Modifier le génome humain : appel au moratoire. Mais comment obtenir sa mise en œuvre ?

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Bienvenue au Meilleur des Mondes. Ou à Gattaca, pour reprendre le titre du film d’anticipation qui décrit un monde semblable à celui imaginé par Aldous Huxley : où les embryons « Alpha + » sont promis à une destinée confortable tandis que les sous-hommes se voient imposer les tâches les plus ingrates. Une équipe de chercheurs de Harvard Medical School – s’il faut en croire The Independent – a essayé d’« éditer » des tissus ovariens pour « corriger » le gène BRCA qui, muté, prédispose au cancer du sein. Cette expérience a beau apparaître comme bienveillante et bénéfique, elle n’en constitue pas moins une manipulation génétique de l’homme. Inquiétante en tant que telle. Aussi un groupe de scientifiques américains viennent-ils de publier dans la revue Nature un appel au moratoire sur ce type de recherches. Mais puisque la technique est disponible, comment obtenir et s’assurer de sa mise en œuvre ?
 

Inquiétudes sur les modifications du génome humain

 
La tribune, signée Edward Lanphier, Fyodor Urnov, Sarah Ehlen Haecker, Michael Werner et Joanna Smolenski, annonce la publication des résultats de l’étude de Harvard comme imminente, en soulignant les problèmes d’éthique et de sécurité liés à tout travail visant à modifier le génome humain, en apportant une claire distinction entre les travaux qui portent sur les cellules somatiques et ceux qui tentent de manipuler les cellules reproductrices.
 

Modifier le génome des cellules somatiques ou des cellules reproductrices ?

 
Ces derniers modifient la lignée ; les premier tentent d’apporter un remède à une maladie ou une défectuosité génétique qui frappe un individu.
 
« Les effets de la modification génétique de l’embryon humain sur les générations seraient incalculables », avertissent les chercheurs, en prônant la mise en place d’un moratoire. Ils envisagent avec inquiétude l’exploitation de ce savoir « pour des modifications non-thérapeutiques ». « Nous sommes inquiets du tollé qu’une telle transgression éthique pourrait provoquer, et qui pourrait entraver la recherche thérapeutique si prometteuse qui consiste à apporter des modifications génétiques non transmissibles aux générations futures » : ajoutent-ils – il s’agit tout de même aussi de conserver la bonne presse de techniques qui ouvrent la porte au transhumanisme.
 
Le moratoire général consisterait pour les scientifiques à s’engager à ne pas modifier l’ADN des cellules reproductrices humaines : le moratoire irait de pair avec l’ouverture de discussions sur ce qu’il est possible de faire si la modification du génome humain s’avère vraiment nécessaire au vu des bénéfices thérapeutiques espérés. Ils rappellent que 15 nations sur 22 en Europe occidentale interdisent déjà toute tentative de modifier le génome humain.
 

Le moratoire ne garantit rien : sa mise en œuvre est trop difficile

 
Ils mettent en évidence les limites actuelles des techniques : essayées sur des rats, des cochons ou d’autres mammifères, les tentatives d’élimination ou de désactivation de gènes donnés n’ont fonctionné que pour une partie des cellules, et les chercheurs se sont trouvés face à des « mosaïques génétiques » où la correction d’un défaut est incomplète.
 
On prendra cependant la mesure de la préoccupation éthique de ces chercheurs qui veulent un moratoire sur une technique inquiétante, mais qui dans le même temps prônent la fécondation in vitro et le tri embryonnaire pour les parents porteurs de gènes qui prédisposent à certaines maladies.
 
Le Monde commente l’information en rappelant à quel point la mise en œuvre d’interdits sur la recherche est malaisée. Il signale – ce que les chercheurs américains ne font pas – les « dérives eugénistes évidentes » liées à la manipulation du génome humain pour obtenir des hommes améliorés sur le plan physique ou intellectuel. Le rêve des transhumanistes est à portée de main…
 
Il qualifie également le moratoire de solution « en trompe-l’œil », à l’heure où il est déjà possible de transformer les cellules somatiques – celles de la peau par exemple – en gamètes en utilisant la technique des cellules pluripotentes induites (iPS). Cette manière d’obtenir des cellules souches sans passer par la destruction d’embryons avait été saluée en son temps comme la solution « éthique » aux problèmes de la recherche. Mais là encore, les garde-fous s’avèrent insuffisants.