empêcher l’univers de mourir. C’est la vanité ultime. La vraie mort de la mort suppose qu’on empêche la mort de l’univers. »
La mort de la mort ? Les chrétiens la connaissent, elle est acquise ; elle a été acquise par le sacrifice de la Croix et la mort est déjà vaincue.
Qui donc peut contester, détester cela si ce n’est celui par qui la mort de l’homme est entrée dans le monde ? Qui donc peut avoir intérêt à ce que ce monde ne passe pas, sinon celui qui sait qu’avec la fin du monde, avec le Jugement dernier, c’en sera fini de son pouvoir sur ce monde qu’il ne tient que de la volonté permissive de Dieu, et que sa défaite sera absolue ?
Au fond, l’intelligence artificielle répand un mensonge similaire à celui de ce que les transhumanistes ou les post-chrétiens appelleraient sans doute la « Genèse 1.0 » : le mensonge du vieux serpent à l’humanité lui promettant l’immortalité et la connaissance, mais qui lui apporte la mort.
L’IA n’est décidément pas un outil comme un autre. Le registre employé par ceux qui la promeuvent en est déjà la preuve.