L’intelligence artificielle se révélera un bien meilleur précepteur pour les enfants que n’« importe quel être humain » pour ce qui est de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, a déclaré avec gourmandise le milliardaire Bill Gates lors du sommet ASU+GSV à San Diego il y a quelques mois. Apprendre à lire et à écrire dans 18 mois sera… un jeu d’enfants avec les chatbots fonctionnant à l’intelligence artificielle (IA), a-t-il assuré, se disant « incroyablement impressionné » par les performances de ces maîtres artificiels.
« Les chatbots d’aujourd’hui sont capables de lire et d’écrire avec une aisance incroyable », s’est-il extasié : « Au départ, nous serons le plus éberlués par la manière dont l’IA aidera à la lecture – jouant le rôle d’assistant de recherche à la lecture – et évaluera l’écriture. »
Gates conçoit le robot d’apprentissage par IA comme la future alternative bon marché au tuteur privé, et doté en outre de capacités bien plus intéressantes : « Voilà un précepteur individuel qui s’adapte à vous et se rappelle tout ce que vous avez déjà fait en ayant une vue de la totalité de votre travail. »
Bill Gates rêve d’enfants « formés » par l’IA
Il est d’ailleurs intéressant de constater que Gates considère ces nouveaux modes d’enseignement comme des « égaliseurs » : étant accessibles à tous à moindre coût, ils serviront donc, à l’en croire, à effacer les différences de moyens et de culture qui sont le lot des élèves et qui sont aujourd’hui considérées comme insupportables.
En tout cas, avec ce système, la boucle sera bouclée : alimenté avec les données apportées par l’homme, l’intelligence artificielle sera promue au rang de professeur qui explique et de juge des « productions » des enfants en phase d’apprentissage, et ils seront ainsi à leur tour « formés par l’intelligence artificielle ».
C’est-à-dire par une intelligence mécanisée, non consciente d’elle-même, et pas forcément au point pour saisir des structures grammaticales complexes et des subtilités de sens…
Quiconque a utilisé un chatbot du genre « chat GPT » ou un traducteur automatique pourtant nourri à l’IA a pu constater par lui-même combien ces outils sont « gênés » par une expression recherchée, imagée, et complexe, produisant eux-mêmes de préférence ces textes sans recherche, sur la base « sujet-verbe-complément ». On trouve aussi déjà de nombreux articles sur les médias en ligne dont il est précisé qu’ils sont le résultat du traitement automatisé de sources existantes : leur style est plat et direct comme un mode d’emploi, au meilleur des cas. Au pire – mais là les fou-rires sont garantis – ils proposent d’impossibles traductions littérales et des extrapolations par associations d’idées, pour des résultats inexacts, voire parfaitement incohérents.
Apprendre à mieux lire et écrire, une entreprise 100 % humaine
Les articles sur l’avis de Bill Gates quant à l’IA fournissent un exemple de l’importance de la véritable compréhension consciente de ce qui est dit, quand, et où. CNBC titrait en avril : « Bill Gates affirme que les chatbots IA apprendront à lire aux enfants d’ici à 18 mois. » La nouvelle a enfin fait le tour du monde et ressort aujourd’hui telle quelle, comme si elle datait d’hier, dans la presse indienne notamment, ou l’on peut lire : « Bill Gates affirme que les chatbots IA apprendront à lire et à écrire aux enfants en 18 mois », ce qui n’est pas du tout la même chose.
D’ailleurs, ce n’est pas d’apprentissage de la lecture et de l’écriture qu’il s’agit stricto sensu, comprend-on entre les lignes des articles d’avril et de mai, mais de l’amélioration de la compréhension et de l’expression. Rien à voir, là encore.
Bref, qu’attendre de l’intelligence artificielle quand celle des êtres humains – à force de pédagogies déstructurantes et d’apprentissages non conscients (dénoncés notamment par la logo-pédagogue Elisabeth Nuyts) – est déjà capable du plus grand n’importe quoi ?