Léon XIV est-il vraiment un « François 2.0 » ?

Léon XIV François 2.0
 

Depuis la sortie du livre sur Léon XIV, écrit par Elise Ann Allen, qui travaille pour le média en ligne peu suspect de traditionalisme, Crux, on entend de plus en plus circuler l’idée selon laquelle le nouveau pape serait tout simplement un François 2.0. Relations avec les LGBT, nature du mariage, statut de la femme dans l’Eglise, synodalité… on lui prête la volonté de poursuivre tous les chantiers ouverts par son prédécesseur, y compris avec une volonté de changer la doctrine de l’Eglise plus radicalement même que François, qui s’était surtout engagé dans cette voie par déclarations au débotté et des actes significatifs. Mais la vérité que laisse transparaître León XIV, ciudadano del mundo, misionero del siglo XXI, n’est pas aussi simple.

En parcourant le livre, qui contient deux entretiens réalisés par la journaliste avec Léon XIV au mois de juillet, j’avais été frappée par l’expression prudente du pape et sa volonté de ne pas aborder frontalement les questions les plus « controversées » – « controversées », bien sûr, à l’aune de la pensée contemporaine.

Beaucoup de commentateurs en ont pris argument pour accuser Léon XIV de vouloir introduire des réformes véritablement révolutionnaires parce qu’il avait employé des mots comme « pour l’instant » en rejetant l’idée que les femmes puissent être ordonnées diacres. Il avait dit : « Les gens veulent que la doctrine de l’Eglise change, ils veulent que les attitudes changent. Je crois que nous devons changer les attitudes avant. » Certains y ont voulu voir l’annonce de changements d’attitude en vue de changer la doctrine.

 

Léon XIV dit que la doctrine ne change pas « pour l’instant »

On lui a aussi reproché de ne pas avoir déclaré que de tels changements sont impossibles. Il avait dit, notamment : « Je pense qu’il est très improbable, certainement dans un proche avenir, que la doctrine de l’Eglise en ce qui concerne l’enseignement de l’Eglise sur la sexualité ou sur le mariage puisse changer. » Et il ajoutait un peu plus loin : « Je pense que l’enseignement de l’Eglise continuera tel qu’il est, et voilà ce que j’ai à en dire pour le moment. »

Voilà qui tranche, en effet, avec le langage jusqu’ici fort clair et direct employé par Léon XIV dans ses discours, homélies, et autres documents autrement plus officiels qu’un simple entretien. L’entretien n’est décidément pas une forme d’expression désirable, qui aide à lever la confusion dans le monde où nous sommes… Cela dit, il est tout à fait remarquable que l’ensemble de la presse mainstream à travers le monde ait présenté les réponses de Léon XIV comme des refus sans concession de l’ordination des femmes et des unions gay… Elle n’a prêté aucune attention aux formules édulcorantes qui les accompagnent.

Au vu des déclarations précédentes de Léon XIV, et de celles faites alors qu’il était encore le père Robert Prévost sur le mariage et la « culture » LGBT, ce langage ne semblait pas en phase avec sa pensée. Mon impression a été immédiatement : il a évité à tout prix la confrontation directe. Un peu comme une mère qui dit à son enfant « on verra »… quand il demande quelque chose d’impossible. Cela n’a certes pas le mérite de la clarté, mais peut s’expliquer dans certaines circonstances.

 

Léon XIV, pape catholique, affirme la doctrine

Gavin Ashenden, ancien évêque anglican, aumônier de la Reine Elisabeth jusqu’en 2017, avant de se convertir à la religion catholique, et qui aujourd’hui écrit pour The Catholic Herald, semble partager cet avis. Il écrit qu’il faut décrypter le code employé par Léon XIV dans ses échanges avec Mme Allen. Il écrit : « Les nouvelles sont bonnes, elles sont plus que bonnes, elles sont excellentes, le pape est catholique. »

« Pourquoi le pape devrait-il s’exprimer en langage codé ? Parce que les questions qui lui ont été posées et auxquelles il a répondu sont des questions théologiques techniques, chacune ayant des ramifications politiques qui pourraient décoller et se propager à grande vitesse si elles n’étaient pas ancrées dans une réflexion soigneusement articulée pour les contenir », écrit le rédacteur associé du Catholic Herald.

Ashenden observe que le Pape utilise bel et bien le vocabulaire des progressistes, le langage de François, mais en prenant soin de rappeler le magistère et de commencer à vider les mots de leur portée hétérodoxe, pour éviter les dégâts.

Face aux écueils, l’éditorialiste considère que le pape répond « magnifiquement », pour à la fois affirmer la valeur et le rôle des femmes dans l’Eglise et pour les « désarmer ». Il écrit : « Pour commencer, il leur donne d’une main quelque chose qui ne coûte rien : “J’espère poursuivre dans les pas de François, y compris en nommant des femmes à certains postes de responsabilité à différents niveaux de la vie de l’Eglise, en reconnaissant les dons des femmes, qui peuvent contribuer à la vie de l’Eglise de nombreuses façons.” Il n’y a aucune raison pour laquelle des femmes professionnelles compétentes ne puissent pas enrichir la vie organisationnelle, intellectuelle ou théologique de l’Eglise. »

 

François 2.0 pour les femmes, les « LGBT » ? Voire…

Mais évidemment, les femmes « hétérodoxes » revendiquent autre chose que cela. Elles réclament l’ordination. Gavin Ashenden écrit, narquois : « Alors le pape Léon promet qu’il n’a aucune intention de changer l’enseignement de l’Eglise. Oubliez ce “pour l’instant”, qui n’est qu’un élément d’apaisement thérapeutique en direction des féministes, pour les aider à vivre au jour le jour. » Et il pousse la finesse jusqu’à dénoncer le cléricalisme que constituerait l’ordination des femmes, alors que le cléricalisme est justement le mal qu’on dénonce si volontiers dans les cercles progressistes.

