Le Mot : Table de désorientation

Mot Table de désorientation
 

Ce n’est presque rien. Même pas un chien écrasé. Une provocation vaguement ridicule. Ou bien alors un petit fait tragiquement significatif. Un programme. Une déclaration de guerre civile. Voici l’histoire. Madame Kenza-Marie Sahraoui, conservatrice du Palais des ducs de Lorraine-musée Lorrain, a commandé à un artiste, Colin Ponthot, une table circulaire métallique couverte d’un texte bilingue franco-arabe (appelée « table de désorientation ») et l’a installée face à la statue du sergent Blandan à Nancy, au bout de la rue du sergent Blandan. Le sergent Blandan est un sous-officier tombé avec courage en 1842 lors de la pacification de l’Algérie que la IIIème République a célébré par une statue monumentale, installée d’abord à Boufarik, près d’Alger, puis transportée après l’indépendance, à Nancy.

 

Cartes sur table : désorientation ou réorientation idéologique ?

Cette statue terrifiait, dit-il, un jeune garçon d’origine kabyle, Malek Kelou, qui n’en a pas moins émigré vers la terrible puissance ex-coloniale pour y faire souche. Sa fille, Dorothée-Myriam Kelou, journaliste et réalisatrice, a rédigé le texte sur la table qui, selon elle, « déroule une contre-histoire : celle des colonisés et de leurs descendants », ouvrant un espace où « leur mémoire peut émerger et s’inscrire dans le récit collectif ». Elle invite les visiteurs à « regarder dans le miroir mal poli de notre mémoire ». Il ne s’agit pas de « lisser les aspérités dans l’écriture de notre histoire, mais de les retrouver pour comprendre la genèse de qui nous sommes en tant que société postcoloniale ». C’est pourquoi elle a été baptisée « table de désorientation » par référence aux tables d’orientation, table de réorientation aurait été plus exact. La conservatrice commanditaire a pu dire que cette œuvre, était un « anti-monument ». Et lors de l’inauguration de ce contre-monument, le maire socialiste de Nancy, Mathieu Klein, a fait la pédagogie d’une « mémoire plurielle » en ces termes : « Il ne s’agit pas de déboulonner les statues ni de débaptiser les rues, mais de les contextualiser, de les éclairer et, quand l’histoire le commande, de les accompagner d’une œuvre qui propose un autre regard. »

 

Pieds noirs : pas de table de désorientation, la valise ou le cercueil

Un membre de phrase suggère quelques remarques, « quand l’histoire le commande ». D’abord, le texte de la table de désorientation est rédigé en français et en arabe : or, les Berbères, dont les Kelou sont, ont, avant et après la conquête française, bien plus souffert de certains Arabes que des Français. Ensuite, nul n’a forcé Malek Kelou à venir subir à Nancy la présence de la statue qui le traumatise. Il peut à tout moment, lui, sa famille, ses proches, retourner s’il le souhaite dans son pays natal. De plus, la « mémoire » algérienne au nom de laquelle on prétend agir n’a rien à voir avec l’histoire : il s’agit d’une propagande de la haine répétée depuis soixante ans par le FLN et ses complices. Il est un peu fort de café que plus de neuf cent mille Pieds noirs, après avoir subi des années d’un terrorisme sauvage et s’être vus forcés de s’en aller sans rien, doivent maintenant subir les délires idéologiques des enfants de leurs ennemis. Pour eux, il n’y a pas eu de textes bilingues, mais, beaucoup plus fort que la désorientation, la valise ou le cercueil, les cimetières profanés, les monuments brisés, le vandalisme exterminateur.

 

Désorientation, déconstruction : vers la table rase révolutionnaire

Enfin, le grand historien Fustel de Coulanges aimait à dire que « l’enseignement de l’histoire est une guerre civile » : la « désorientation » des tables, comme la « déconstruction » des cultures, est un procédé révolutionnaire agressif qui mène obligatoirement à la division et à la guerre civile, l’autorité municipale et les responsables du Musée de Lorraine auraient dû y penser. Notre confrère France 4 estime à peut-être dix millions le nombre d’habitants de la France venus d’Algérie, soit un septième. C’est énorme. Si ce type d’initiatives devait se généraliser à l’échelle d’une telle population, ce serait une catastrophe politique. Prétendre imposer une mémoire différente, c’est refuser de se couler dans le moule français, c’est manifester une sécession affective et intellectuelle. Une déclaration solennelle de guerre mémorielle. En attendant quoi ? La guerre civile ou le remplacement ?

 

P.M.