Législatives : Macron, l’extrême-droite et l’extrême-gauche

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Emmanuel Macron fut jusqu’au 30 juin un adepte du ni-ni. Il déplorait avec force les dangers du Nouveau Front populaire mené par la France insoumise et appelait à voter aux législatives pour un noyau central de modérés unis par les valeurs républicaines contre l’extrême droite et l’extrême gauche. Puis il s’est rallié au point de vue énoncé par Jean-Luc Mélenchon : tous unis pour faire barrage au RN grâce au désistement dit républicain. Des centristes BCBG doivent donc voter pour François Ruffin et Louis Boyard et des militants révolutionnaires pour Gérald Darmanin ou Elisabeth Borne, mais là n’est pas le plus important : le fait capital est que, sauf en de rares occasions (1958, 1968 ou présidentielle de 1974), les modérés reprennent le discours de la gauche dominante et acceptent l’extrême gauche dans l’arc (en-ciel) républicain pour en exclure la droite nationale en lui collant l’étiquette infâmante d’extrême-droite. Notre confrère le Huffington Post en donne une illustration lumineuse.

 

RN, extrême droite, Pujadas et Apolline de Malherbe

Samedi dernier, il intitulait un long papier d’analyse ainsi : « Législatives 2024 : ces propos de David Pujadas et Apolline de Malherbe sur les partis “extrêmes” ne passent pas. » De quoi s’agissait-il ? De montrer en quoi les mots choisis par ces deux journalistes grand public pour désigner le RN sont peccamineux aux yeux de leurs censeurs. Pujadas emploie, à propos du RN, l’expression : « ce qu’on appelle extrême droite ». Il explique pourquoi : parce qu’il compare ce qu’il propose à ce que « propose Geert Wilders au Pays-Bas ou l’AFD en Allemagne ». La position d’Apolline de Malherbe est un peu différente : « Moi je n’ai aucun problème avec ça, mais à ce moment-là il faut parler de l’extrême droite et de l’extrême gauche. » En somme l’une tient compte de la réalité du Nouveau Front populaire, et l’autre tient compte de l’évolution du programme du RN.

 

Le Huffington Post au secours de Macron

C’est ce qui « hérisse » une profession fortement marquée à gauche, comme le montrent à la fois les enquêtes de l’ARCOM et les intentions de votes des écoles de journalisme. Et c’est ce qui est interdit par notre système politique, qui préfère l’extrême gauche. Ainsi, sans le moindre état d’âme, le Huffington Post cite-t-il un journaliste d’Arrêts sur image : « La honte est totale, la normalisation des fachos en direct. » En ajoutant ad libitum d’autres commentaires soit méprisants soit insultants, mais sans l’ombre d’un argument. Où est « la honte », en effet ? Nul ne le dit. A la fin cependant le Huffington Post se pose une question : « Mais quel mot faut-il employer alors pour désigner factuellement le Rassemblement national et le Nouveau Front populaire (NFP), qui regroupe le PS, le PCF, EELV et LFI ? La réponse n’est pas si complexe, si l’on s’en tient aux sources les plus officielles. »

 

Le pouvoir dit qui est d’extrême droite ou d’extrême gauche

Se citant lui-même avec beaucoup de fraîcheur, le HuffPost affirme que « la stratégie du Nouveau Front populaire (NFP), ses valeurs et son programme en font une formation de gauche radicale ». Dans un effort d’objectivité touchant, notre confrère concède que la France insoumise reste une « composante crispante », en raison « notamment de sa “brutalité” dans le débat public ». Mais « le parti de Jean-Luc Mélenchon n’est pas classé dans la catégorie “extrême gauche” par le ministère de l’Intérieur lors des différentes élections ». Et cela fait toute la différence avec le RN. Le Huff ajoute : « Plus encore, le Conseil d’Etat a rendu un avis sur la question très récemment, en mars 2024, qui fait référence. Saisie par le Rassemblement national, la plus haute juridiction de l’ordre administratif avait alors confirmé le classement du parti sous l’étiquette “extrême droite”, et rappelé par la même occasion que LFI et le PCF se classent “à gauche”, et donc non pas à l’extrême gauche. »

 

