Léon XIV : le pape qui met le Christ au centre

 

Un mois. Un mois et quelques jours seulement que le cardinal Robert Prevost, réputé « de gauche », ou « progressiste », a été élu à la chaire de Pierre sous le nom qu’il s’est imposé de Léon XIV. En mois de 35 jours, il habite véritablement la fonction, et produit déjà une abondance de discours, d’homélies, de messages, de « catéchèses »… Et nous assistons à une sorte de miracle, discret mais réel : non seulement le pape Léon a largement rendu à sa charge son image matérielle, à travers la vêture, la manière de parler, le choix de réintégrer, dès que possible, les appartements pontificaux, mais aussi sa réalité fondamentale. Vicaire du Christ, il l’est en évoquant sans cesse le saint nom de Jésus, et en proclamant quel est son premier devoir, comme il l’a fait en s’adressant, mardi, aux « représentants pontificaux », ces nonces apostoliques qui lui permettent à travers le monde « de participer à la vie même de ses enfants » :

« Très chers, votre présence ici aujourd’hui renforce la conscience que le rôle de Pierre consiste à confirmer dans la foi. Vous les premiers avez besoin de cette confirmation pour en devenir des messagers, des signes visibles dans toutes les parties du monde. »

 

Léon XIV ne cesse de parler du Christ

« Confirmer dans la foi » renvoie à la doctrine, et ce pape y voit une tâche première alors qu’il a été tant question, ces dernières années, de pastorale. Cela ne veut pas dire qu’il ne soit pas sensible à son rôle de pasteur que partagent les prêtres du monde entier : il le conçoit comme témoigner de l’amour : « Donner le Christ signifie donner de l’amour, témoigner de cette charité prête à tout », a-t-il rappelé à cette même occasion. Mais pas n’importe comment :

« Chers frères, soyez toujours consolés par le fait que votre service est toujours sub umbra Petri, comme il est gravé sur l’anneau que je vous offrirai. Sentez-vous toujours liés à Pierre, protégés par Pierre, envoyés par Pierre. Ce n’est que dans l’obéissance et dans une communion effective avec le Pape que votre ministère pourra être efficace pour l’édification de l’Eglise, en communion avec les évêques locaux. »

Il y a dans le ton une tranquille mais solide autorité, une clarté bienfaisante. Premier miracle…

A la lecture de toutes les interventions du saint-père depuis son élection – cela représente déjà un joli corpus – j’ai d’abord été frappée par cela. Petit à petit, Léon XIV remet de l’ordre dans la confusion, en affirmant, en rectifiant, en corrigeant à l’occasion. Certes, il n’a pas choisi une démarche de rupture ouverte ; s’il cite volontiers les papes de jadis et de naguère, les saints et les Pères de l’Eglise, et en particulier – et très souvent – son cher saint Augustin d’Hippone, il ne manque pas de références à l’égard du pape François. Ni même à son « document d’Abou Dhabi », ni à Laudato si’ : il a encouragé la rencontre universitaire de Rio de Janeiro qui s’est tenue à son sujet fin mai en priant les participants de bien préparer la COP30 et à « travailler pour la justice écologique, sociale et environnementale ». « Construire des ponts », favoriser le « dialogue » : le vocabulaire n’a pas changé et sans doute ne changera-t-il pas.

 

Le discours de Léon XIV recentre sa fonction

Mais cela n’empêche pas de constater un authentique recentrage sur l’essentiel : le discours est redevenu vertical. S’adressant aux modérateurs des associations de fidèles, des mouvements ecclésiaux et des communautés nouvelles, le 6 juin, Léon XIV a proclamé : « Gardez toujours le Seigneur Jésus au centre ! »

On assiste ainsi davantage à une réorientation qu’à une simple répétition ; voici que le pape nous reparle la nécessité de la grâce pour notre humanité déchue, rappelant dès l’orée de son pontificat que la « promesse d’une destinée éternelle » que Dieu donne à l’homme « dépasse toutes nos limites et toutes nos capacités ». Le 6 juin, Léon XIV disait dans cette même veine :

« Ainsi, tout dans l’Eglise se comprend en référence à la grâce : l’institution existe afin que la grâce soit toujours offerte, les charismes sont suscités afin que cette grâce soit accueillie et porte du fruit. Sans les charismes, il y a le risque que la grâce du Christ, offerte en abondance, ne trouve pas un bon terrain pour la recevoir ! Voilà pourquoi Dieu suscite les charismes, afin qu’ils réveillent dans les cœurs le désir de la rencontre avec le Christ, la soif de la vie divine qu’Il nous offre, en un mot, la grâce !

