Avec le Congrès, l’agenda du président Macron était chargé cette semaine, mais il a trouvé le temps d’aller voir les Bleus en demi-finale à Saint Pétersbourg. Comme Thierry Henry, il connaît le poids politique du foot. Un exemple dont son copain Trump devrait prendre de la graine.
Donald Trump est un histrion. Un agité. Un milliardaire populiste. En trois jours, il a nommé Brett Kavanaugh juge à la Cour suprême des Etats-Unis, fichu les jetons aux membres de l’OTAN et, face au rouleau compresseur chinois imprudemment invité dans le magasin de porcelaine de l’OMC, rétabli des droits de douanes sur un paquet d’importations se montant à cent milliards de dollars par an. Le président Macron, lui, est allé voir la demi-finale de foot Belgique-France à Saint-Pétersbourg. Economie de moyens, sens du symbole : c’est de la grande politique !
Macron, ou la politique des rêves bleus
Emmanuel Macron ressemble à cette UHNI (unité humaine non identifiée) qu’interrogeait l’autre jour Daniel Schneidermann : il a une apparence, mais il pousse l’existentialisme beaucoup plus loin que le transgenrisme, il devient ce qu’il veut à tout moment, sans souci des catégories où les essentialistes prétendent l’enfermer. En ce moment, par exemple, on croirait que c’est un sémillant jeune président, mais il a choisi d’être une grand-mère. Et comme telle il nous raconte en permanence de belles histoires, car il convient de nous préparer au sommeil réparateur de l’été. Lors de la fête de la musique à l’Elysée, il nous a raconté le conte de la France multiculturelle ludique et talentueuse ; à Versailles il nous a chanté la solitude du premier de cordée ; au stade de Saint-Pétersbourg, il a célébré le triomphe du vivre ensemble. Le bonheur par la cohésion, l’orgasme commun par le tir au but.
Une politique du foot réglée au millipoil
Ce beau roman, il l’a peaufiné dans le moindre détail. Il a invité des vieux, Papin, Guy Roux, un jeune, un gamin rencontré lors d’un de ses derniers voyages, et le chroniqueur foot du Monde. Dans la tribune, il y avait Le Drian, le ministre des affaires étrangères, dès fois qu’on croiserait Poutine, la politique, c’est un métier, et Blanquer, de l’Education nationale, pour lui faire plaisir, il est jeune marié.
Macron, lui, n’était pas là pour se faire plaisir, il était là pour faire son métier de politique. L’histoire qu’il nous raconte, c’est que durant la grande fête du sport, il n’y a plus ni terrorisme ni fracture sociale, il n’y a plus qu’un rêve bleu qui est l’antichambre d’un monde sans frontière. Cette propédeutique de la gouvernance mondiale est beaucoup plus importante que le train-train de l’actualité dite géopolitique. Par exemple, l’économie française vient de rétrograder de la sixième à la septième place. La belle affaire ! Quand j’étais adolescente, la France était quatrième et l’OCDE prévoyait qu’elle deviendrait deuxième exportatrice mondiale, mais l’Italie nous fichait de ces roustes au foot, je ne vous dis pas. Et dire que certaines de mes amies étaient folles des vestons de notre jeune président Giscard !
Politique du foot : le chauvinisme au service du vivre ensemble
Réglons le sort d’un paradoxe qui trouble plus d’un esprit simple : l’idéologie du grand mélange qui se sert du foot tolère, encourage même, le soutien explicite, voire outrancier, des équipes nationales. Il y a là d’abord un défoulement, venu du fond des âges et des saturnales, semblable au carnaval (les supporters, dans l’ivresse du déguisement et des mirlitons, l’ont bien senti) : ce qui est interdit d’ordinaire devient la règle. Et puis ce chauvinisme est strictement encadré, orienté vers le vivre ensemble. Le public qui se permet des sifflets ou des réactions racistes est sévèrement puni. En France, c’est le drapeau black-blanc-beur qu’il convient d’honorer, depuis la coupe du Monde 1998. Symboliquement, l’équipe de France a changé de couleur : pas seulement celle des joueurs, celle des vêtements. Avant, ils étaient bleu-blanc-rouge, on les appelait les Tricolores, depuis ils sont devenus les Bleus, chipant leur livrée à l’Italie, et l’on ne les appelle plus que Bleus, même quand ils jouent tout en blanc, comme l’autre jour contre l’Urugay.
Macron est le Thierry Henry de la politique
Dans ces limites étroites, ce chauvinisme de groupuscule est admis et doit prendre les apparences les plus sérieuses du patriotisme. Les critiques portées par l’extrême droite contre les joueurs qui ne chantaient pas la Marseillaise ont trouvé un écho dans le public. Les malheureux Bleus s’efforcent donc de balbutier à l’écran le premier couplet de l’hymne national.
Cela a donné l’occasion d’un début de controverse sur Thierry Henry. Vous vous souvenez que Thierry Henry a participé à quatre coupes du monde dont celle de 98 sous le maillot de l’équipe de France, et qu’il est aujourd’hui adjoint à l’entraîneur espagnol de l’équipe de Belgique. On se demandait donc comment il se comporterait face à son ancienne équipe. Kevin de Bruyne, le remarquable attaquant des Diables rouges, jugeait normal qu’il chantât « la Marseillaise », mais Thierry Henry ne l’a pas fait, il a mâché ostensiblement son chewing-gum.
Thierry Henry fait la paix entre Bleus et Rouges, Trump prépare la guerre
Après le match, il a donné une accolade aux Bleus. Il est passé au stade post-national, les gars comme lui ont coupé le cordon avec la France qui leur a donné leur carrière, ils ne sont plus régis que par les règles de respect du foot.
Thierry Henry, qui fut, quoique un peu tricheur (voir certaine main), l’un des plus jolis joueurs du monde, ouvre la voie du monde nouveau dont Macron est un Youg Leader. Jeune sélectionné, il avouait qu’il aurait préféré faire partie de l’équipe des Antilles, aujourd’hui, il travaille pour les jeunes Belges, qui sont de tous les peuples de la Gaule le plus radicalisé, et s’est laissé pousser à cet effet une barbe d’islamiste qui lui permet de prospecter incognito à Molenbeek. C’est l’une des raisons pour lesquelles le match entre les Diables rouges et les Bleus fut un triomphe de mixité et d’amitié entre les peuples. Pendant ce temps Trump prépare d’effroyables guerres. Les médias patronnés par Macron ont minimisé ou tu les innombrables déprédations et rixes qui ont entouré la demi-finale d’hier. C’est de la grande politique.