La question qui va décider des législatives

Voilà en effet qui n’est pas « si complexe ». Une question va décider des législatives : qui est extrême, qui ne l’est pas, à qui doit-on faire barrage ou non ? Eh bien, pour la trancher, le Huff se place sous la double autorité du pouvoir en place ! Celle du ministre de l’Intérieur et de la police qui organise l’élection et celle des magistrats politiques du Conseil d’Etat, dont l’historique des arrêts depuis 1978 (arrêt Gisti) exprime l’idéologie immigrationniste. Ce serait à pisser de rire si ce n’était si grave. Surtout, notre confrère commet une erreur encore plus grave : il s’en remet pour nommer correctement les partis, les idées, les comportements, à un tribunal et à un ministère, alors que la chose relève du jugement politique des citoyens. Si tant est qu’on accorde aux notions de droite et de gauche une valeur, c’est en fonction de critères objectifs qu’il convient de situer les extrêmes dans ce cadre de référence.

 

Extrême ? Cette gauche qui refuse la loi démocratique !

Qu’est-ce qui définit « l’extrémisme » ? Jadis, il existait un critère économique : le programme de celui qui entendait collectiviser les moyens de production ou/et supprimer la propriété privée était tenu pour extrême. Mais aujourd’hui, à part quelques vieux anarchistes ou nostalgiques de chez Poutou, plus personne ne songe à prendre un parti si extrême, et d’ailleurs la socialisation de l’économie et le socialisme de tous les programmes rendent la chose inutile. Est réputé extrême aussi quiconque prône ou pratique le renversement des institutions ou la transgression des règles de droit. Or, on a beau chercher, on ne voit rien de tel au RN. En revanche, les syndicats qui appellent à un « troisième tour social » en cas de victoire du RN, les antifas qui cassent et frappent dans la même intention, ou les fonctionnaires regroupés en collectifs qui appellent à la désobéissance civile dans la même hypothèse s’en prennent ouvertement à la démocratie et à son fonctionnement. Ils devraient, eux, être étiquetés à l’extrême gauche.

 

Question pour Mélenchon : l’antisémitisme est-il extrême ?

Deux derniers critères sont produits à l’appui du classement d’un groupe dans la catégorie extrême (le plus souvent à l’extrême droite), ce sont le racisme et l’antisémitisme. Il y a dans tout le spectre politique, même dans la meilleure bourgeoisie centriste, des individus qui s’adonnent à ces deux passions. On a pu dire, sans d’ailleurs le prouver, qu’ils étaient plus nombreux au Front national qu’ailleurs. Mais depuis que Marine Le Pen a pris le parti en main, elle a fait un grand ménage – que l’extrême droite lui reproche assez. Comme elle l’expliquait à Gilles Bouleau sur TF1 mercredi, dès qu’un cas lui est signalé, une procédure disciplinaire est enclenchée qui débouche d’ordinaire sur l’exclusion. Est-ce le cas à LFI ? Non. Ostensiblement, les chefs couvrent tout et n’importe quoi. Alors que ses manifestants scandaient : « Un policier mort, une voix de moins pour le RN », Jean-Luc Mélenchon a commenté : « On a bien le droit de blaguer. »

 

Question pour un Macron : l’appel au meurtre est-il extrême ?

Il y a bien pire. Eric Coquerel n’est pas n’importe qui : cet ancien de la Ligue communiste révolutionnaire, militant d’extrême gauche depuis trente ans, est l’un des fondateurs du parti de gauche qui a débouché sur la France insoumise. Elu député en 2017, il a été constamment réélu depuis au premier tour, en 2022 et 2024, et occupe le poste vraiment important de président de la commission des finances à l’Assemblée. C’est l’un des piliers du Nouveau Front populaire. Or, un groupe de rappeurs vient de publier une « chanson » de neuf minutes, où l’on peut entendre notamment « Jordan t’es mort », avec appel à voter « contre les porcs », les auteurs exprimant leur « haine » contre le RN, appelant notamment à « baiser les putes Marine et Marion », à « sortir le gros calibre », avec en prime des joyeusetés antisémites. Cela entre dans le front républicain au titre de la « violence artistique ». Or, Eric Coquerel les a vivement et longuement approuvés. Il a jugé « sain » que des « rappeurs avec leurs mots à eux tentent de réveiller la situation ». Or il ne faut pas croire que cette libération de la parole d’extrême gauche soit sans conséquence : deux candidats RN ont été violemment agressés dans la foulée, à Cherbourg et en Haute-Savoie. En attendant pire.

 

Pauline Mille