Pour Ashenden, Léon XIV, au sujet de cette bombe nucléaire qu’est la reconnaissance des LGBTQ+, a su couper les fils de détonation, avec l’habileté éprouvée des experts du désamorçage. Il dénonce la fixation du monde occidental sur la sexualité explique que ce n’est pas celle-ci qui doit déterminer la manière dont on traite son prochain.

Le pape explique même pourquoi il s’exprime de manière aussi prudente : « Je l’avoue, cela trotte dans un coin de ma tête, car, comme nous l’avons vu lors du synode, tout sujet lié à la question LGBTQ est très polarisant au sein de l’Eglise. Pour l’instant, en raison de ce que j’ai déjà essayé de démontrer et de mettre en pratique dans ma conception du rôle de pape à cette période de l’histoire, j’essaie de ne pas continuer à polariser ou à promouvoir la polarisation au sein de l’Eglise. »

Rappelant que chacun est invité, « todos, todos, todos », comme disait le pape François, il précise le cadre religieux de cette invitation, qui n’est en réalité pas sans conditions : « Je ne veux personne parce qu’ils appartiennent ou non à quelque identité spécifique. J’invite une personne parce qu’elle est une personne. J’invite une personne parce qu’elle est fils ou fille de Dieu », répond Léon XIV. A savoir « une personne créée qui a besoin de Rédemption », ajoute Ashenden.

 

Léon XIV propose l’accueil de tous – comme le fait le confessionnal

On se souviendra que le pape Léon XIV, qui tente de donner dans son entretien une interprétation orthodoxe de Fiducia Supplicans, en assurant avec optimisme qu’il n’y est nulle part préconisé le bénir des couples irréguliers, mais plutôt des individus, justifie cette interprétation en précisant « parce que c’est cela qu’enseigne l’Eglise », argument massue s’il en est, et justifié, si c’est pour dire le vrai. Il ajoute même qu’il sera répondu aux besoins pastoraux des personnes revendiquant des « droits » gay ou trans dans le sacrement de confession. Et il plaide aussitôt pour la famille traditionnelle :

« Les individus seront acceptés et accueillis. Tout prêtre aura entendu les confessions de toutes sortes de personnes, avec toutes sortes de problèmes, toutes sortes de situations de vie et tous les choix qui ont été faits. L’enseignement de l’Eglise restera tel quel, et c’est tout ce que j’ai à dire à ce sujet pour l’instant. Je pense que c’est très important. Les familles ont besoin d’être soutenues, ce qu’on appelle la famille traditionnelle. La famille, c’est le père, la mère et les enfants. Le rôle de la famille dans la société, qui a souffert au cours des dernières décennies, doit être reconnu et renforcé une fois de plus. »

Enfin, pour ce qui est de la messe traditionnelle, on retiendra avant tout que Léon XIV, qui répondait aux questions de la journaliste en juillet, disait alors qu’il avait à rencontrer les partisans du rite tridentine, chose qu’il n’avait pas encore faite. Cette ouverture annoncée est encourageante, tout comme l’est le simple fait qu’il n’ait pas simplement renvoyé vers Traditionis Custodes.

 

Léon XIV ne contredit pas François, mais ne le suit pas aveuglément

On notera aussi que pour lui, la messe traditionnelle en latin est une voie qui ouvre la porte à la prière et au mystère et ne doit pas être un outil politique. Pour Ashenden, les choses sont claires si l’on veut bien décrypter les mots de Léon XIV : selon le journaliste, ce sont les progressistes qui en ont fait quelque chose de politique, puisque les dévots de la messe traditionnelle recherchent « une expérience plus profonde de la prière et de contact avec le mystère de la foi » ; nulle part le pape ne les accuse directement de détourner ce combat pour autre chose.

Ashenden voit-il juste en affirmant que le pontificat s’oriente vers une « synodalité bénigne » qui consisterait simplement à rappeler le magistère – ce que l’Eglise a toujours enseigné – et à en « parler » pour régler les questions qui se posent ? Il n’est pas interdit de l’espérer, si l’on veut bien regarder de près ce que le Pape a dit exactement. En tout cas, ses propos ne permettent pas de simplement écarter cette interprétation d’un revers de main.

Dans un esprit voisin, Michael Matt note dans une vidéo du média The Remnant, qui porte depuis le milieu du XXe siècle la voix du catholicisme traditionnel aux Etats-Unis, que Léon XIV est véritablement un pape post-conciliaire, formé avec et part la nouvelle liturgie, avec et par le vocabulaire « mou » qui évite les aspérités. Léon XIV a pris soin de rappeler les vérités, même si c’est d’une manière et avec un vocabulaire directement imputable à cette origine et à cette formation, et il l’a fait en quelque sorte dans la gueule du loup.

 

Jeanne Smits