IA : Life’s Echo vous propose de créer votre avatar pour quand vous serez mort…

Life’s Echo créer avatar
 

A défaut de pouvoir nous maintenir biologiquement sur cette terre, bien qu’un certain transhumanisme y travaille, certains proposent de nous y faire persister par l’Intelligence Artificielle. Très exactement, la société Life’s Echo utilise l’IA pour faire naître une réplique d’une personne, son avatar en quelque sorte. Sur la base d’entretiens approfondis filmés, l’IA clone votre voix et ingère toutes les informations que vous lui aurez données pour créer un « fantôme numérique » à même de converser avec vos proches et de les réjouir quand vous aurez passé l’arme à gauche.

Réjouir ? Rien n’est moins sûr, car enfin « faire son deuil » n’est pas faire persister ad nauseam la présence d’un être cher. C’est prendre acte du passage et de la rupture qu’il engendre. Et se tourner vers la suite qui est le Salut éternel. L’intervention d’une IA risque non seulement de galvauder cette mémoire de la vie terrestre, créant autant qu’elle transmet, mais aussi de faire oublier la réalité vraie de l’âme, la seule et dernière part de la personne dont on doit avoir le souci.

 

Une simulation interactive de personnes décédées pour « préserver des souvenirs à vie »

Désormais, il ne manquera plus jamais personne aux réunions de famille… A la place des absents, trônera une tablette où apparaîtra leur avatar souriant et communicant : c’est le nouveau monde de demain. Vous pourrez leur poser des questions sur leur enfance, leur faire décrire leur maison de vacances, leur faire raconter le jour de leur mariage ou pleurer sur leurs grandes épreuves… Ils vous répondront de leur propre voix, avec leurs propres mots.

Pour ce faire, Life’s Echo a une procédure bien déterminée. Les volontaires se confient d’abord à une enquêtrice… IA ! La dénommée Sarah mène avec eux cinq entretiens de 45 minutes, pour capturer l’essence de leur personnalité ainsi que toute l’histoire de leur vie. Plus de 1.000 questions sont ainsi intégrées à sa base de données, pour balayer le spectre d’une existence terrestre…

Comme le précise le site Techradar, « ces entretiens sont décontractés et conversationnels, presque comme une thérapie, mais avec une touche d’après-vie numérique ». Une fois les sessions terminées, les conversations sont transcrites et l’IA construit un modèle unique, un clone numérique : c’est leur « écho IA ». Vous pourrez alors leur poser toutes les questions que vous voudrez : leur version IA répondra en s’inspirant des récits de vie qu’ils leur auront fournis.

Mieux, elle pourra même prononcer son propre éloge funèbre…

 

Life’s Echo : rendre vivant le mort

D’autres services, comme Eternos et Project Lazarus, ont exploré des idées similaires, où des modèles IA d’êtres chers décédés peuvent répondre à des questions et partager des souvenirs. MyHeritage transforme, par exemple, de vieilles photos en vidéos animées. Mais Life’s Echo va plus loin grâce à l’imitation de la voix et à la profondeur de ses entretiens. Ce qui n’est guère étonnant vu le profil de son fondateur, Steve Endacott, créateur d’« AI Steve », le premier candidat britannique à l’IA au Parlement.

Il y a quand même quelque chose de très gênant dans ce nouvel outil qui devrait voir le jour en février 2025. Voir succéder à soi-même un algorithme qui sera notre incarnation numérique pour les générations à venir est passablement déroutant. Est-ce juste parce qu’on est vieux jeu et qu’on refuse les avancées novatrices et merveilleuses de la technique ?

On nous objectera que les photos, les vidéos sont aussi nuisibles que cet avatar, en ce qu’elles pérennisent le souvenir du visage, du corps de la personne disparue. Mais ces dernières se rapportent à un moment historique précis qui a réellement eu lieu. La technique nous donne le plaisir de le revoir, engendrant des émotions. L’IA, elle, va créer à partir d’un substrat : il y a donc suggestion, invention, fabrication d’un moment qui n’a jamais vraiment existé.

 

Notre avatar IA nous survivra ?

On nous objectera aussi qu’il y a préservation de la mémoire, bagage essentiel entre les générations. Une histoire familiale pourrait ainsi être transmise, les faits de la vie personnelle du mort, les idées qu’il soutenait… « Comme la plupart des gens, je connais la vie de mes parents et de mes grands-parents, mais je ne sais rien de mes arrière-grands-parents. Après trois générations, la connaissance de notre existence disparaît presque complètement », a déclaré Ruth Endacott, PDG de Life’s Echo.

C’est vrai… Mais les jeunes d’aujourd’hui n’ont cure, le plus souvent, de recueillir les témoignages de leurs aînés… Un visuel virtuel changera-t-il la donne ? Et puis vu ce que ChatGPT est capable d’inventer, on peut franchement craindre que l’IA ne se mette à broder sévère sur les dires de nos anciens. Qui contrôlera cette IA, alors que nous serons disparus, si ce n’est une entreprise dont l’intérêt sera de s’attacher un public ?

Il nous plaît en effet de penser à nos morts et cette perspective technique révolutionnaire surfe sur les désirs naturels des vivants. Mais, si leurs souvenirs tangibles sont précieux, à l’instar de leurs images conservées, mais aussi de leurs lettres, de leur objets favoris ou coutumiers, la pensée de leur état réel actuel est encore plus essentielle. Car ils existent toujours bel et bien, mais dans leur âme. C’est vers elle que se tournent toutes nos pensées, toute notre espérance, et non vers le corps qui lentement retourne peu à peu en poussière et ne reviendra jamais ici-bas, sous son état originel strict.

Pourquoi s’attacher à ce qui ne reviendra pas, pourquoi vouloir faire persister ce qui doit passer ? Le rapport à la mort de nos contemporains est parfaitement illustré dans cet attachement mortifère en réalité, car il dénie la Vie. Dans cette volonté jusqu’au-boutiste, il y a en fait quelque chose d’incroyablement glauque.

 

Clémentine Jallais