Arc-en-ciel : Macron, la République et les maçons contre les « lumières noires »

 

Alors que la France croule sous la dette, menacée par deux guerres qu’elle s’est mises sur le dos, une intérieure par laxisme, une extérieure par aventurisme, un président en perdition appelle les maçons à l’aide : il a rendu visite au temple de la Grande Loge de France, bousculant le calendrier pour y célébrer avec plusieurs mois d’avance le 120e anniversaire de la loi de 1905. C’est dire qu’Emmanuel Macron estime qu’il y a urgence. Il dénonce un « projet » mondial porté par des sectateurs des « Lumières noires » visant à revenir sur « trois cents ans de progrès ». Un projet qui s’élèverait contre le mouvement « de révolution et d’émancipation » que la République et la maçonnerie ont lancé, qui est proprement le mondialisme arc-en-ciel. Macron n’a pas prononcé de nom, ni Trump, ni Meloni, ni Farage, ni Le Pen, ni AfD, ni celui du candidat roumain. Mais il a désigné aux maçons qu’il a couvert d’éloges l’ennemi commun, le complot des « Lumières noires » venu d’Amérique et opposé selon lui à l’idéologie des Lumières.

 

Macron drague les maçons, et en même temps la République

Le 8 novembre 2023, Emmanuel Macron prononçait un important discours devant les maçons du Grand Orient de France pour le 250e anniversaire de celui-ci. La loi de 1905 sur « la laïcité de l’Etat » date du 9 décembre, et d’ailleurs on fête rarement un 120e anniversaire, mais tout le monde était pressé et Thierry Zaveroni, le grand maître de la Grande Loge de France, a invité Emmanuel Macron qui s’est hâté d’accepter. Les maçons de la Grande loge et lui ont un même ennemi, l’ensemble des populismes qui frappent partout dans le monde aux portes du pouvoir, cette internationale des « lumières noires », ces pulsions de « haine », ces tentations « identitaires » irréfléchies qui s’opposent à la pensée maçonne. Macron, le centriste du « et en même temps », se sent particulièrement à l’aise à la Grande Loge de France (32.000 adhérents revendiqués) qui se réclame de la tradition du rite écossais comme la Grande Loge Nationale de France (29.000) et maintient des relations suivies avec les bouffeurs de curé du Grand Orient de France (55.000), qui a renoué des liens épisodiques avec la GNLF en 2015. La Grande Loge de France peut donc être considérée comme le centre de gravité du monde maçon en France et c’est à ce titre qu’Emmanuel Macron s’est adressé à elle, et, a-t-il précisé, à travers elle, « à toute la France ».

 

Voix de velours et lumières tamisées : le cinéma de Macron

Pour les curieux de la politique française qui en ont le temps, je recommande la prestation d’Emmanuel Macron devant la GLF (à partir de la 19e minute sur la vidéo donnée en lien). Se souvenant des cours de théâtre que lui prodigua jadis son épouse, alors son mentor, Brigitte, il parle à voix presque basse, lentement, pénétré du caractère sacré du « temple » où il se trouve et des « travaux » qui s’y mènent. Il entre en somme dans le décorum maçon et débite avec componction un texte qu’on croirait pondu pour une dissertation de concours général. C’est qu’il lui importe, avant d’appeler à l’aide, de rappeler ce que chacun devrait savoir mais n’a pas appris en cours d’éducation civique, à savoir la consanguinité, la parenté plus qu’intime entre République française et maçonnerie. Celle que reconnut de la manière la plus simple l’orateur du Convent du Grand Orient en 1894 : « La Franc-maçonnerie c’est la République à couvert, la République, c’est la Franc-maçonnerie à découvert. » Si bien qu’Emmanuel Macron, commençant à plancher devant un auditoire où se mêlaient maçons et dignitaires de la République française s’autorisa à relever « l’incongruité » que constitue selon lui le fait qu’aucun président n’ait rendu visite à la GLF. Et il termina tranquillement par la formule maçonne : « J’ai dit ».