« Saint Paulin de Nole l’évoquait ainsi en écrivant à saint Augustin : “Nous avons un même chef, nous sommes favorisés par la même grâce, nous sommes nourris du même pain ; nous marchons dans la même voie, nous demeurons dans la même maison […] ; nous sommes unis dans l’esprit et dans le corps du même Seigneur, duquel nous ne pouvons nous séparer sans périr” (Lettre, 30, 2). »

Parle-t-il d’unité ? Il explique, lors de son homélie pour le jubilé des familles, le 1er juin :

« Le Seigneur ne veut pas que nous nous unissions pour former une masse indistincte, comme un bloc anonyme, mais il souhaite que nous soyons un : “Comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi” (v. 21). L’unité pour laquelle Jésus prie est donc une communion fondée sur l’amour même dont Dieu aime, d’où viennent la vie et le salut. En tant que telle, elle est avant tout un don que Jésus vient apporter. »

 

Léon XIV commence à rectifier le Document d’Abou Dhabi

Et s’il évoque la fraternité en citant nommément le « Document » d’Abou Dhabi, il donne là aussi un petit signe porteur d’espoir, en affirmant le 22 mai dans ce discours à l’Assemblée générale des Œuvres pontificales missionnaires : « Le Christ est notre Sauveur et en lui nous sommes un, une famille de Dieu, au-delà de la riche diversité de nos langues, de nos cultures et de nos expériences. » Evaporée, la mention qu’avait faite le pape François de la « diversité des religions » en la qualifiant d’expression de la « sage volonté divine ».

Le Document sur la Fraternité humaine, il l’avait évoqué le 19 mai dans son discours aux représentants d’autres Eglises et communautés ecclésiales, où il avait insisté sur l’unité de la foi :

« Alors que nous sommes en chemin vers le rétablissement de la pleine communion entre tous les chrétiens, nous reconnaissons que cette unité ne peut être qu’une unité dans la foi. En tant qu’Evêque de Rome, je considère comme l’un de mes devoirs prioritaires la recherche du rétablissement de la pleine et visible communion entre tous ceux qui professent la même foi en Dieu Père, Fils et Saint-Esprit.

« En réalité, l’unité a toujours été une préoccupation constante pour moi, comme en témoigne la devise que j’ai choisie pour mon ministère épiscopal : In Illo uno unum, une expression de saint Augustin d’Hippone qui rappelle que nous aussi, bien que nous soyons nombreux, “dans l’Unique – c’est-à-dire le Christ – nous sommes un” (Enarr. in Ps., 127, 3). Notre communion se réalise en effet dans la mesure où nous convergeons vers le Seigneur Jésus. Plus nous lui sommes fidèles et obéissants, plus nous sommes unis entre nous. C’est pourquoi, en tant que chrétiens, nous sommes tous appelés à prier et à travailler ensemble pour atteindre pas à pas ce but qui est et reste l’œuvre de l’Esprit Saint. »

 

Si le Christ est au centre, l’enseignement sur le mariage suit

Le pape Léon XIV a également déjà parlé à plusieurs reprises de la famille. Ce fut avec Amoris laetitia – et sa proposition de rendre la communion accessible aux divorcés engagés dans une nouvelle union alors que leur mariage était légitime, au motif notamment que « l’idéal » du mariage chrétien est difficile à atteindre – que la confusion se fit évidente lors du pontificat de François, qui irait encore plus loin… En 2016, ne disait-il pas que certains concubinages, par la fidélité, donnaient aux couples « la grâce même du mariage » ?

