Le débat sur la proposition de loi Leonetti-Claeys révèle avant tout une effarante misère spirituelle, un mortel oubli du sens de la vie et de la souffrance qui sont à la racine de la désespérance de nos contemporains. C’est sans surprise, et face à une opposition réduite à quelques parlementaires, que la proposition a été adoptée mercredi soir, avec des amendements minimes. On a même échappé de peu à l’adoption d’amendements légalisant l’euthanasie ou le suicide assisté. Mais sur la signification du « grand passage » vers la vie éternelle, quasi silence. Le laïcisme règne en maître dans les institutions : la vie éternelle, à supposer qu’on y croie, est une question taboue.
Ainsi a-t-on discuté de la mort pour dire et répéter un « droit à ne pas souffrir », voire un « droit à ne pas se voir partir ».
Le sens du confort a supplanté le sens de la vie
C’est la revendication ultime d’une société où le confort matériel est devenu une valeur suprême, qui justifie au nom du bien-être de chacun la possibilité de précipiter les malades vers la mort, en les « endormant » sans retour, sans même étancher leur soif.
Notons au passage le paradoxe : la « solution » proposée pour éviter la souffrance n’est en rien une garantie contre la souffrance. C’est ce qu’a souligné au cours des débats Roger-Gérard Schwartzenberg (favorable à l’euthanasie) :
« Je ne crois pas du tout que la solution qui nous est proposée, en fait l’anesthésie, puisse procurer une fin de vie digne et apaisée, ni, encore moins, entourée, puisque le patient perdra conscience et ne pourra plus avoir la moindre communication avec son entourage familial. De plus, avec ce système qui fait cesser l’hydratation et la nutrition artificielles, l’agonie risque d’être lente et longue. Dans ces conditions, je crois que c’est un leurre que de parler, comme dans ce texte, de “fin de vie digne et apaisée”. »
La fin de vie selon Leonetti et Claeys, c’est l’apaisement dans l’inconscience
Mais qu’est-ce qu’une fin de vie « apaisée » ? La réponse que veut apporter la loi Leonetti-Claeys se situe en dernière analyse sur le plan purement physique et matériel : c’est une mort sans agonie, sans derniers instants, sans angoisse, sans douleur aucune, et surtout sans conscience.
Elle est aux antipodes de la mort apaisée espérée par les chrétiens : la mort qui permet, dans un dernier acte de contrition et d’offrande, une relation « apaisée » avec Dieu, un pardon ultime, une reconnaissance de notre misère et de sa grandeur miséricordieuse. Les chrétiens invoquent les saints patrons de la bonne mort, demandent la grâce d’une mort lucide qui ne les prenne pas par surprise, supplient chaque jour la Sainte Mère de Dieu de « prier pour nous, à l’heure de la mort ». Instant terrible, moment de vérité, ou notre « entrée dans la vie » se décide…
Le Dies Irae que l’on ne chante plus dans les messes d’enterrement modernes souligne à la fois l’angoisse, la peur, la crainte de Dieu et la confiance en sa volonté rédemptrice pour les âmes et pour les corps. Cette mort qui choque n’est pas absurde : elle est la rançon du péché et du mal, mais elle est le moment, aussi, où l’homme « tel qu’en lui même l’éternité le change » peut obtenir par la grâce de Dieu le bonheur éternel.
En réclamant pour l’homme un droit à l’inconscience en ce moment suprême, Léonetti, Claeys et tous ceux qui se focalisent sur le soulagement des souffrances érigent en norme l’anesthésie de la conscience : conscience de perception, mais aussi conscience de sa propre responsabilité, de ses propres fautes – et conscience de l’amour des proches, et de l’amour divin.
C’est notre misère spirituelle qu’il faut soulager
Leur loi nie en définitive la valeur salvifique de la souffrance offerte comme une participation aux souffrances du tout-innocent, Notre-Seigneur Jésus-Christ, mort dans une agonie indicible et qui a eu, pourtant, la mort la plus digne qui soit. Où en serions-nous, si Jésus avait obtenu une « sédation profonde et continue » ? Où serait notre raison de vivre ? Comment connaîtrions-nous la profondeur et la valeur infinie de son sacrifice ?
Le soulagement des souffrances des malades et des agonisants est un devoir pour le chrétien, et une œuvre de charité. Endormir profondément un homme qui souffre à l’extrême n’est pas un mal, ce peut être un grand bien – pourvu que cet acte n’ait pas pour intention de provoquer la mort. Le problème est d’en faire une sorte de norme, de passage obligé, et de réclamer pour l’homme le « droit » d’échapper à ce qui fait la misère et la grandeur de sa condition humaine.
Ce soulagement des souffrances doit prendre en compte tout l’homme, corps et âme : âme immortelle appelée au moment de la mort devant le tribunal de Dieu pour son jugement particulier.
Prétendre légiférer sur la mort non seulement en dehors de cette réalité, mais contre elle, aboutit nécessairement à une loi dangereuse et incomplète : manière de décréter la compassion, en ayant perdu le sens de la Passion.