C’est par cette expression pour le moins triomphaliste et exagérée que Marine Le Pen, chef du groupe RN à l’Assemblée Nationale, a décrit la poussée des mouvements populistes en Europe lors des dernières élections. Elle s’exprimait à l’occasion du succès du FPÖ (partie de la liberté autrichien, droite radicale) dimanche dernier en Autriche, où il vient de remporter les législatives avec 28,90 % des suffrages exprimés devant l’ÖVP (parti populaire, centre droit, 26,32 %), en faisant beaucoup mieux que les sondages ne le prévoyaient, cinq ans après le naufrage de son parti dans un scandale de trafic d’influence. Si la victoire du FPÖ est aussi forte qu’inattendue, on ne peut pas parler de triomphe, car le président autrichien a déjà laissé entendre que, contrairement à l’usage, il n’appellera pas son chef, Herbert Kickl, à former le nouveau gouvernement, mais tentera de reficeler une coalition entre centristes, écologistes ou socio-démocrates.
Marine Le Pen n’en a pas moins écrit sur X : « Après les scrutins italiens, néerlandais et français, cette lame de fond qui porte la défense des intérêts nationaux, la sauvegarde des identités et la résurrection des souverainetés, confirme partout le triomphe des peuples. » Or si Giorgia Meloni est bien installée au pouvoir en Italie, où elle peine à tenir ses promesses, surveillée notamment par la Commission de Bruxelles, et si Geert Wilders à la Haye y a accédé tout récemment, dans le cadre d’une coalition à la fois contraignante et fragile, elle-même, bien que son parti ait avec ses alliés recueilli onze millions de voix, ne s’est approchée ni de la majorité relative, ni de la possibilité de former une coalition. Parler de triomphe est dans ces conditions impropre
On arguera avec justesse qu’avec le mode de scrutin anglais, le RN aurait bénéficié d’un raz de marée le 7 juillet, mais avec des si on met Paris en bouteille. Et puis regardons les chiffres d’un peu plus haut, dans l’Europe entière. Aux parlementaires de 2022, Giorgia Méloni a sans doute atteint, avec ses alliés de la ligue et de Forza Italia, un pourcentage de 43,82 % des suffrages exprimés, qui lui a donné une majorité de 237 députés (sur 400) et de 115 sénateurs (sur 200), mais la participation était en baisse de 9 points, à moins de 64 % des inscrits. En Autriche, la participation est bien meilleure (+ 1,7 % à plus de 77 %) mais la marge entre le FPÖ (moins de 29 %) et son second est de deux points et demie, et les socialistes les talonnent. Au Pays-Bas, c’est encore moins net : sans doute la participation reste proche de 78 %, en baisse d’un point et demie, mais le PVV de Geert Wilders n’atteint pas un quart des exprimés (23,49 %), autrement dit le suffrage est émietté sur une multitude de partis sans cohérence. En France enfin, si la participation au premier tour le 30 juin est en hausse (plus 19,2 points !), elle demeure médiocre (66,71 %, à peine deux tiers de votants), et le RN n’obtient que 33,22 % des voix – même s’il fait relativement mieux au second, 37,05 % (mais seulement 20,75 % des sièges restant à pourvoir) contre 25,68 % au NFP.
Si l’on considère tous ces résultats, on ne parlera donc pas de triomphe, mais de poussée forte du vote populaire dans plusieurs pays d’Union européenne (Marine Le Pen a oublié la progression dans les élections régionales allemande de l’AfD, peut-être parce qu’elle a rompu son alliance avec ce parti). Cette poussée, le système mondialiste en place s’efforce précisément qu’elle ne se transforme pas en triomphe. En Autriche par exemple en écartant de la chancellerie le FPÖ, en France en utilisant le front républicain pour priver le RN de majorité à l’Assemblée puis en chargeant le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau de lui couper l’herbe sous le pied.