Léon XIV a déjà répondu. Evoquant le modèle qu’offrent des couples canonisés (Louis et Zélie Martin, les époux Quattrocchi, la famille polonaise Ulma), il déclarait le 1er juin au jubilé des familles :

« En désignant comme témoins exemplaires des époux, l’Eglise nous dit que le monde d’aujourd’hui a besoin de l’alliance conjugale pour connaître et accueillir l’amour de Dieu et surmonter, par sa force qui unifie et réconcilie, les forces qui désagrègent les relations et les sociétés.

« C’est pourquoi, le cœur plein de reconnaissance et d’espérance, je vous dis, à vous les époux : le mariage n’est pas un idéal, mais la norme du véritable amour entre l’homme et la femme : un amour total, fidèle, fécond (cf. Saint Paul VI, Lettre encyclique Humanae vitae, 9). Tout en vous transformant en une seule chair, cet amour vous rend capables, à l’image de Dieu, de donner la vie. »

 

Léon XIV rectifie une erreur sur le concubinage

Le lendemain, il affirmait dans son message au séminaire « Evangéliser avec les familles d’aujourd’hui et de demain » :

« Il se peut que de nombreux jeunes, qui aujourd’hui préfèrent le concubinage au mariage chrétien, ont en réalité besoin de quelqu’un qui leur montre, de manière concrète et compréhensible, surtout par l’exemple de la vie, ce qu’est le don de la grâce sacramentelle et quelle force en découle ; qui les aide à comprendre “la beauté et la grandeur de la vocation à l’amour et au service de la vie” que Dieu confie aux époux (saint Jean-Paul II, Exhort. apost. Familiaris consortio, n. 1). »

En si peu de temps, voilà des points où le pape parle comme un père, s’exprimant avec douceur mais fermeté, sans dénoncer son prédécesseur mais en rétablissant des perspectives, en rappelant des vérités, en invitant chacun à la sainteté dont il a rappelé qu’il s’agit d’une « configuration au Christ ».

Qui aurait pu l’imaginer ? Cela montre avant tout que quelles que soient nos inquiétudes, nos impatiences, nos peurs, c’est Dieu qui est toujours à l’œuvre, c’est Jésus-Christ qui tient le gouvernail de son Eglise comme Il l’a promis ; même lorsque les temps semblent les plus sombres.

 

Le Christ au centre, c’est la certitude que Dieu est toujours à l’œuvre

D’ailleurs le pape lui-même l’a dit lors du Regina Caeli du 25 mai :

« A la veille de la mort du Maître, les apôtres sont troublés et angoissés et ils se demandent comment ils pourront être les continuateurs et les témoins du Royaume de Dieu. Jésus leur annonce le don de l’Esprit Saint, avec cette merveilleuse promesse : “Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole. Et mon Père l’aimera, et nous viendrons vers lui et nous ferons chez lui notre demeure” (v. 23).

« Jésus libère ainsi ses disciples de toute angoisse et de toute inquiétude et peut leur dire : “Que votre cœur ne se trouble pas et ne s’alarme pas” (v. 27). Si nous restons dans son amour, en effet, c’est lui-même qui vient habiter en nous. Notre vie devient le temple de Dieu et cet amour nous éclaire, il s’introduit dans notre façon de penser et dans nos choix, jusqu’à s’étendre aux autres et à rayonner sur toutes les situations de notre existence.

« Voilà, frères et sœurs, cette habitation de Dieu en nous est précisément le don de l’Esprit Saint, qui nous prend par la main et nous fait expérimenter, y compris dans notre vie quotidienne, la présence et la proximité de Dieu, en faisant de nous sa demeure. »

La toute-puissance de Dieu ; ce Dieu qui veut habiter dans nos cœurs ! Nous ne croyons pas assez en cette toute-puissance, ni en cette inhabitation divine… En les rappelant, le pape Léon XIV nous confirme dans la foi et dans la certitude de l’amour divin. Et c’est l’essentiel : un beau bilan de premier mois pour lequel nous rendons grâces à Dieu.

 

Jeanne Smits