 

Maçons et République : mêmes valeurs, mêmes textes fondamentaux

Sur le thème de l’« affinité élective entre la franc-maçonnerie et le combat pour la liberté qui deviendra un combat républicain », Emmanuel Macron a été long, net, et disert. Il a déclaré que la République, chez les maçons est « dans son foyer et dans son cœur ». Que la « maçonnerie a été l’atelier de la République », qui lui doit sa devise « Liberté, égalité, fraternité ». Il a explicitement résumé l’essentiel de son topo de 2023 devant le GOF. Celui qui rappelait à la rescousse Delacroix, Marianne et Victor Hugo : « Pendant des décennies, l’œuvre maçonnique et le combat républicain se rejoignirent pour presque se confondre. En témoigne cette Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, texte fondamental pour l’une et l’autre. (…) Je pourrais citer tant de noms du Grand Orient ou de la Grande Loge, mais nul besoin d’énumérer ici les pères fondateurs de notre République. Tous n’étaient pas maçons, mais tous en défendaient les valeurs. La franc-maçonnerie n’a pas fait à elle seule la République, mais la République, sans elle, ne se serait pas faite. »

 

La république universelle c’est l’arc-en-ciel sans frontières

Ce discours de 2023 mériterait d’être cité en entier : « La franc-maçonnerie donna à la République ses premières forces vives. (…) Ils furent ces humbles militants pénétrés de l’idéal des Lumières. (…) La franc-maçonnerie donna à la République ses assises et son mouvement. Elle engendra presque à elle seule le Parti radical, dont les membres tinrent debout les murs de cette maison neuve qu’était alors la République. (…) Les loges de la Raison furent les forges de nos lois. (…) Tant de lois furent ici et ailleurs initiées, imaginées, discutées. » Et de faire l’éloge de Léon Bourgeois, maçon, président du Conseil, artisan de la Société des Nations et prix Nobel de la Paix. La « solidarité dans la nation existait pour lui à l’échelle du genre humain. Rien des hasards de la naissance ou de l’arbitraire du cours de la vie ne devait séparer entre eux les femmes et les hommes. Ni les origines, ni les frontières. Car une vie vaut une vie. En cela, Léon Bourgeois ne portait pas seulement un projet franc-maçon. Il vouait ses forces à une ambition universelle et humaniste ». Cet éloge de la République sans frontières est un hymne à l’arc-en-ciel.

 

Les artisans maçons de la destruction de la société

Sur l’histoire commune, conjointe, conjuguée, synergique, de la République et des maçons, Emmanuel Macron s’est moins étendu en 2025 qu’en 2023, mais il n’en a pas moins cité avec enthousiasme quelques noms de grands anciens et l’importance de la maçonnerie dans le processus de « progrès » mené par la République, dans une « communion de pensée, une connivence qui n’a rien d’un complot ». Le président de la République a invoqué le « frère Montesquieu », Jean Zay, Pierre Brossolette, et, de façon moins prévue « le professeur Choron » et « l’insolence, le blasphème » de Hara-Kiri, l’ancêtre de Charlie Hebdo, où il voit une composante essentielle de « l’esprit français ». De même s’est-il félicité, en 2025 comme en 2023, de l’action de Pierre Simon, qui fut grand maître de la GLF, et milita activement « pour l’émancipation de la femme », tant pour la contraception que pour « le droit à l’avortement », dont le président de la République estime que, face à « l’obscurantisme » qui « renaît » il fallait l’inscrire « dans notre Constitution ».

 

Macron mobilise l’arc-en-ciel contre les « Lumières noires » du peuple

Pierre Simon fut avec un autre maçon, Henri Caillavet, l’un des précurseurs du « droit à mourir dans la dignité » en France. Le président de la République a remercié la GLF de ses « travaux » à ce sujet, « soyez-en fiers ». Il en a « lu les écrits » et en a tenu compte pour élaborer la loi sur la « fin de vie ». Selon lui, « la franc-maçonnerie est aux avant-postes de la bataille » pour le progrès. Pour la liberté, l’égalité, la fraternité, qui vise à « faire de l’homme la mesure du monde ». Et c’est contre ce « projet de révolution et d’émancipation » que s’agitent les « pulsions de haine ». Pire, il « existe » un « projet né aux Etats-Unis mais qui essaimera en Europe et en France », et ce projet « entend gouverner » pour « effacer le progrès de trois siècles ». Il « s’oppose aux lumières ». Il entend rétablir des « séparations en raison de l’origine, du genre ou de la religion ». C’est ce projet « idéologique » des « lumières noires » qui « s’oppose aux Lumières » qu’il appelle les maçons et les républicains à combattre. Emmanuel Macron se pose ainsi explicitement en champion de l’arc-en-ciel maçon contre le rétablissement des frontières naturelles. Nous verrons vendredi comment la nouvelle laïcité qu’il propose à la Grande Loge de France peut y contribuer.

 

Pauline Mille